La culture a fait l’objet d’un débat, lundi, à l’Université de Montréal. Il a été question de soutien au secteur culturel, durement frappé par la pandémie, mais surtout de la réforme de la Loi sur la radiodiffusion – le défunt projet de loi C-10 –, dont l’adoption a été court-circuitée par le déclenchement des élections, selon les partis de l’opposition.

Le débat, organisé par la Coalition pour la diversité des expressions culturelles et le département de communications de l’Université de Montréal, était animé par Catherine Perrin. Il mettait aux prises Alexandre Boulerice (Nouveau Parti démocratique), Martin Champoux (Bloc québécois), Mathieu Goyette (Parti vert), Steven Guilbeault (Parti libéral) et Steve Shanahan (Parti conservateur).

L’animatrice a rappelé d’entrée de jeu l’importance du secteur culturel au pays, soulignant qu’il emploie plus de 655 000 personnes. Le PIB de la culture excède en outre 57 milliards, soit davantage que l’agriculture, l’automobile ou l’extraction des ressources naturelles, du pétrole et du gaz naturel.

Steven Guilbeault, qui a été ministre du Patrimoine canadien au cours du dernier mandat libéral, a fait valoir les investissements « historiques » réalisés par le gouvernement Trudeau pour soutenir la culture ces derniers mois, notamment à travers la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la subvention salariale. Des programmes que le NPD souhaite « élargir » et que le Bloc voudrait « pérenniser » pour éviter que les créateurs et professionnels du domaine de la culture quittent le milieu et se recyclent dans d’autres secteurs.

L’enjeu du numérique

L’incontournable impact de la pandémie a vite cédé la place à l’enjeu qui a occupé la part la plus importante du débat : la culture à l’ère numérique et la mise en valeur du contenu canadien. « On est en retard de 20 ans », a d’abord déploré Martin Champoux.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Alexandre Boulerice, du NPD, Martin Champoux, du Bloc québécois, et Mathieu Goyette, du Parti vert

Le candidat bloquiste a jugé que le projet de loi C-10 présenté à l’automne 2020, qui visait notamment à forcer les géants de l’internet à contribuer financièrement à la création d’œuvres canadiennes, était « plein de trous ». Il a également critiqué le « travail de démolissage » effectué par les conservateurs. « C’est un projet de loi dont l’industrie a absolument besoin », a-t-il insisté. Le NPD, aussi d’accord sur le fond de la refonte lancée par les libéraux, a quant à lui accusé le gouvernement sortant d’avoir « laissé tomber le secteur culturel en déclenchant une élection ».

Steve Shanahan, du Parti conservateur, a estimé qu’il y avait unanimité sur « 90 % » du projet de loi, mais a reproché au gouvernement libéral de refuser d’évaluer des aspects problématiques, comme le fait que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) aurait pu dire aux utilisateurs ce qu’ils peuvent mettre ou non sur YouTube. « Cette idée-là que le CRTC allait commencer à décider si mon beau-père pouvait publier ses vidéos de chats, c’est un mensonge, a répliqué Steven Guilbeault. Le projet de loi ne prévoyait pas donner ces pouvoirs-là au CRTC. Le CRTC ne peut pas faire ce genre de choses là. »

Visibilité du contenu canadien

L’importance de demander aux géants de l’internet et aux plateformes de diffusion en continu comme Spotify ou Netflix de contribuer à financer des œuvres canadiennes a semblé faire consensus. Les moyens à prendre pour mettre en valeur les œuvres canadiennes et québécoises n’ont pas suscité la même unanimité. Cette « découvrabilité » est toutefois « cruciale », selon Alexandre Boulerice, du NPD.

On doit aller plus loin. Par exemple, être capable d’avoir des règles pour l’algorithme de YouTube pour que les créateurs, les chanteurs, les chanteuses d’ici puissent être vus par les gens quand ils font des recherches sur YouTube.

Alexandre Boulerice, candidat du NPD dans la circonscription de Rosemont–La Petite-Patrie

La position de M. Boulerice allait totalement à l’encontre de celle des conservateurs. « Pour moi, c’est impossible de permettre au CRTC de contrôler les algorithmes qu’utilisent ces entreprises-là », a affirmé Steve Shanahan.

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Steven Guilbeault, du Parti libéral, et Steve Shanahan, du Parti conservateur

Le candidat conservateur a avancé que les fonds récoltés auprès des géants du numérique, qui devraient, selon lui, verser une taxe de 3 % sur leurs revenus, pourraient notamment permettre aux créateurs de contenus d’acheter de la publicité pour se démarquer sur ces plateformes. Les libéraux et les bloquistes ont dit ne pas vouloir se mêler des algorithmes, mais ont parlé de résultat pour la mise en valeur du contenu canadien par les géants du numérique. « Peu importe comment ils programment, moi, ce [dont] je veux m’assurer, en tant que ministre du Patrimoine, c’est que les artistes québécois, québécoises, canadiens, canadiennes, soient mis en valeur, a-t-il affirmé. C’est une obligation de résultat. »

Refonte du droit d’auteur

Les candidats réunis pour le débat ont tous estimé qu’une refonte de la Loi sur le droit d’auteur était nécessaire, mais n’ont pris aucun engagement spécifique, puisqu’il s’agit selon eux d’une question extrêmement complexe qui demandera du temps à résoudre. Martin Champoux a évoqué un « chantier » de deux ans.

Steven Guilbeault a souligné que, dans l’intervalle, le gouvernement libéral s’est engagé à verser 40 millions pour pallier le principal défaut de la législation actuelle, l’utilisation « équitable » des œuvres (essentiellement les livres) dans le monde de l’éducation. Alexandre Boulerice a affirmé qu’un gouvernement néo-démocrate pourrait moderniser cette loi à l’intérieur d’un mandat de quatre ans.

Interrogé sur les institutions qui devraient faire l’objet d’une intervention, soit sous la forme d’un soutien financier ou d’une réorientation, le candidat conservateur s’est démarqué en disant vouloir scinder CBC et Radio-Canada en deux entités distinctes avec des conseils d’administration séparés. Le NPD a prévenu qu’une telle scission aurait « des impacts majeurs sur Radio-Canada » étant donné que les deux entités partagent des ressources.