En dépit du souhait des organisateurs de festivals, l’instauration du passeport vaccinal ne permettra pas aux grands évènements d’alléger les mesures sanitaires sur leurs sites à l’automne. Cette annonce faite mardi par le gouvernement est accueillie avec déception et résignation, alors qu’on anticipe des engorgements à l’entrée, des coûts supplémentaires et une baisse d’achalandage.

« On est déçus », lâche au téléphone Laurent Saulnier, vice-président à la programmation des Francos et du Festival de jazz, joint par La Presse juste après la conférence de presse de mardi après-midi menée par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

« On aurait aimé pouvoir accueillir plus de personnes dans les festivals, dit-il. Je pense que ça aurait donné une certaine équité : les gens doivent être doublement vaccinés, donc il y a moins de risque de propagation, alors on aurait aimé certains allégements. »

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Laurent Saulnier, vice-président à la programmation des Francos et du Festival international de jazz de Montréal

Le grand manitou des évènements montréalais défend toutefois avec ferveur la position de L’Équipe Spectra, organisatrice des Francos et du Jazz : « On fait confiance aux spécialistes, personne chez nous n’est expert en épidémiologie et on fait partie de ceux qui croient que la science doit avoir raison sur plein d’affaires. »

Le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, a affirmé mardi en point de presse qu’« il n’y aura pas d’allégements » dans les lieux concernés par le passeport. « On y va avec les mêmes protocoles qui sont en vigueur. Ce n’est pas parce qu’il y a le passeport vaccinal qu’on va changer les protocoles en vigueur », a-t-il dit.

La peur de la rentrée

Le passeport vaccinal vient pourtant changer du tout au tout la façon dont les festivals doivent s’organiser. Si les organisateurs voyaient a priori d’un bon œil sa mise en place, c’était en espérant que des mesures comme la jauge de 15 000 personnes par site ou la délimitation des zones (500 personnes maximum par zone) soient allégées.

Alors qu’on apprend officiellement qu’il n’en sera rien, Martin Roy, président-directeur général du Regroupement des évènements majeurs internationaux (RÉMI), qui représente notamment le festival Osheaga, les Francos et Juste pour rire, a déjà eu le temps d’ajouter la résignation à la déception. « Le point de presse [de mardi] est le point culminant de deux semaines de travail avec [le ministère de] la Culture et [celui du] Tourisme », dit M. Roy, qui voyait bien venir le mur quant aux questions d’assouplissement.

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Martin Roy, PDG du RÉMI

Pourquoi la Santé publique et le gouvernement n’ont-ils pas répondu favorablement aux demandes des festivals ? Comme l’a dit le ministre Dubé mardi, les autorités craignent la rentrée et l’accroissement du nombre de cas qu’elle pourrait entraîner. On pensait que le répit de cet été se prolongerait pendant l’automne, mais il est désormais évident que ce ne sera pas le cas. « Ils veulent voir quels effets la rentrée aura avant de faire quoi que ce soit, rapporte Martin Roy. On nous a dit qu’ils vont revoir les restrictions à la mi-octobre. Mais rendu là, les festivals seront terminés… »

Au ministère de la Culture et des Communications, on indique à La Presse que « selon les recommandations de la Santé publique, l’augmentation de la jauge n’est pas possible pour l’instant ». « Notre gouvernement continuera de soutenir le milieu culturel grâce aux programmes mis en place dans le cadre de notre plan de relance en culture », nous a-t-on simplement répondu.

Des délais serrés

« On comprend que c’est compliqué de gérer tout ça, mais on espérait avoir des assouplissements, surtout en regardant ce qui se passe dans les autres provinces et aux États-Unis, affirme Nick Farkas, vice-président à la programmation des concerts et des évènements d’evenko (Osheaga, îleSoniq). Mais comme tout le monde, notre priorité numéro un reste que tout soit sécuritaire. »

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Nick Farkas, vice-président à la programmation des concerts et des évènements d’evenko

Evenko suivra donc les consignes tout en favorisant l’expérience des festivaliers et des artistes, tous québécois et canadiens cette année. À quatre semaines du lancement d’îleSoniq, il en reste beaucoup à faire, reconnaît Nick Farkas, qui fait confiance à son équipe « très débrouillarde ».

