Quiconque a déjà lu les écrits de sainte Thérèse d’Ávila a pu découvrir la ferveur mystique qui s’emparait d’elle par moments. Un non-croyant se demande alors si l’extase est une véritable manifestation de la foi ou si elle cache un trouble psychologique.

Rose Glass, jeune réalisatrice britannique de 30 ans n’ayant que quelques courts métrages à son compteur, nage dans ces eaux troubles avec son premier film, Saint Maud, qui prendra enfin l’affiche vendredi après avoir été reporté plusieurs fois en raison de la pandémie. Un film qui a laissé une forte impression dans plusieurs festivals, notamment au Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2020, où il a remporté le Grand Prix, ainsi que ceux de la critique, du jury jeunes et de la meilleure musique originale. Plus récemment, Rose Glass a été citée dans deux catégories des British Academy Film and Television Arts Awards (BAFTA) : meilleur réalisateur et meilleur scénario.

PHOTO SYLVAIN LEFEVRE, GETTY IMAGES

La réalisatrice britannique Rose Glass

Mais c’est lors de sa présentation au Festival international du film de Toronto en 2019 qu’il a attiré l’œil de la société A24, dont le logo est devenu un gage de qualité chez les cinéphiles, en particulier ceux friands de films d’horreur qui se hissent au-dessus de la mêlée par leurs angles originaux (pensons à The Witch, It Comes at Night, Hereditary ou The Lighthouse). Quand A24 a décidé de distribuer son film en Amérique du Nord, Rose Glass n’en revenait pas. « Ç’a été une agréable surprise », nous a-t-elle confié en entrevue téléphonique, de son appartement à Londres, au printemps dernier. « C’est incroyable. Ça va toucher beaucoup plus de gens. »

Il y a probablement plus de saintes dans le panthéon religieux que de réalisatrices de films d’horreur dans l’histoire du cinéma, mais c’est quelque chose qui est en train de changer rapidement quand on pense aux réalisations de Claire Denis, Sophia Takal, Marina de Van, Jennifer Kent, Karyn Kusama, Julia Ducournau ou Jennifer Lynch, que Rose Glass va aller rejoindre avec ce Saint Maud tout ce qu’il y a de plus angoissant. La cinéaste, qui a aussi écrit son scénario, a imaginé une histoire pas mal tordue, dans laquelle une jeune infirmière très pieuse et solitaire, Maud (Morfydd Clark), s’entiche d’Amanda (Jennifer Ehle), une patiente dont elle s’occupe, ancienne danseuse célèbre à l’esprit très libre, qui combat un cancer. Les problèmes commencent lorsque Maud se donne pour mission de sauver l’âme d’Amanda, qui n’a pourtant rien demandé.

Rose Glass, qui avoue aimer les histoires étranges et les drames psychologiques — Repulsion de Roman Polanski aurait été une de ses influences —, voulait surtout que l’on aborde son film selon la perspective de Maud. « J’étais intéressée par le contraste entre la bulle privée dans laquelle nous vivons dans notre tête et la manière dont le reste du monde nous voit, et aussi par la manière dont nous devons nous protéger, explique-t-elle. Nous expérimentons tous la réalité de façon très subjective. Je voulais faire un film qui nous plonge profondément dans la tête d’une femme qui vit une sorte de rupture avec la réalité. »

Après des mois de confinement, la solitude tragique de Maud nous rejoint encore plus. Rose Glass a trouvé en Morfydd Clark (qu’on a pu voir dans Pride and Prejudices and Zombies) l’interprète idéale, qui réussit tout autant à nous émouvoir qu’à nous effrayer, avec juste ce qu’il faut de vulnérabilité et d’étrangeté. Car Maud évolue dans un monde sans pitié, où sa piété ne la protège en rien, et surtout pas d’elle-même. On finit par se demander si elle est vraiment « appelée » par Dieu ! « Pour moi, l’idée était que le public devait être du côté de Maud, même lorsqu’elle fait des choses terribles, note Rose Glass. Nous avions donc besoin d’une actrice avec un registre incroyable, le genre d’actrice qu’on ne peut quitter des yeux pendant tout le film, mais aussi une personne qu’on peut imaginer avoir été ignorée toute sa vie. »

Rose Glass demeure volontairement à la frontière entre le rêve éveillé et la réalité, donnant très peu d’informations sur le passé de Maud, et cela, jusqu’à l’image finale, qui en laissera plus d’un tétanisé. « Ç’aurait pu être raconté comme l’histoire d’une infirmière traumatisée qui a des problèmes mentaux, mais j’avais beaucoup plus envie de raconter l’histoire de son point de vue — et de son point de vue, elle est vraiment investie d’une mission, épique et terrifiante par moments. Elle expérimente des extases religieuses, sombres et choquantes. Mais avant tout, je voulais juste faire un film excitant et très divertissant. »

Puisque son film a fait le buzz, comme on dit, et a reçu un accueil chaleureux dans tous les festivals — même le réalisateur oscarisé Bong Joon-ho l’a fait figurer dans sa liste des 20 cinéastes à suivre en 2020 —, quelles sont ses attentes ? « Je ne sais pas ! lance-t-elle, visiblement fébrile. Tant que les spectateurs ne s’ennuient pas, je suis contente. Qui sait ? On verra ! »

Saint Maud, de Rose Glass, sera offert en vidéo sur demande à partir du 12 février.