(Québec) La bibliothèque Saint-Sulpice, édifice patrimonial convoité dans le Quartier latin de Montréal, n’est plus assurée depuis décembre « en raison de son inoccupation prolongée et du fait qu’aucun projet concret n’y est en cours de réalisation ».

Cette information obtenue par La Presse a été confirmée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), propriétaire de l’édifice depuis 2016. À l’époque, le gouvernement de Philippe Couillard avait confié à la société d’État le mandat de transformer le lieu en laboratoire techno pour adolescents. Le projet a toutefois été interrompu par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, qui n’a toujours pas annoncé la nouvelle vocation de l’édifice.

La critique de l’opposition officielle en matière de culture, la députée libérale Christine St-Pierre, se dit « très inquiète » de la situation dans laquelle se trouve Saint-Sulpice.

Ça signifie que le bâtiment est dans un état de détérioration très avancé, peut-être irréversible.

Christine St-Pierre, députée libérale

« La ministre est en poste depuis deux ans et demi. Elle est responsable de la protection du patrimoine », a rappelé Mme St-Pierre, alors que les parlementaires procèdent justement à l’étude détaillée du projet de loi 69 sur le patrimoine culturel.

Québec rejette le blâme

La ministre de la Culture, Nathalie Roy, a décliné les demandes d’entrevues de La Presse. Son cabinet nous a toutefois transmis par courriel une déclaration, affirmant être « déçu de constater que la société d’État ne remplit pas ses devoirs, même si le gouvernement lui a déjà rappelé à plusieurs reprises ».

BAnQ précise toutefois que son assurance en responsabilité civile couvre la bibliothèque Saint-Sulpice. Le bâtiment n’est toutefois plus assuré pour les bris ou autres détériorations qui pourraient survenir.

« À titre de propriétaire de la bibliothèque Saint-Sulpice, il est de la responsabilité de BAnQ de veiller à la protection et l’entretien du bâtiment, notamment en souscrivant à une couverture d’assurance. Nous sommes conscients de l’état actuel du bâtiment, effet de la négligence cumulée des gouvernements précédents. D’ailleurs, des interventions d’urgence ont été effectuées sous notre gouvernement », a écrit le cabinet de Mme Roy.

« Une somme de 21 millions de dollars est déjà [attribuée] à la bibliothèque Saint-Sulpice dans le cadre de l’entente de développement culturel entre le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal. [Cette somme] contribuera à redonner son lustre d’antan à ce bâtiment », ajoute-t-on.

Dégradation qui peut s’accélérer

La directrice adjointe des politiques d’Héritage Montréal, Taika Baillargeon, déplore que la bibliothèque Saint-Sulpice soit inoccupée depuis 15 ans et que l’immeuble se dégrade sans qu’aucun projet n’aboutisse.

Une fois que la dégradation est lancée, il faut s’en occuper rapidement, parce que sinon, ça peut aller vraiment, vraiment vite.

Taika Baillargeon, directrice adjointe des politiques d’Héritage Montréal

Le Devoir a rapporté jeudi que l’édifice de style Beaux-Arts, classé immeuble patrimonial en 1988, est aujourd’hui aux prises avec des infiltrations d’eau et que du matériel risque de moisir, alors que des fenêtres rouillées laissent passer l’air par de grands trous.

Mme Baillargeon réclame maintenant plus de transparence du gouvernement Legault quant à l’avenir de l’édifice. Celui-ci a plusieurs fois fait les manchettes ces jours-ci, étant convoité entre autres par Monique Giroux et Luc Plamondon, qui souhaitent y établir un espace consacré à la chanson québécoise. Le projet d’y installer la Fondation Riopelle est aussi dans l’air. Québec solidaire, avec l’appui du milieu du livre, propose pour sa part de transformer l’endroit en un « repère de la littérature québécoise ».

« S’il y a des projets sur la table, il faut le dire. Il faut aussi nous dire clairement lesquels, pour qu’on puisse se sentir en confiance et qu’on sente que la capitaine est en contrôle de son bateau », a affirmé la directrice d’Héritage Montréal.

Gérard Beaudet, expert en protection du patrimoine et professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, déplore pour sa part le fait que l’État « est dépositaire d’un bien commun [et qu’il agit comme si c’était] une bébelle à [lui] ».

« C’est un bien commun dont le Ministère est responsable, et il se comporte de manière irresponsable », a-t-il affirmé.