Louise Portal passe le plus clair de son temps au Saguenay. Alexandre Castonguay a fait de Rouyn-Noranda sa maison. Christian Bégin a craqué pour Kamouraska. Geneviève Jodoin s’est enracinée à L’Île-aux-Coudres. Même si leurs métiers de comédien et de chanteuse les obligent à multiplier les déplacements vers Montréal, ils ont fait le pari de vivre à plus de quatre heures de route de la métropole.

Alexandre Castonguay fait entre 12 et 15 allers-retours Abitibi-Montréal par année. À 240 $ le billet, on peut se demander s’il travaille pour se déplacer ou s’il se déplace pour travailler. En mars dernier, il a publié J’attends l’autobus, dans lequel il réfléchit sur ses choix de vie et le défi pour les artistes d’occuper le territoire.

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Alexandre Castonguay

« Cette relation régions-métropole voulant que les régions fournissent les ressources [matières premières, personnes] et que la grande ville les transforme pour nous les renvoyer au gros prix, c’est insensé, explique l’acteur qui s’est fait découvrir dans le film La rage de l’ange. On ne peut pas perpétuer à jamais l’idée que la réussite consiste à aller dans les grands centres. »

Le créateur n’est pas anti-Montréal, mais il a senti qu’il ne pouvait pas y vivre. Après quatre ans d’études en interprétation à Saint-Hyacinthe et un bref détour dans la métropole, il a décidé de retourner à Rouyn. « Je n’avais pas la personnalité faite pour être dans ce milieu-là. » Son propos est clair et assumé, mais il a vite réalisé qu’il devait justifier sa décision à tous. Même à lui. « Je dois m’autoconvaincre d’être ici, dit-il. Je ne crois pas qu’un Montréalais doive livrer cette bataille avec lui-même tous les jours. »

L’entourage de Christian Bégin était lui aussi réfractaire à l’idée que le comédien et animateur achète une maison à Kamouraska, il y a 11 ans.

On me disait que ça n’avait pas de bon sens de vivre à 400 km de Montréal. Mon fils et sa mère étaient un peu en colère. Aujourd’hui, ils comprennent mieux.

Christian Bégin, comédien et animateur

Il a entendu l’appel du Bas-Saint-Laurent en y tournant une émission de Curieux Bégin. « Peu après, j’avais émis le souhait qu’on me tienne au courant s’il y avait une maison à vendre. J’ai lancé ça dans les airs sans y croire. Mais quand on m’a appris qu’une maison était sur le marché et que je l’ai visitée, j’ai eu le sentiment d’être rendu chez moi. »

Se décrivant comme une « bête hyperactive qui a toujours les quatre ronds allumés à high », il a développé un nouveau rapport au temps, au territoire et aux gens. « C’est un lieu d’apaisement et d’enracinement pour moi. Ça représente aussi mon futur. À un moment donné, je vais arrêter de faire tourner le ballon sur mon nez. »

Retour aux origines

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Louise Portal

C’est un peu ce qui s’est produit récemment pour Louise Portal. Plus de 50 ans après avoir quitté le Saguenay pour étudier le théâtre et entreprendre une carrière florissante de comédienne et de chanteuse, elle a acheté une maison au Saguenay, où elle passe désormais la majorité de son temps. « Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je reviendrais vivre dans ma région natale, mais mon instinct a senti que j’avais une boucle à boucler ici. » Une suite logique pour celle qui a moins de rôles qu’à 50 ans. « Je reconnecte avec Louise Lapointe, mon vrai nom, après que Louise Portal a pris toute la place. Ce n’est plus elle, le centre de ma vie. »

La chanteuse Geneviève Jodoin a acheté une auberge à L’Île-aux-Coudres en 2012, en se voyant y vivre à moyen terme avec ses enfants et son amoureux, lui aussi musicien. « On voyait le déclin de l’industrie musicale. C’était plus difficile d’en vivre. En faisant les comptes et en analysant où nos enfants étaient rendus dans leur cycle de vie, on sentait que c’était le bon moment pour faire une coupure et vivre autre chose. »

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Geneviève Jodoin

Après un déménagement en 2015, elle a choisi de faire carrière à distance. « Je n’ai jamais arrêté la musique, même si j’ai vécu des années un peu moins fastes. Comme nous avions un manque de personnel épouvantable à l’auberge, je suis devenue cuisinière à longueur de jour pendant trois ans, jusqu’à ce que je m’inscrive à La voix. »

Sa victoire à la populaire émission en 2019 lui a permis de reprendre les tournées et d’être fréquemment invitée à la télévision. Résultat : elle connaît par cœur la route qui la sépare de Montréal.

