Chaque semaine, des journalistes des Arts de La Presse nous font le récit d’une anecdote vécue lors de la couverture d’un évènement culturel. Le plus grand malaise qu’ils ont ressenti, le moment le plus stressant d’une affectation, le spectacle le plus amateur qu’ils ont vu, l’entrevue la plus pénible, etc. Voici leurs témoignages. Bonne lecture !

Xavier Dolan n’avait pas présenté au public le moindre film lorsque je l’ai interviewé en 2009 avant son départ pour le Festival de Cannes, où il a fait fureur avec J’ai tué ma mère. Denis Villeneuve n’était pas l’un des cinéastes les plus en vue de Hollywood lorsque je l’ai interviewé en 2001 au Festival de Berlin avant la présentation de Maelström (et un long hiatus). En 2005, avant de me rendre au Festival de Cannes en bifurquant par Paris pour rencontrer Marie-Josée Croze, à l’aube d’une carrière française et internationale (chez Steven Spielberg notamment), j’ai suivi – en tournée en Angleterre – le groupe montréalais Arcade Fire, qui venait d’être révélé grâce à l’album Funeral. Le premier spectacle avait lieu à Birmingham, deuxième ville du pays, dans une petite salle d’à peine 100 spectateurs. J’avais rencontré Win Butler et Régine Chassagne par hasard, dans la rue, l’après-midi même. Ils marchaient incognito. À la fin du spectacle, un videur qui ne l’avait pas reconnu a demandé à Butler de quitter la salle avec les autres spectateurs. Il en avait été vexé et en était presque venu aux coups. Il n’était pas une star, mais il se croyait déjà une star. À peine cinq ans plus tard, Arcade Fire remplissait le Madison Square Garden et remportait le Grammy de l’album de l’année.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Lapointe photographié par La Presse en 2004

« C’est déjà fini ? », a lancé Pierre Lapointe. Je venais d’arrêter mon enregistreuse. L’échange durait depuis plus d’une heure, ce qui est assez long pour une entrevue (surtout avec un débutant), alors sa réaction m’avait bien fait rigoler. C’était en 2004. Je me souviens d’un gars concentré et précis. Sincère et soucieux de se faire comprendre, conscient des influences qu’il affichait. Rien à voir avec le personnage hautain qu’il incarnait sur scène pour combattre le trac et attirer l’attention. Son album homonyme témoignait de son intelligence artistique et de sa finesse, mais ce n’est qu’au suivant, La forêt des mal-aimés, qu’il s’est vraiment révélé. Je garde aussi un souvenir très vif de ma première rencontre avec Ariane Moffatt, en juin 2002, à la terrasse d’un café de l’avenue du Mont-Royal. Il faisait soleil. Elle riait beaucoup. De nervosité. Pas trop sûre de savoir jusqu’où se révéler non plus. Mais elle aussi savait ce qu’elle faisait : son envie d’« acoustifier l’électronique » et d’« électronifier l’acoustique », ce n’était pas des mots lancés en l’air parce que ça sonnait bien, c’était un projet artistique bien mûri. Qui l’a menée au sommet, dès son premier essai. Être là au tout début de parcours comme ça, c’est une chance.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marion Cotillard, lors de son passage à Montréal en 2007 pour faire la promotion de La vie en rose, un an après avoir présenté A Good Year, de Ridley Scott.

Elle était déjà connue, ayant même déjà remporté le César de la meilleure actrice dans un second rôle grâce à sa performance dans Un dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet. Quand je l’ai interviewée pour la première fois, Marion Cotillard accompagnait la présentation d’A Good Year, comédie légère de Ridley Scott (qui n’est pas passée à l’histoire), au festival de Toronto en 2006. À cette époque, l’actrice française avait déjà prouvé qu’elle pouvait offrir beaucoup plus que le personnage qu’elle avait joué dans Taxi, mais elle n’avait pas encore été consacrée mondialement grâce à son incarnation d’Édith Piaf dans La vie en rose. Karine Vanasse était âgée de 15 ans quand nous avons parlé d’Emporte-moi, le film de Léa Pool qui l’a révélée. Son aplomb et sa maturité m’avaient grandement impressionné. Il y a près de 30 ans, j’ai par ailleurs reçu à une émission de radio dont j’étais l’animateur un jeune homme brillant, qui avait déjà une conception précise du cinéma qu’il souhaitait proposer. Denis Villeneuve revenait alors de la Course Europe-Asie et s’apprêtait à réaliser REW-FWD, son premier court métrage. Comme disent nos amis anglos, the rest is history !

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Josée Croze photographiée par La Presse en 2003, après avoir remporté le prix de la meilleure interprète féminine dans Les invasions barbares, à Cannes.

Juste avant que Les invasions barbares, de Denys Arcand, soit présenté à Cannes, les entrevues à propos du film se sont déroulées à Montréal. J’avais fait pour l’occasion un portrait de Marie-Josée Croze, qui n’avait alors à son CV que quelques films, le plus important étant probablement Maelström, de Denis Villeneuve. J’ai découvert une femme qui n’avait pas la langue dans sa poche, extrêmement franche et directe. Elle parlait sans problème de ses frustrations d’actrice au Québec, de son écœurement des tournées de promotion quand elles s’étirent, jusqu’à confier qu’elle n’avait pas peur du tout de la mort et que son fantasme était de mourir en avion. « Dans un gros avion, avec beaucoup de gens, avait-elle précisé. Ça me fascine, la mort soudaine, par accident. C’est la meilleure façon de s’en aller. Ça doit être tout un buzz de mourir toute une gang en même temps. » Six semaines plus tard, elle allait apprendre en direct du plateau de l’émission de Christiane Charette qu’elle venait de remporter le Prix d’interprétation féminine à Cannes. Dès lors, tout le monde lui courait après, moi comprise, et elle m’avait alors dit à propos de son expérience après Maelström : « Des gens ont pensé que j’étais la fille d’un seul film. Moi, je savais que ce n’était pas ça. Je les trouvais un peu caves, mais je ne me suis jamais obstinée… car je suis une très mauvaise vendeuse de moi-même. Au fond de moi, je riais et je me disais : ils verront bien. » Marie-Josée Croze a ensuite poursuivi sa carrière d’actrice en Europe avec quelques sauts au Québec et, chaque fois que je l’ai interviewée, j’ai pu constater qu’elle n’avait rien perdu de son franc-parler.