Le secteur culturel, échaudé par la pandémie de COVID-19, pousse un soupir de soulagement, alors que 147 millions supplémentaires apparaissent au budget 2021-2022. Les acteurs du milieu saluent un « signal fort », mais attendent d’être informés des mesures dans le détail avant d’applaudir trop fort.

Près de 150 millions supplémentaires

« La culture est le fondement même de l’identité québécoise », a soutenu le ministre des Finances, Eric Girard, lors de la lecture de son budget 2021-2022. La dernière année pandémique a été catastrophique pour le milieu des arts. « La crise sanitaire a frappé de plein fouet l’écosystème », a-t-il admis. Pour juguler la « crise et ses effets », le budget Girard prévoit 147 millions supplémentaires sur deux ans. Cette somme s’ajoute à l’enveloppe spéciale de 400 millions – 150 millions ont été tirés de « réaménagements budgétaires » – annoncée par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, le 1er juin 2020. S’étaient plus tard greffés 50 millions pour pallier la chute des revenus de billetterie en raison de la fermeture des salles de spectacle et des mesures de distanciation physique. Au total, Québec prévoit injecter 214 millions en argent frais en culture d’ici 2025-2026 « pour répondre aux défis posés par la crise sanitaire ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Charte de la langue française

Vers une réforme de la loi 101 ?

Les sommes débloquées par le Ministère sur six ans atteignent 392 millions si l’on inclut les enjeux liés à la promotion du patrimoine et de la langue. Québec entend consacrer 103,6 millions pour « assurer la défense et la promotion du français » et « faire du français la langue commune à l’ensemble des Québécois ».

Le gouvernement veut également pourvoir les Québécois d’institutions fortes pour s’assurer que la pérennité du fait français demeure, aujourd’hui comme demain, une priorité invariable de l’État québécois.

Extrait du budget 2021-2022

Cette somme pourra notamment donner des munitions pécuniaires à Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Charte de la langue française, qui planche sur une réforme en profondeur de la loi 101. En outre, 74,4 millions seront injectés pour « valoriser le patrimoine culturel ». La majorité de cette enveloppe gonflera le Programme de soutien au milieu municipal en patrimoine immobilier. La culture bénéficiera par ailleurs du Plan québécois des infrastructures 2021-2031, puisque 100 millions seront consacrés à aménager et à reconvertir des espaces régionaux « afin de servir à la diffusion, à la création et à la médiation culturelles ».

De l’air pour les arts vivants

La ministre Roy détaillera le budget alloué à la culture « ultérieurement », mais de grands axes ont été dévoilés. Le milieu du spectacle, mis K.-O. par la COVID-19, profitera d’une aide supplémentaire de 60 millions. Cette somme permettra notamment de maintenir le remboursement aux diffuseurs de 75 % des billets invendus en raison des restrictions sanitaires. Il s’agit d’une aide vitale pour les salles de spectacle, les producteurs, les artistes et les techniciens. David Laferrière, président de l’organisme RIDEAU, qui regroupe plus de 350 salles de spectacle au Québec, croit comprendre que la mesure sera ainsi reconduite au moins jusqu’au 31 décembre 2021. « Il y a beaucoup de mesures, dont celle-là, qui touchent la diffusion. On est très heureux de cette reconnaissance-là. On prend acte de la responsabilité qui nous est confiée. On est conscients que ce sont des sommes qui doivent aussi être redistribuées à la production et à la création. Pour notre secteur, les arts vivants, il y a beaucoup d’espoir dans ce budget-là. On a hâte d’avoir des éclaircissements. » Le Conseil québécois du théâtre, par la bouche de sa directrice générale, Catherine Voyer-Léger, considère aussi que la reconduction de l’aide à la billetterie est « une excellente nouvelle ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale de la culture et des communications

Des efforts salués, en attendant…

À la mi-mars, une enquête de la Fédération nationale de la culture et des communications (FNCC-CSN) sonnait l’alarme sur la détresse psychologique et financière des artisans de la scène. « On salue les efforts particuliers qui ont été faits pour soutenir la culture, dont la bonification des mesures d’urgence, dit Pascale St-Onge », présidente de la FNCC-CSN.

C’est un signal fort. On va prendre le temps d’analyser le budget en profondeur, surtout le fonctionnement des programmes. On se demande si ce qui est annoncé va être suffisant, dans le contexte, pour assurer la pérennité de la culture et la rétention des artistes, des créateurs et des professionnels.

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale de la culture et des communications

Même son de cloche du côté de l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec. « Il faut admettre que la culture est bien présente dans le budget, note son directeur général, Laurent Dubois. C’est un signal très positif qui prend compte de l’année difficile. Ça nous fait dire que le gouvernement a conscience de ce que l’on traverse. Par contre, on a des inquiétudes. Québec mise beaucoup sur l’industrie, sur les producteurs, mais l’argent doit se rendre aux écrivains et aux écrivaines. » M. Dubois, tout comme Mme St-Onge, juge pressante la révision des lois sur le statut de l’artiste.

Du soutien au numérique

L’aide temporaire dans le secteur audiovisuel, programme géré par la SODEC qui vise à maintenir ou accélérer les tournages, sera reconduite, une dépense de 28,9 millions sur deux ans. Les acteurs de l’industrie se partageront en outre une enveloppe de 10,5 millions pour nourrir leur « ambition numérique ». Dans la dernière année, de nombreux producteurs et diffuseurs se sont tournés vers les webdiffusions. Ils pourront de nouveau compter sur un coup de pouce de Québec. D’autres champs du budget visent l’aide aux organismes et artisans culturels (33,6 millions) et la mise en œuvre d’initiatives culturelles (14 millions). « On peut penser que ces sommes vont être dirigées vers le Conseil des arts et des lettres du Québec et la SODEC, explique Catherine Voyer-Léger, directrice générale du Conseil québécois du théâtre. Selon nous, ce financement demeure nettement insuffisant. » Enfin, 50 millions seront débloqués pour faire le pont entre la culture et l’éducation.

Ils ont dit

La culture est une priorité réelle de notre gouvernement et nous le prouvons une fois de plus en lui consacrant un budget de 965 millions. Avec ce budget, notre gouvernement maintient ses investissements en culture à des sommets historiques. Nos investissements pour relancer le milieu culturel et soutenir nos artistes, artisans, travailleurs, entreprises et organismes culturels atteignent désormais près de 760 millions.

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, dans un courriel transmis à La Presse

Nous sommes confiants pour la suite des choses et nous sentons dans ce budget une volonté réelle du gouvernement d’aider les arts de la scène à s’en sortir.

Michel Sabourin, porte-parole de l’Association des salles de spectacles indépendantes du Québec

Cela contribuera à maintenir en place les équipes, leur expertise, tout en offrant aux Québécoises et Québécois des activités, quelles qu’elles soient, en fonction des règles sanitaires qui prévaudront d’ici le “vrai” retour à la normale.

Martin Roy, directeur général du Regroupement des évènements majeurs internationaux, dans un communiqué, en réaction à un ajout de 15 millions sur les deux prochaines années dans l’enveloppe du Programme d’aide aux festivals et évènements touristiques