Émissions de télévision, Carte blanche à Juste pour rire, tournée de spectacles et nouvel album, Rita Baga est partout ! Depuis peu, la nouvelle reine des drags voit ses rêves se réaliser, les uns après les autres. Mais avant d’en arriver là, Jean-François Guevremont a monté l’une après l’autre les marches du podium. Portrait.

On avait rendez-vous au Cabaret Mado, là où est née, un soir de février 2007, une merveilleuse créature devenue la coqueluche des drags partout au pays. Jean-François Guevremont arrive discrètement au bar, fermé depuis des mois en raison de la pandémie ; fashionably late, mais déjà maquillé sous son masque noir, avec les oripeaux de Rita dans un gros sac. Il nous salue de loin, dans le contre-jour. « Je vais me changer dans les loges pour la photo. Ça prendra pas de temps… »

À peine dix minutes plus tard, Rita Baga revient aussi belle qu’un bouquet de fleurs du printemps, en tenant sa perruque rose d’une main ferme : « I’m ready for my close-up, La Presse ! »

Rita Baga et Jean-François Guevremont sont deux facettes d’une même personne. L’une est vive, colorée, flamboyante ; l’autre est posée, introvertie, réservée. L’exubérante, c’est bien sûr Rita. Or, l’énergie de l’une sert bien l’ambition de l’autre. Depuis son enfance, Jean-François rêve d’animer un talk-show et de faire de la télévision.

« Mon secret, c’est mon calme. Ça perturbe les gens, mon calme », explique celui qui a performé plusieurs semaines d’affilée devant des caméras de télévision l’an dernier, d’abord à Canada’s Drag Race, puis à Big Brother Célébrités.

« Mais je ne suis pas timide, nuance-t-il. Je suis juste réservé en groupe. Dans une fête, par exemple, je ne suis pas le premier à me lever pour aller danser. Je vais parler aux gens un à un. Avant les enregistrements en studio, parfois la production a peur que je n’y arrive pas, tellement je suis “low profile”. Or, René Angélil aimait dire qu’il faut être bon quand ça compte. Lorsque la caméra est allumée, ou que tu es sur la scène. » On a les mentors qu’on veut bien…

Un accident de parcours

C’est Mado Lamotte qui nous a ouvert les portes de son Cabaret avant l’entrevue. « Je ne peux rien refuser à ma petite fille, nous dit Mado. Je trouve ça extraordinaire, tout ce qui lui arrive ! Depuis quelques années, je vois Jean-François placer ses pions un à un. Il est discipliné, sérieux ; ses numéros sont très préparés. J’étais toujours en confiance quand il animait seul des soirées au Cabaret. Certaines drags étaient jalouses, parce qu’elles voulaient aussi animer, avoir “leurs” soirées. Je leur répondais : “Vous avez juste à livrer la marchandise chaque soir, comme Rita !” »

Et pourtant, la drag est un accident de parcours dans la vie du jeune homme de 33 ans, originaire de la Rive-Sud. Si Jean-François Guevremont, qui a travaillé durant sept ans à Fierté Montréal, a toujours eu la « fibre militante », il ne gravitait pas dans l’univers des drags. Loin de là. Studieux, « cartésien » et tranquille, il avait même des préjugés, voire « une aversion » pour le monde des drags. « Adolescent, j’associais les drags à la nuit, à la drogue, aux bars, et j’avais des objectifs professionnels très sérieux. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Jean-François Guevremont est monté sur la scène du cabaret Mado pour la première fois un peu par hasard : « J’ai eu la piqûre tout de suite. C’est libérateur ! »

À 19 ans, au cégep, Jean-François devient ami avec un jeune homme qui fait déjà des spectacles au Cabaret Mado, sous le nom de Célinda. « J’allais l’encourager certains soirs », dit-il. Par bravade, le jour de l’anniversaire de Dream, une vedette du Village, Jean-François accepte de monter sur scène avec deux autres drags pour faire un numéro surprise. « J’ai eu la piqûre tout de suite, dit-il. C’est libérateur ! Je n’aurais jamais pensé faire mes études à l’université le jour, et de la drag la nuit. » (Il a fait une maîtrise en tourisme à l’UQAM, mais pas terminé son mémoire.)

Toutefois, il a toujours eu un intérêt pour les arts et la scène. Au secondaire, Jean-François joue dans une ligue d’improvisation à la polyvalente de Boucherville. Plus tard, au cégep Édouard-Montpetit, il se joint à une troupe de théâtre musical. Il fait partie de trois comédies musicales : Fame, Miss Saigon et Lion King. « Il était super bon », se souvient sa professeure de chant à l’époque, Édith Myers, qui est aussi une coach vocale pour des émissions de variétés à la télévision.

Jean-François a une très belle voix, avec un beau timbre. Mais c’est aussi un gars très doux, très touchant. Dans la troupe au cégep, Jean-François était le grand frère, celui qui rassure les autres. Celui qui garde le cap quand tout le monde est stressé.