« Dès que j’ai déménagé, j’ai acheté une voiture hybride, parce que j’angoissais à l’idée de brûler du gaz. Éventuellement, je vais acheter un modèle électrique pour me déculpabiliser. Cela dit, je ne vais jamais à Montréal seulement pour un show. J’en profite pour voir des gens et faire des courses pour l’auberge. » En ce qui concerne l’hébergement, elle loge à l’hôtel quand les productions le lui proposent. Sinon, elle visite sa famille.

Des choix ou des sacrifices ?

Louise Portal a un amoureux qui l’accompagne dans tous ses longs déplacements, elle possède un pied-à-terre à Saint-Lambert et elle choisit avec minutie ses activités. « Je ne passe plus d’auditions depuis deux ans. Je veux encore jouer et je rêve d’un rôle comme celui d’Andrée Lachapelle dans Il pleuvait des oiseaux, mais mon actrice est en semi-retraite. Quand tu fais du temps pour la vie, l’amour, la nature et la tranquillité, il faut faire des choix. »

Heureusement, la vie s’arrange pour l’aider. « Récemment, j’ai joué dans un film de Ricardo Trogi et un autre de Luc Picard. J’avais cinq jours de tournage au total. Je leur avais donné de bonnes disponibilités, mais tout a été réuni la même semaine. »

Possédant un pied-à-terre à Montréal, Christian Bégin est également un grand habitué de la route.

Avant, je pouvais partir le matin à 7 h, arriver à Montréal vers 11 h, faire mes activités, dormir sur place et rentrer à Kamouraska le lendemain. Ce n’était pas soutenable humainement ni écologiquement.

Christian Bégin, comédien et animateur

En 2019, il s’est lui aussi procuré une voiture hybride, qui a déjà roulé plus de 80 000 km. « Aussitôt que je peux dormir deux nuits de suite à Kamouraska, j’y vais. Tout dépend de la densité de mon horaire. »

Malgré la fatigue de rouler autant, il n’y voit que des avantages. « Même s’il y a des incidences budgétaires, j’ai le privilège de pouvoir me permettre d’avoir un îlot de calme et de vivre en ville. »

Même si 80 % des contrats d’Alexandre Castonguay sont en Abitibi, il n’a pas coupé le lien avec Montréal. La preuve : il passera une grande partie de son été à Montréal pour jouer au théâtre et dans une télésérie. Des contrats qu’il obtient grâce à des auditions sur Zoom ou en prenant l’autobus pour une rencontre en personne. « Pour ma dernière télésérie, l’audition sur Zoom s’est super bien passée. J’ai pensé leur dire que je venais à Montréal dans quelques jours pour le théâtre, alors ils m’ont invité à les rencontrer. Je ne sais pas ce qui se serait passé si je n’avais pas eu ce réflexe. »

Craint-il d’avoir perdu des occasions, parce qu’il vit à sept heures de route de la métropole ? « Je n’ai jamais pensé à ça. De toute façon, je doute qu’un producteur ne m’appelle pas parce que je vis en Abitibi. »

La réponse est différente pour Geneviève Jodoin. « Les gens n’osent pas m’appeler pour les trucs de dernière minute. Pourtant, si on m’appelle au moins quatre heures et demie à l’avance, je pourrais y aller. Ce n’est pas un obstacle pour moi. Et j’adore ça. Chaque fois que je reviens, je me sens remplie. Quand je vais faire un show, j’ai l’impression d’être en vacances. »