(Bruxelles) Ils n’en peuvent plus et ont décidé de prendre les grands moyens.

Après six mois de fermeture, 130 lieux culturels belges ont choisi de braver les restrictions sanitaires en reprenant leur programmation. Depuis vendredi, les salles ont recommencé à ouvrir malgré les interdictions, alors qu’on ne sait toujours pas quand le secteur pourra reprendre ses activités.

Cette opération de désobéissance civile, qui doit se dérouler jusqu’au 8 mai, a donné lieu à d’étranges situations. Si la plupart des mairies ont joué la carte de la tolérance, certaines ont décidé d’appliquer la loi de façon plus stricte.

Ce fut notamment le cas samedi à l’Atelier 210, salle de spectacle bruxelloise, où le concert de Françoiz Breut a été contrarié par la police.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Les policiers ont maintenu l’Atelier 210 fermé.

L’auteure-compositrice belge devait jouer les chansons de son nouvel album (Flux flou de la foule) devant un public réduit de 50 personnes, dans des conditions sanitaires strictes, avec jauge réduite et mesures de distanciation.

Mais les forces de l’ordre ont bloqué l’accès à la salle, forçant le public à rester sur le trottoir, tandis que la chanteuse et son groupe se produisaient à l’intérieur, le son étant relayé par des haut-parleurs placés dans les fenêtres.

Ce théâtre absurde n’a pas manqué de choquer les organisateurs du concert, qui se sont dits « déçus » et « fâchés » par le zèle des autorités, qui auraient dû, selon eux, démontrer plus d’empathie.

Françoiz Breut, qui renouait avec la scène après plus d’un an de pause forcée, semblait tout aussi mécontente.

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On est dépités, les bras nous en tombent. On était prêts à partager quelque chose. On cherche des solutions. Je crois que les politiques ne se rendent pas compte de ce que vit le milieu culturel. Je ne sais pas dans quelle époque on vit.

Françoiz Breut à La Presse, quelques minutes avant la représentation

Heureusement que son public n’est pas du genre agressif.

Refoulés à l’entrée, les spectateurs ont écouté poliment depuis le trottoir, tandis que trois policiers continuaient de garder l’entrée. Mais on sentait dans l’air une forme de découragement.

« Je n’aurais jamais pensé vivre ça un jour. Je pense que c’est un peu choquant et que ça fait peur », a résumé tout simplement Cédric Castus, lui-même musicien.

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Cédric Castus

« Notre premier réflexe a été de partir, les conditions ne sont vraiment pas terribles », a ajouté Matthieu Safatly, interrogé un peu plus loin.

L’Atelier 210 n’a pas été le seul lieu culturel à se faire taper sur les doigts.

Samedi, le cinéma de répertoire Nova, situé au centre-ville de Bruxelles, a été vidé par la police avant la représentation.

Vendredi, les forces de l’ordre ont également bloqué l’entrée du Théâtre Monty à Genappe. Les quelques spectateurs qui avaient pu s’introduire en douce dans la salle, par une porte dérobée, ont été évacués et verbalisés.

D’autres n’ont pas attendu la confrontation. Le Théâtre de Namur a ainsi décidé de reculer après avoir reçu des avertissements de la part de la Ville. Dans la plupart des autres cas, les représentations ont pu avoir lieu comme prévu, les autorités ayant choisi de fermer les yeux.

Des choix idéologiques

Ce mouvement de résistance survient alors que certains lieux culturels recommencent à ouvrir en Europe, dans un cadre bien défini.

Jeudi et samedi, 6000 « clubbers » ont ainsi pu danser sans masque dans une discothèque de Liverpool après avoir présenté un test négatif et à condition d’en effectuer un autre après la soirée. Vrai que la campagne de vaccination est un succès au Royaume-Uni, alors que plus de la moitié de la population a déjà reçu sa première dose.

Un « concert-test » de rock s’est par ailleurs tenu à Barcelone le 27 mars, devant un public masqué et non distancié, quoique stratégiquement réparti.

Selon ce que rapportent les organisateurs, seulement six cas de COVID-19 ont été enregistrés chez les 5000 spectateurs présents, mais « aucun signe » de contamination ni preuve que la transmission a eu lieu dans ce contexte précis.

C’est justement ce qui désole les acteurs du milieu culturel belge. Programmateur du cinéma Kinograph à Bruxelles, qui a aussi rouvert ce week-end, Thibaut Quirynen ne comprend pas que les salles restent fermées, alors que la science plaide pour le contraire.

« Chaque semaine il y a des études qui tombent et qui disent que les lieux culturels font partie des lieux les plus sûrs », lance-t-il.

Comme partout, c’est le sentiment d’injustice qui prévaut dans le secteur. Et « l’incompréhension » devant les incohérences des choix politiques. Pourquoi fermer les salles alors que les commerces peuvent rester ouverts ? L’art n’est-il pas un service essentiel ? Quel danger si les règles sont respectées ?

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Ce ne sont pas des choix de santé publique, ce sont des choix idéologiques.

Coline Bitten, membre du collectif Still Standing for Culture (Toujours debout pour la culture), qui chapeaute l’opération de réouverture des salles

« Les politiques devraient parler d’écologie et des services qu’on détricote. Je suis atterrée qu’on criminalise la culture », a lancé de son côté Léa Drouet, programmatrice de l’Atelier 210, quelques minutes avant le concert de Françoiz Breut, du haut d’une fenêtre de la salle de concert.

Le milieu culturel belge est d’autant plus désespéré qu’aucune date de réouverture n’a encore été annoncée pour les évènements à l’intérieur. On parle du mois de juin, sans plus.

Mais le milieu s’organise pour contester la légalité des restrictions. Il y a un mois, un tribunal de première instance de Bruxelles a jugé que les règlements anti-COVID-19 imposés par le gouvernement ne reposaient pas sur une base légale suffisante. La cause est en appel, mais une brèche a été ouverte.