(Québec) Les associations professionnelles qui représentent la majorité des disciplines artistiques au Québec demandent au gouvernement Legault d’exiger des producteurs qui touchent des fonds publics qu’ils assurent des conditions de travail minimales pour tous les artistes qu’ils embauchent.

Cette revendication sera soumise ce lundi, journée qui marque la fin des consultations publiques lancées l’an dernier par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, dans son processus menant à la modernisation des deux lois sur le statut de l’artiste. Ce chantier, réclamé depuis des années, a été inscrit en priorité dans la plus récente politique culturelle du Québec. Adoptée sous les libéraux et confirmée par le gouvernement caquiste, la consultation vise notamment à améliorer les conditions socioéconomiques des artistes.

La présidente de l’Union des artistes (UDA), Sophie Prégent, affirme que les deux lois sur le statut de l’artiste, adoptées en 1987 et en 1988, représentaient une immense avancée à l’époque. Mais après plus de 30 ans, « elles ont des failles qui les rendent faibles », juge-t-elle.

Reddition de comptes

Selon elle, un financement de l’État en culture doit à l’avenir inclure de nouvelles obligations pour les producteurs. « À partir du moment où il y a [une subvention], il devrait y avoir une reddition de comptes […] et l’obligation de respecter les conditions de travail convenues dans nos ententes collectives » avec les associations patronales, explique Mme Prégent.

À l’heure actuelle, un producteur n’a pas l’obligation d’être membre de regroupements comme l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) ou l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), avec qui il existe des conventions collectives.

Pour assurer des conditions de travail minimales aux artistes, un syndicat comme l’UDA doit contraindre chaque producteur avec qui il n’a pas de contrat de travail, lorsqu’il est mis au fait de son existence, de s’asseoir et de négocier. Un producteur peut également créer une compagnie de production différente pour chaque projet, de sorte que les démarches recommencent à zéro pour le syndicat.

Pour corriger le tir, Sophie Prégent demande à Québec de s’assurer que les lois sur le statut de l’artiste reconnaissent les associations de producteurs, afin que toute personne qui souhaite produire un évènement soit tenue d’être membre d’une association reconnue avec laquelle les regroupements d’artistes ont négocié des conventions collectives.

Des conditions précaires

Cette revendication est aussi partagée par l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), affirme la directrice générale Mylène Cyr. Les ententes de travail, explique-t-on, assurent des conditions de travail minimales et un filet de sécurité sociale aux artistes de toutes les disciplines, dont la plupart vivent de contrats. À l’heure actuelle, le revenu médian des artistes est de 18 829 $, contre 35 823 $ pour les travailleurs de la population active expérimentée.

Selon le président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, Luc Fortin, « la plus grande faiblesse des lois [actuelles], c’est qu’elles ne couvrent pas l’ensemble des artistes ».

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Luc Fortin, président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec

Ce sont les lois sur le statut de l’artiste, mais trop d’artistes en sont exclus pour des raisons techniques et juridiques. […] Ce qu’on veut, c’est que tout le monde soit couvert et qu’il n’y ait plus un régime à deux vitesses. Partout où on va jouer, on doit être couvert par la loi, avoir droit à la protection d’un contrat avec des avantages sociaux et des conditions minimales.

Luc Fortin, président de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec

Selon lui, il est urgent de s’assurer que « toutes les productions subventionnées soient tenues de respecter des conditions de travail et des ententes », ajoutant que « l’État ne donnerait pas [dans un autre contexte] une subvention à une usine qui paie son monde sous le salaire minimum ».

Recommencer à zéro

Les enjeux sont aussi nombreux dans le monde du théâtre. La directrice générale de l’Association québécoise des auteurs dramatiques, Marie-Ève Gagnon, déplore que ses membres soient sans filet face aux producteurs lorsque vient le temps de négocier les conditions de diffusion d’une œuvre.

L’autrice, dramaturge et traductrice Fanny Britt affirme que les lois actuelles font que les auteurs repartent systématiquement « à zéro à chaque négociation ».

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Fanny Britt, autrice et dramaturge

« Les autres membres d’une production théâtrale sont pour leur part protégés, ils ont des ententes collectives pour négocier leurs contrats […]. [La présente situation] nous met dans une position qui est très inconfortable. [Parfois, on a] le choix entre accepter des conditions qu’on sait insuffisantes, qui ne sont pas fidèles à certaines pratiques de base, ou faire tomber une production », déplore-t-elle.

La semaine dernière, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a également revendiqué le statut d’artiste au sens de la loi pour que ses membres puissent aussi négocier des ententes collectives et obtenir des conditions minimales de travail.

Une loi dans le présent mandat ?

Au début du processus de révision des lois sur le statut de l’artiste, Québec avait chargé les ex-ministres de la Culture Liza Frulla et Louise Beaudoin de coprésider les consultations avec les regroupements artistiques. Or, le gouvernement a confirmé l’automne dernier que la pandémie de COVID-19 avait eu raison de leur disponibilité, la pandémie ayant profondément chamboulé le calendrier des consultations.

La présidente de l’UDA, Sophie Prégent, demeure toutefois optimiste. « Il faut maintenant montrer patte blanche, être de bonne foi et vouloir que ça fonctionne », demande-t-elle à Québec, soulignant que l’espoir est grand au sein des regroupements d’artistes pour que la révision des deux lois soit terminée avant l’élection de 2022.