Contrairement aux produits locaux sur la carte du Carré Vert de la pimpante Mireille (Geneviève Brouillette), la légèreté ne s’affiche plus au menu des cinq téléromans en ondes à Radio-Canada et TVA. Leurs scénaristes creusent actuellement des histoires glauques, traumatisantes et « vraiment trop rushantes », dirait sans doute Camille Felton de Big Brother.

À lire vos courriels, cette accumulation de drames horribles, qui se répètent d’émission en émission, commence à vous miner le moral d’aplomb. Trop de violence, pas assez d’éclats de rire, récit déprimant, omniprésence du crime organisé, vous menacez de décrocher. De façon massive.

Oui, c’est sombre à Valmont, Sainte-Alice, Belleville, Laval et Montréal, bien sûr, où des adolescentes périssent sous les roues de camions, au fond d’une ruelle. La pandémie nous rentre déjà dedans solide. Pourquoi souffrir davantage en suivant le malheur fictif des autres ?

Et pourtant, et pourtant. Nous sommes masochistes, faut croire, car ces téléromans noirs cartonnent aux audimètres de la firme Numeris. Une autre histoire, L’échappée, 5e Rang, Alertes et Toute la vie occupent la moitié du top 10 des productions les plus populaires du petit écran québécois. Leurs cotes d’écoute se baladent entre 1 068 000 et 1 250 000 téléspectateurs les lundis et mardis.

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Maxim Gaudette dans 5e Rang

Dans cette « analyse », je n’inclus pas District 31, la série la plus regardée, car elle se déploie dans un format différent de ses camarades du palmarès. De toute façon, District 31 restera toujours dans une catégorie à part avec son équilibre parfait entre les badineries et les enquêtes macabres.

Moi, les trucs épouvantables que vivent les personnages à la télé me rassurent sur ma propre vie, c’est nono de même. Marie-Luce (Maude Guérin) manque de mourir asphyxiée dans un bunker de 5e Rang ? Finalement, je l’aime, mon appartement aux fenêtres sales où je passe 95 % de mon temps enfermé depuis un an !

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Hélène Bourgeois Leclerc dans Toute la vie

Le band de suprémacistes blancs Perfect Nation aurait inspiré une attaque au camion-bélier dans Alertes ? Finalement, c’est pas si dommageable que ça, du Maxime Landry, hein ?

Les enchaînements du lundi à TVA (L’échappée suivi d’Alertes) et du mardi à Radio-Canada (Toute la vie suivi de 5e Rang) renforcent cette impression de lourdeur.

L’échappée nous entraîne dans des séances étranges d’ESA, l’exploration systémique assistée — on se croirait dans une secte dangereuse —, pour traverser dans Alertes et sa recherche d’une fillette abandonnée par son père qui, lui, a tué 11 musulmans avec sa camionnette.

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Pierre-Luc Brillant dans L’échappée

Toute la vie navigue en ce moment dans un cas d’inceste, où le père (excellent Pierre-François Legendre) songe à se suicider, sans oublier la nouvelle Daphné (Marguerite Bouchard), enceinte à 18 ans et battue par son chum débile. Ah oui, la mère biologique de Tina (Hélène Bourgeois Leclerc) souffre de schizophrénie et refuse toute forme de contact. Et il y a Sassan (Lyna Khellef), qui se débat avec des intégristes pour sortir sa sœur d’un pays musulman hyper strict. Tout va bien.

Tout de suite après, dans 5e Rang, nous avons appris que le père de Camille (Marguerite Laurence), la fille de 5 ans de Kim (Catherine Brunet), était Réginald (Maxime de Cotret). Ce même Réginald a été en couple avec la grande sœur de Kim, Julie (Marie-Ève Milot), qui porte aussi son bébé. En résumé clair : les deux sœurs Bérubé auront des enfants du même père. Puis cet épisode s’est conclu sur une fusillade qui visait Simon (Simon Pigeon), mais qui a plutôt atteint son père (Jules Philip). Tout va bien (bis).

Je vous épargne ici la saga d’Anémone/Manon (Marina Orsini) enfermée dans un cercueil et les péripéties de la couturière meurtrière (Nathalie Coupal) d’Une autre histoire.

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Marina Orsina dans Une autre histoire

C’est certain qu’il faut diluer cet amas de tragédies avec un épisode d’Entre deux draps, des Mecs ou des Beaux malaises. L’œil du cyclone sur l’Extra de Tou.tv offre également un joli moment de répit. C’est savoureux.

Le seul téléroman qui n’exploitait pas à fond des catastrophes était L’heure bleue et la COVID-19 a retardé son tournage au point que nous avons pratiquement oublié toutes les intrigues. TVA ramènera L’heure bleue à sa grille en septembre. C’est dans cette période d’anxiété collective que l’on s’ennuie le plus d’Au secours de Béatrice, notre ancienne émission doudou du mercredi soir.

Je le répète : le côté obscur des téléromans ne m’atteint pas. Je préfère tellement que les auteurs de 5e Rang me parlent de fous furieux plutôt que de Fous de Food, pas vous ?

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Marc Beaupré dans Alertes

En terminant, avez-vous remarqué les noms figurant sur la liste des locataires de l’immeuble qu’a visité Tina dans Toute la vie ? Aux côtés de Christine Cormier, la mère biologique de Tina, on pouvait y lire le nom H. Boulier. Ce n’est pas un hasard.

Dans ma tête, c’était un clin d’œil de l’auteure à Henriette Boulier (Danielle Proulx), un personnage d’Unité 9 qui pourrait, en théorie, vivre dans un appartement supervisé, même si elle a hérité d’un manoir à Outremont. On se raccroche aux petits bonheurs qu’on peut, hein ?