Les organisateurs des festivals de l’automne ont été mis au courant en même temps que le reste de la population, mardi, de la manière dont fonctionnera le passeport vaccinal. Les délais pour appliquer les consignes sont serrés. « On avait soulevé trois problèmes le 10 août [lors de l’annonce de l’instauration du passeport], dont l’un était les délais trop serrés, affirme Martin Roy. Ils le sont encore, mais on accueille favorablement les deux semaines de plus. » En effet, le ministre Dubé a expliqué mardi qu’il n’y aurait pas de sanctions jusqu’au 15 septembre si la nouvelle mesure n’était pas encore mise en place de façon optimale.

Le deuxième problème soulevé concernait les assouplissements et le troisième, les festivaliers venant de l’extérieur du Québec. S’ils peuvent se procurer l’application québécoise pour montrer leur preuve de vaccination, on estime encore au RÉMI qu’il faudra faire un grand nombre de vérifications manuelles pour les visiteurs étrangers, ce qui viendra forcément réduire l’efficacité aux entrées des évènements.

Moins de ventes, plus de main-d’œuvre

Au Festival western de Saint-Tite, on se demande aussi comment gérer les festivaliers et compétiteurs des États-Unis et du reste du Canada, habituellement très nombreux. Parce qu’il faudra demander le passeport vaccinal, une pièce d’identité et un billet à l’entrée, « on s’attend à ce qu’il y ait de l’attente pour les festivaliers », s’inquiète Mélanie Comtois, coordonnatrice à la commercialisation et équipe spectacles. Elle constate aussi que les billets se vendent moins, que les annulations sont plus fréquentes. « La situation pourrait décourager certains festivaliers, constate Laurent Saulnier. Dans les dernières semaines, l’annonce du passeport a ralenti les ventes et on a eu des demandes de remboursement. Ça va avoir un impact. »

Les mesures forceront les festivals à engager plus de main-d’œuvre, notamment des employés qui devront s’occuper de numériser les passeports vaccinaux. « Ça prend des gens pour opérer tout ça, commente M. Saulnier. Est-ce que les festivaliers devront passer deux barrières ? Est-ce que le processus va prendre beaucoup plus de temps ? Il y a plein d’affaires pour lesquelles on ne sait pas comment on va procéder. On n’est pas encore rendus là. »

Pourtant, les Francos, prévues du 9 au 12 septembre, approchent à grands pas. C’est une course contre la montre pour les promoteurs, mais « ça fait un an et demi qu’on a des plans qu’on fait, qu’on défait, qu’on met à la poubelle, qu’on réinvente, dit Laurent Saulnier, qui préfère relativiser les choses. C’est rendu notre quotidien ! »

Laurent Saulnier considère qu’il faudra relever un « vrai défi de communication » pour que les gens sachent qu’ils doivent avoir leur preuve vaccinale prête à l’entrée des évènements.

À l’approche de la saison automnale, les organisateurs restent positifs. « On est chanceux de pouvoir compter sur notre talent québécois et canadien, affirme Nick Farkas, alors qu’Osheaga dévoilera sa programmation complète prochainement. J’ai juste hâte de présenter des évènements ! »

Le Festival de montgolfières de Gatineau n’a pas pu s’entretenir avec La Presse sur le sujet, justement parce que les responsables sont dans un blitz organisationnel, à quelques jours du lancement, le 2 septembre.

Laurent Saulnier, désormais habitué de « naviguer à l’aveugle », n’ose qu’espérer. « Tout ce qu’on peut faire, c’est croiser les doigts et les orteils en espérant que tout se passera bien ! »

Consultez la programmation des Francos dévoilée mardi