Dans une longue et émouvante publication sur Facebook, Laurence Jalbert a dévoilé mercredi avoir subi de la violence conjugale pendant une dizaine d’années. « Je prends la parole parce que je veux contribuer à ce que les choses changent », nous a dit au téléphone l’autrice-compositrice-interprète, qui a été secouée par la vague de féminicides. Extraits de la conversation.

Josée Lapointe (J. L.) : C’est une journée difficile pour vous.

Laurence Jalbert (L. J.) : Oui, mais heureusement que je m’étais bien préparée. Je ne voulais pas sortir quelque chose comme ça, en disant « pauvre moi, pauvre moi ». Je voulais que ça ait une résonance pour toutes les autres. Chaque fois qu’une femme meurt, quand on a vécu quelque chose comme ça, on se dit : « Ça aurait pu être moi. »

Lisez la publication de Laurence Jalbert

J. L. : Vous avez eu peur de mourir ?

L. J. : C’est moi qui l’aurais fait. Qui n’en pouvais plus d’endurer, de recevoir les cris, les menaces, les insultes, les manipulations, les conflits. La peur faisait tellement partie de ma vie, j’étais toujours en état d’hypervigilance et de survie, mais je ne savais pas que ça s’appelait comme ça. Quand tu n’en peux plus, que ça crie et que ça crie, tu dis non, je vais me crisser en bas du char, je vais me tuer. Ça a duré 11 ans. J’ai essayé de m’en sortir, mais ce sont souvent de grands manipulateurs qui te font perdre tous tes repères. Depuis que j’ai 16 ans que je travaille avec des hommes. Avant ça, j’ai vécu de la violence, j’ai été violée, tabassée, je me suis fait péter la mâchoire… mais ça, tu ne peux rien dire, parce que personne ne va te croire.

J. L. : Vous écrivez que vous avez appelé SOS violence conjugale il y a un mois et demi, après avoir vu une publicité sur la violence conjugale. C’était pour sortir de la relation, ou pour nommer ce que vous aviez vécu ?

L. J. : C’est une ancienne relation, mais je n’ai jamais guéri de ça. Je souffre d’un syndrome de choc post-traumatique et je ne le savais pas avant de prendre le téléphone. Ma vie était teintée de comportements de honte, de cachettes, de doutes, de manque de confiance… J’étais devenue l’ombre de l’ombre de la personne que j’avais été. Le confinement a répondu à un besoin que j’avais. Il m’a permis de m’isoler et je n’avais plus besoin de me justifier pour ne pas aller dans le monde. Mais quand il y a quelque chose que tu caches, que tu tasses, tu t’enfarges un jour ou l’autre dans l’énorme bosse dans le tapis. Puis j’ai vu la publicité sur la violence conjugale dans laquelle un facteur demande sur un ton agressif à un homme d’où viennent les lettres qu’il s’apprête à lui livrer, et je continuais la pub dans ma tête parce que c’était mot à mot ce que j’avais vécu. Je me suis mise à trembler, j’ai pris le téléphone et j’ai dit : « Aidez-moi, quelqu’un. » Et là, j’ai de l’aide.

Regardez la publicité sur la violence conjugale

J. L. : Ces publicités s’adressent aux hommes, pour qu’ils reconnaissent leurs comportements. Vous croyez qu’elles atteignent leur cible ?

L. J. : Dans le cas qui m’occupe, non, parce que ces gens-là ne savent pas qu’ils sont le problème. Ils n’iront jamais chercher de l’aide. Là où je veux servir à quelque chose, c’est en disant : « Fille, devant telle histoire, tel comportement, sauve-toi, va-t’en. Sauve ta peau, celle de tes enfants. Parce que d’ici peu, tu vas être ensevelie sous une tonne de honte et il va être trop tard, tu ne pourras pas en parler à personne, même pas à ta famille. » De toute façon, ces gens éloignent tout autour de nous.

J. L. : Un jour, vous êtes sortie de cette relation. Comment avez-vous fait ?

L. J. : J’ai perdu un grand ami, qui est malheureusement parti avec des regrets. C’est ce qui m’a ouvert les yeux. Je me suis dit : « Qu’est-ce que tu fous de ta vie, Jalbert ? Il faut que tu débarques de là, tu es en train de mourir… » J’ai compris que je ne voulais pas partir avec autant de regrets. Je vais avoir 62 ans, je veux redevenir cette personne volontaire et souriante pour vrai, qui était complètement disparue derrière une armure de protection.

J. L. : Vous avez une image de femme forte. C’est votre message aussi, que ça peut arriver à tout le monde ?

L. J. : Personne n’est à l’abri. Pourquoi tu penses que j’avais aussi honte d’en parler ? La madame qui me dit en me voyant : « Ah, la grande madame Jalbert », comment je peux lui dire : « Écoutez, madame, je suis à genoux, je suis brisée en deux » ? Ben non, tu te remontes la colonne et tu racontes des choses, même si ce n’est pas vrai. Je ne veux plus être comme ça.

J. L. : Ça prend du courage pour dire qu’on a vécu ça pendant 10 ans.

L. J. : Je l’ai écrit, je ne me sens pas courageuse. Je te parle et je me sens comme une lavette. Mais je ne fais pas ça pour me plaindre. Je voudrais tellement faire partie de ceux et celles qui travaillent pour changer les choses. J’ai six petits-enfants, trois garçons et trois filles, et c’est pour eux que je fais ça. J’ai remarqué, dans les derniers mois, que les artistes plus jeunes s’élèvent, vont dénoncer des comportements… Moi, j’en ai-tu enduré et toffé, des affaires que j’aurais jamais dû endurer ! Mais c’était l’époque, on se fermait la gueule ! Les plus jeunes font : « Non, c’est fini, moi, je n’accepte pas ça. » C’est comme ça que les choses changent. Et c’est aussi dans ce but que j’élève la voix, que je place ma voix à côté de celle des autres femmes.

J. L. : Ce que vous dites aux femmes qui sont dans la même situation, c’est que vous les croyez.

L. J. : Oui. « Et sauve-toi. N’attends pas que ça change, n’attends plus. Ça ne reviendra jamais, ça n’a jamais été. Il ne t’aime pas, il s’aime lui. C’est pas ça, de l’amour. » J’ai lancé une énorme pierre dans le milieu d’un lac et ça m’a pris de l’aide pour être capable d’aller la porter là. Maintenant, je suis prête à affronter les vagues que ça a créées, et à inspirer et aider. Je veux que les choses changent.

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