Donald Trump s’en va. Il s’en trouve des dizaines de millions pour le regretter. En revanche, ils seront peu nombreux parmi les artistes à pleurer son départ le 20 janvier.

On aurait pu croire que dans l’adversité de la présidence Trump, les artistes seraient inspirés à créer comme jamais. Il n’en est rien, estime la chroniqueuse Judy Burman dans un texte du magazine Time publié la semaine dernière (Donald Trump’s Presidency Was Supposed to Be Great for Art. It Wasn’t). Selon la journaliste, depuis quatre ans, Donald Trump a surtout polarisé les opinions dans une logique binaire caricaturale et canalisé chez les artistes une colère qui n’a provoqué en retour qu’un élan créatif souffreteux.

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Donald Trump

La nuance, estime Judy Burman, fut la première victime culturelle de l’ère Trump. Le président américain est devenu la cible facile de gags douteux, sinon le proverbial méchant de toutes les histoires à faire peur. Le dindon de la farce éculée, le bouffon obèse sur qui projeter toutes ses doléances, une métaphore ambulante du déclin de l’empire et du nouveau règne de l’indécence.

Trump a-t-il poussé les artistes à se dépasser, à se surpasser, à transcender leur discipline ? Il semble plutôt les avoir asphyxiés, à force de respirer tout l’oxygène ambiant en occupant tout l’espace médiatique.

À l’image des sketchs de l’émission Saturday Night Live, les humoristes ont été condamnés à reproduire l’original, en moins comique (depuis son animation controversée de l’émission, au début de la campagne électorale de 2016). Ils ont eu beau s’époumoner à ridiculiser Trump depuis quatre ans, ils ne sont jamais arrivés à la cheville du principal intéressé.

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Alec Baldwin, qui personnifie Donald Trump, et Jim Carrey (Joe Biden) durant un sketch de l'émission Saturday Night Live le 3 octobre 2020

Sarah Cooper a bien compris que Donald Trump était un personnage plus grand que nature, que l’on n’arriverait pas à parodier tellement il est une caricature de lui-même. L’humoriste a connu un succès retentissant en interprétant sur les réseaux sociaux les mots du président sortant, doublant ses déclarations les plus absurdes en y ajoutant d’hilarantes mimiques et roulements d’yeux. Sarah Cooper a illustré à elle seule le vacuum culturel qu’est Donald Trump. L’émission spéciale qu’elle a présentée sur Netflix n’était d’ailleurs pas aussi comique que ses courtes capsules sur TikTok.

Les animateurs des émissions de fin de soirée américaines ont eux aussi fait leurs choux gras de la présidence Trump (The gift that keeps on giving, selon l’expression anglaise consacrée), mais riaient de plus en plus jaune-orange (s’cusez-la) au fil du temps. J’en suis moi-même venu à ne plus distinguer le ton d’un monologue de Jimmy Kimmel à ABC et celui d’un éditorial de Don Lemon à CNN. Le numéro de stand-up et le billet sardonique s’abreuvant aux mêmes sources d’indignation.

On l’a répété souvent : un roman, une télésérie ou un film dont l’arc narratif comprendrait autant de rebondissements que la présidence Trump – même en un seul mois – serait jugé invraisemblable. Chaque fois que l’on a cru que Trump avait atteint le fond du baril, il a trouvé le moyen de creuser encore pour s’enfoncer davantage dans l’indigne, l’abject et l’abyssal.

Plutôt que d’inspirer les artistes, le 45e président des États-Unis les a surtout exaspérés. Peu d’entre eux ont trouvé grâce à ses yeux, à l’exception de ses plus ardents supporters : Ted Nugent, Scott Baio, Randy Quaid ou encore James Woods.

Depuis quatre ans, Donald Trump a ouvertement méprisé, non seulement quantité d’artistes, mais des institutions culturelles publiques déjà fragilisées. Il a promis de leur couper les vivres, des grenailles dans le budget fédéral, afin que le mode de financement de ces organisations nationales – théâtrales, muséales, musicales, voire médiatiques –, piliers de la vie artistique aux États-Unis, soit réduit à néant. Heureusement, une fois de plus, il n’a pas tenu ses promesses.

Dans un pays où la culture n’a jamais eu droit à l’équivalent d’un ministre de la Culture, les lois du marché occupent une place capitale. Ce sont les seules lois auxquelles semble obéir Donald Trump. Ce qu’il considère comme de la culture valant la peine d’exister est celle qui est rentable, en espèces sonnantes et trébuchantes. La culture commerciale du rouleau compresseur américain, qui sera la principale à subsister au sortir de la présente crise sanitaire. À commencer par les blockbusters hollywoodiens, auxquels seront confrontés, tout sauf à armes égales, les films indépendants dans ce qu’il restera de salles de cinéma aux États-Unis.

Le legs non seulement politique, mais culturel de l’ère Trump est désolant. La crise de la COVID-19, qu’il a minimisée depuis le début, a mis en péril des secteurs culturels entiers (notamment le cinéma et le théâtre).

En peu de temps, l’image de marque américaine a été grandement abîmée. Le rêve américain, magnifié par le rayonnement mondial de sa culture, fait moins rêver.

Après le désert culturel trumpien, Joseph Biden – que l’on verrait dans le rôle rassurant du patriarche dans un téléroman intitulé Papy a raison – sera-t-il le sauveur tant souhaité par les artistes ? demande mon collègue Charles-Éric Blais-Poulin.

Le milieu culturel américain ne devrait pas fonder trop d’espoirs en lui. Le président Barack Obama, pour toutes ses prescriptions culturelles inspirantes sur les réseaux sociaux (il publie chaque année sa liste des meilleurs livres, albums, séries et films), n’a pas pour autant investi des sommes conséquentes dans les arts pendant ses deux mandats. Et il aurait résisté aux représentations de Quincy Jones de nommer à son gouvernement un responsable d’un portefeuille culturel.

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Barack Obama en conférence durant la campagne de Joe Biden à Miami, en Floride, le 2 novembre 2020

Il reste que contrairement à Donald Trump, que l’on n’a jamais vu faire la promotion des arts et des artistes, Barack Obama était bien davantage un allié qu’un ennemi. Ce que devrait être, selon toute logique, Joe Biden. (Pour l’anecdote, lorsqu’il était vice-président, à l’été 2016, Biden a suggéré une liste de ses chansons préférées pour la plateforme Spotify qui incluait Hallelujah, de Leonard Cohen, dans la version de k. d. lang.)

Le président américain considéré comme le plus proche du monde des arts était sans aucun doute John F. Kennedy. Son nom a d’ailleurs été associé peu après son assassinat au nouveau Centre national des arts de Washington. Quoique certains prétendent que c’est son épouse Jacqueline qui était la véritable pasionaria des arts dans le couple et que Jack s’intéressait surtout au pouvoir géostratégique de la culture américaine.

« Les arts incarnent la créativité d’un peuple libre, a écrit un jour un président américain. Lorsque l’impulsion créative ne peut pas fleurir, lorsqu’elle ne peut pas librement choisir ses méthodes et ses objets, lorsqu’on lui a retiré sa spontanéité, alors la société coupe les racines de l’art. »

Un indice : ce n’était pas Donald Trump.