Édith Myers, professeure de chant

Vivre et laisser vivre

« On n’a rien qu’une vie à vivre, comme on dit. Alors, pourquoi pas la vivre pleinement, en paillettes et en démesure », a écrit Rita Baga aux 160 000 abonnés et plus de son compte Instagram, le 27 mars dernier, après son mémorable passage à l’émission de France Beaudoin, En direct de l’univers. Ce soir-là, tout le Québec l’a vue cajoler son chum, Yannick Brouillette, qui venait de lui chanter Debout, d’Ariane Moffatt – une chanson que Rita Baga a reprise, avec couleurs et brio, dans un lip-sync le temps d’un clip.

Regardez la prestation

« Jean-François s’est beaucoup épanoui ces dernières années, dit son ami Jean-Sébastien Boudreault, qui l’a connu à la direction de Fierté Montréal. Il a pris de l’assurance et de la maturité. Il a perdu beaucoup de poids et est plus en forme. Il a surtout de belles valeurs, très aimantes, rassurantes. Des valeurs qui lui viennent de ses parents et de sa famille. Je suis ravi de le voir évoluer, c’est un beau modèle positif pour la communauté. »

Quand Jean-François Guevremont avait 12 ou 13 ans, son père lui a demandé s’il préférait les garçons… « Je trouvais ça normal, mon frère est gai. Mais Jean-François n’était pas encore prêt à en parler », se rappelle Gilbert Guevremont.

Quelques années plus tard, son fils va l’inviter à venir le voir en spectacle au Cabaret Mado. « Rita m’a présenté à la foule. À la fin de la soirée, dans sa loge, toutes les drags sont venues me saluer, m’embrasser, et me faire des confidences. Je crois que c’est rare que des parents viennent voir leurs enfants dans des spectacles de drags. Je ne comprends pas ça ! »

Pour moi, aller voir Jean-François chez Mado ou accompagner mon plus jeune fils à l’aréna pour le voir jouer au hockey, c’est du pareil au même. Mes quatre enfants, c’est la chose dont je suis le plus fier dans ma vie !

Gilbert Guevremont, père de Jean-François

D’ailleurs, ce qui touche M. Guevremont n’est pas la nouvelle célébrité de son fils, mais « son côté humain ». « Jean-François se sert de Rita pour démythifier le milieu des drags et faire changer les mentalités, cesser la discrimination », estime-t-il.

Le principal intéressé abonde dans le même sens. Jean-François sait bien que le succès peut être un feu de paille et il garde les pieds sur terre : « Je suis conscient de la responsabilité qui vient avec le succès. Sur les plateaux de télé, je fais attention à mon choix de mots, au message que je veux passer. C’est le fun d’avoir la lumière, mais il y a tellement de gens marginalisés dans les communautés LGBTQ+ qui restent dans l’ombre. »

La fluidité des genres

Longtemps, Jean-François Guevremont s’est identifié comme un homme gai. « Maintenant, je me sens plus fluide dans mon expression de genre. Je n’ai pas de préférence dans les prénoms, je m’habille comme ça me tente. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Jean-François Guevremont

Parfois, les gens s’y perdent un peu dans le combat des minorités sexuelles. Ils trouvent que les changements vont trop vite. Pas Rita Baga. « Moi aussi avant, je trouvais qu’il y avait trop de lettres, qu’on ajoute sans cesse… LGBTQ2+. Or, il faut réaliser que derrière chaque lettre, il y a des gens qui ont longtemps été invisibles. Et si ces personnes désirent prendre leur place, pourquoi voudrais-je freiner ça ? Afin de garder mes privilèges d’homme blanc cisgenre dans la communauté ? Je ne crois pas que mon confort doit empêcher le bonheur des autres. »

En 2016, la flamboyante Rita a décidé d’exposer Jean-François en public, après avoir participé au documentaire sur ARTV, Ils de jours, Elles de nuit, avec Trashy Trash et Barbada. « C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire le saut en gars, dit-il. Depuis, ça m’a ouvert plusieurs portes. J’ai l’impression qu’en montrant l’homme, pas juste le personnage et ses déguisements, j’ai aidé à humaniser la drag. De montrer qu’on n’a pas besoin d’être marginal, underground, pour pratiquer ce métier. Et que la drag est un art grand public et que tout le monde peut en faire. »

Depuis un an, on lui demande souvent si Rita va refaire des spectacles chez Mado, lorsque les portes du Cabaret vont rouvrir, en même temps que celles des autres bars du Village… Ou bien si Rita est rendue ailleurs ?

« Premièrement, je serais très prétentieux de me croire “rendu ailleurs”, répond-il. Ensuite, sachez que je vais toujours revenir chez Mado. Pas à la même fréquence, mais je vais faire encore des spectacles au Cabaret. J’ai tout appris avec Mado et les autres drags du Village. L’animation, la présence sur scène, le sens de la répartie. J’ai apprivoisé le public. J’ai compris l’importance de la persévérance… Et ça me sert aujourd’hui quand je fais de la télé et que je suis vu, comme avec Canada’s Drag Race, dans une centaine de pays dans le monde ! »