Deux livres en quelques mois, une exposition en plein air à Paris, une controverse à Bruxelles, Geluck et son fameux Chat vivent un printemps bien occupé. Rien pour altérer la bonne humeur du créateur belge pourtant atteint du syndrome de l’imposteur.

Le Chat, le félin benêt et un peu philosophe créé par Philippe Geluck, a presque 40 ans. Ça ne se voit pas : il a toujours la même bouille, le même tour de taille et l’esprit aussi affûté pour énoncer des absurdités parfois révélatrices. Son petit monde est stable. C’est encore Roger, d’ailleurs, qui tient le bar où il enfile les verres de muscadet.

Le monde de Geluck, lui, n’a pas été de tout repos dernièrement. Il a publié deux livres en quelques mois (dont Le Chat est parmi nous, en décembre), inauguré en mars l’expo de sculptures géantes de son gros minet sur les Champs-Élysées et obtenu tout récemment le feu vert de la Ville de Bruxelles pour l’édification d’un musée consacré à son personnage et au dessin d’humour en général.

Que du bon ? Pas du tout. La confirmation du projet de musée, qui sera réalisé en partenariat public-privé, a échauffé les esprits dans la capitale belge. En plus de critiquer son coût – environ 9 millions d’euros, dont la moitié proviendrait d’investissements publics –, ses détracteurs ont remis ouvertement en question l’intérêt artistique du projet. En d’autres mots : ils trouvent que c’est cher payer pour un musée consacré à un simple personnage de bédé…

La bande dessinée serait-elle regardée de haut même en Belgique, pays de Franquin, Hergé, Peyo, Leloup, Schuiten, Greg et des dizaines d’autres figures marquantes du genre ? « Il y a toujours des gens qui estiment détenir la vérité », déplore Geluck. Il rappelle que les impressionnistes ont été refusés aux salons officiels avant d’être célébrés, que la photographie a été méprisée à ses débuts, que l’art abstrait a été considéré comme une « aberration ». « La bande dessinée, dit-il, n’en parlons pas… »

Geluck a été secoué. L’immense succès de son Chat et celui de l’exposition en plein air à Paris, où 20 représentations géantes de son félin sont installées jusqu’en juin, mettent évidemment les choses en perspective.

Si on estime que ce que je fais n’est pas de l’art, je m’en fous !

Philippe Geluck

« Je me suis retrouvé là devant une marée humaine de gens qui ont la banane. Ils souriaient au-delà des masques, assure-t-il. Ça ne veut pas dire que c’est de l’art. Mais le bonheur que j’ai ressenti est énorme. Quand je vois la joie et l’émotion que ça a apporté aux gens, je me dis : quel cadeau de la vie que de pouvoir partager ça ! »

Le Chat sur les Champs-Élysées
  • Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

    PHOTO STUDIO FIFTY FIFTY, FOURNIE PAR GELUCK

    Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

  • PHOTO STUDIO FIFTY FIFTY, FOURNIE PAR GELUCK

  • Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

    PHOTO STUDIO FIFTY FIFTY, FOURNIE PAR GELUCK

    Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

  • Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

    PHOTO STUDIO FIFTY FIFTY, FOURNIE PAR GELUCK

    Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

  • Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

    PHOTO STUDIO FIFTY FIFTY, FOURNIE PAR GELUCK

    Depuis mars, des sculptures géantes du chat sont exposées sur les Champs-Élysées, à Paris.

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Chat alors !

Ce que vit Geluck est en effet exceptionnel. Les personnages de bédé qui sortent des pages des albums comme le Chat, il n’y en a pas des masses. C’est d’autant plus singulier que son œuvre ne repose pas sur des scénarios et des décors étoffés, mais sur un seul personnage, souvent dessiné face au lecteur et sur ses mots d’esprit.

Geluck en est bien conscient. Une partie de lui s’en étonne toujours. Même qu’il n’arrive pas tout à fait à se défaire du syndrome de l’imposteur qui l’habite. Encore aujourd’hui, il s’attend à ce que, un jour, quelqu’un lui tape sur l’épaule et lui dise : « Tu es découvert ! »

Le Chat, lui aussi, est un imposteur à sa manière.

Je n’ai jamais étudié la philosophie et on me dit de temps en temps que le Chat est philosophe, qu’il fait penser à untel et untel en me citant des noms très impressionnants.

Philippe Geluck

Soudain, il s’inquiète. « Rassurez-moi, demande-t-il, vous n’êtes pas un vrai journaliste ? » On l’apaise illico : comment peut-on être un « vrai » journaliste quand on écrit sur la bande dessinée ? « Voilà ! rigole-t-il. Ça me rassure ! »

Ce second degré est au cœur de l’œuvre de Geluck. C’est le prisme à travers lequel son Chat voit le monde, ce qui lui permet de relever les travers des humains, mais aussi de dire des bêtises qu’on lui pardonne avec le sourire.

« Quand je fais un dessin insolent, un peu cruel, je fais dire une horreur au personnage que je mets en scène, pour que le lecteur comprenne bien que cette horreur, je la dénonce, je ne la profère pas », précise-t-il. D’où ces blagues sur Hitler ou les burqas, qui passent la rampe sans faire de remous.

Geluck n’en a pas marre du Chat, assure-t-il, puisque ses autres projets lui permettent toujours de prendre congé de sa table à dessin. L’artiste est en effet un entrepreneur : les sculptures de bronze du Chat qu’il a conçues et moulées avec le sculpteur François Deboucq sont installées sur les Champs-Élysées jusqu’en juin. Leur vente servira à financer l’institution muséale qu’il souhaite ouvrir au centre de Bruxelles.

Après Paris, l’exposition déménagera à Bordeaux pour l’été. Il est ensuite question d’une espèce de tournée mondiale jusqu’en 2024, date prévue de l’ouverture du musée. Geluck aimerait bien que Montréal soit sur l’itinéraire de son Chat d’ici là.

IMAGE FOURNIE PAR CASTERMAN

Le Chat déambule, de Philippe Geluck

Philippe Geluck
Le Chat déambule
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