Dans ses livres, ses émissions et ses conférences, Kim Thúy veut donner de la lumière aux autres pour tirer l’humanité vers le haut. Face à la montée du racisme anti-asiatique, elle applique la même philosophie.

Bien qu’enraciné dans l’histoire, le racisme anti-asiatique est en forte hausse depuis le début de la pandémie. Un tiers des citoyens d’origine asiatique aux États-Unis disent avoir été la cible d’insultes ou de menaces racistes, selon un récent sondage du Centre de recherche Pew. Le quart d’entre eux craignent pour leur sécurité. Samedi dernier, une Montréalaise a été agressée verbalement dans le métro en rentrant du travail dans le Quartier chinois… La Presse a demandé à l’écrivaine d’origine vietnamienne Kim Thúy, arrivée au Québec à l’âge de 10 ans, de réagir à cette vague de haine contre la minorité asiatique.

Vous avez hésité avant d’accepter de parler de ce sujet à La Presse. Pourquoi ?

Parce que c’est important de le faire avec beaucoup de nuances. Le but étant de rassembler et non pas de diviser davantage. Je me demandais aussi si j’avais la capacité de le faire… Parce que, personnellement, je n’ai jamais été victime de racisme.

Vous êtes arrivée au Québec voilà plus de 40 ans, et vous n’avez jamais été témoin de racisme contre des Asiatiques ?

Non. Or, peut-être que, inconsciemment, je refuse de le voir. Dans mon expérience au Québec, ma différence est quelque chose de positif. Les Québécois ont toujours été chaleureux, généreux, avec ma famille et moi. Il faut dire que je suis la personne la plus chanceuse du monde !

Selon vous, pourquoi la minorité asiatique est-elle la cible de haine depuis le début de la pandémie ?

Parce que les gens ont peur. Et quand tu as peur, tu vas toujours chercher un souffre-douleur. C’est pour ça que le discours de nos leaders est extrêmement important. En temps de crise, le poids des mots est exponentiel. Un président comme [Donald] Trump, qui a parlé du virus chinois, a causé un mal énorme. Il y a un siècle, on parlait de la grippe espagnole, même si elle ne provenait pas de l’Espagne. Heureusement qu’ici nos leaders ne montrent personne du doigt. Quand l’être humain a peur, sa première réaction est animale : il veut mordre ! Il tombe dans le racisme, la haine, l’exclusion. L’humain prend le chemin le plus facile pour assouvir sa peur.

D’où l’importance de prendre la parole pour ceux qui sont la cible de haine et d’intolérance ?

L’injustice fait partie de la nature humaine. On a tous un côté sombre, méchant, cruel… Il faut juste en avoir conscience. Une société, c’est plein de gens qui dorment tous dans le même lit… et ils ont juste une couverture. Si personne ne dit rien, le plus fort va garder la couverture juste pour lui. Alors, pour être bien abrié, il faut tirer tous en même temps sur la couverture. La justice, c’est ce travail pour chercher l’équilibre et protéger tout le monde.

J’ai une question à 6 millions de dollars : pourquoi le racisme existe-t-il ?

Le racisme existe parce que la différence existe. C’est donc important de ne pas se fier aux apparences et de prendre conscience de nos préjugés envers la différence. Le problème, ce n’est pas la couleur, mais l’association négative qu’on fait avec une couleur. D’où l’importance pour les minorités ethniques d’avoir des leaders et des modèles dans tous les métiers et les milieux.

On oublie aussi que le blanc est une couleur, qu’une personne blanche n’est pas invisible.

Toutes les couleurs sont visibles. C’est ce qui fait la beauté du monde ! Je ne suis pas de l’école du « color blind », de toutes couleurs unies… J’aime avoir une grosse boîte de crayons Prismacolor. Dans ma boîte, s’il manque un crayon vert, c’est impossible de dessiner un arbre. S’il n’y a pas de jaune, je ne peux illustrer le soleil. Et il me faut du rouge pour dessiner un cœur.

Avant les événements racistes des récents mois, on entendait peu parler de discrimination anti-asiatique dans les médias. Après l’assassinat de huit femmes à Atlanta, on a vu des manifestants dans la rue avec des pancartes « Asian Lives Matter ». Étiez-vous surprise ?

Ce sont des Asiatiques des deuxième et troisième générations de l’immigration qui refusent de se taire. Parce qu’à la base, la culture orientale est très différente de la culture occidentale. Ici, la force d’une personne est illustrée par la puissance de sa voix. Plus tu parles fort, plus tu prends de la place, plus tu es craint. Alors qu’en Orient, plus tu es invisible et effacé, plus tu as de pouvoir. Par exemple, dans les arts martiaux, le premier mouvement qu’on va apprendre, c’est de disparaître. C’est difficile de se battre contre quelqu’un d’invisible…

Depuis quelques mois, il y a un débat autour de la reconnaissance du racisme systémique au Québec. Vous en pensez quoi ?

Oui, malheureusement, il y a du racisme systémique dans nos institutions au Québec comme ailleurs. Un système, que ce soit le système de justice ou de santé, est toujours imparfait. À la base, un système ne peut pas considérer également tout le monde. Et nos lois doivent évoluer pour réparer ces injustices. Comme le racisme envers les autochtones avec « la loi des Indiens ». Une société riche est capable de protéger ses populations vulnérables. Toutefois, les préjugés et la discrimination ne vont pas disparaître avec les lois. C’est avec l’éducation qu’on arrive à changer les mentalités.