Depuis un demi-siècle, Jane Fonda nous incite à nous grouiller le cul, et pas seulement en faisant de l’exercice, mais aussi en nous impliquant à fond dans la société. Tout le monde se souvient de son engagement contre la guerre du Viêtnam, qui lui a valu beaucoup plus d’insultes que de tapes dans le dos, et qui n’a pas été qu’une lubie passagère de starlette. Elle n’a jamais cessé de lutter pour toutes sortes de causes, la dernière et probablement l’ultime cause étant le combat contre les changements climatiques.

Jane Fonda est l’une des militantes les plus connues de la planète, et tout au long de sa carrière, elle n’a pas hésité à utiliser sa notoriété pour faire avancer la société. Ainsi, elle donnera une conférence à C2 Montréal, qui se déroulera entièrement en ligne, pandémie oblige. Si vous avez besoin d’un peu d’espoir ou de motivation, je vous suggère fortement de ne pas rater ça. Je n’ai pu discuter au téléphone qu’une quinzaine de minutes avec la grande dame, vedette de la série Grace and Frankie, et j’étais gonflée à bloc en raccrochant, quasiment comme Tarzan avec Jane. Imaginez une heure maintenant.

PHOTO DAMIAN DOVARGANES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jane Fonda, manteau et chapeau rouges, dans une manifestation de Fire Drill Fridays, en février 2020

À 82 ans, Jane Fonda maîtrise autant la forme que le fond, le résultat de décennies de militantisme (et d’aérobie).

Il est beaucoup plus facile d’être fataliste qu’optimiste en ce qui concerne l’état de la planète en ce moment. Et ça, Jane Fonda l’a bien compris en écrivant son plus récent essai (seulement en anglais pour l’instant) : What Can I Do ? My Path from Climate Despair to Action. Traduction libre : Que puis-je faire ? Mon chemin du désespoir climatique à l’action. Car on se demande tous quoi faire devant la menace paralysante du climat. Dans ce livre, Jane Fonda raconte comment, inspirée par le combat de Greta Thunberg, elle a décidé de participer chaque vendredi aux manifestations Fire Drill Fridays à Washington, où nous l’avons vue, incroyablement chic dans son grand manteau rouge, se faire passer les menottes sans rechigner. Elle était là pour ça, comme une leçon pacifique de désobéissance civile.

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Jane Fonda est mise en état d’arrestation pendant une manifestation pour le climat à Washington, le 1er novembre 2019.

Mais qu’a-t-elle à dire à ceux qui pensent qu’il est déjà trop tard ? « Je leur dirais d’écouter les scientifiques, répond-elle avec aplomb. Les scientifiques nous disent qu’il y a une crise climatique, qu’elle est imminente, mais aussi que nous avons encore du temps pour renverser ça. Pour y parvenir, ils sont très clairs là-dessus, nous devons réduire de moitié nos combustibles fossiles d’ici 2030, donc dans moins de 10 ans. C’est un premier pas critique. Les gens doivent savoir que ce n’est pas sans espoir, qu’on peut faire quelque chose, mais c’est ce que nous devons faire d’abord pour commencer. »

L’an dernier, nous avons eu à Montréal la visite de Greta Thunberg pour une grande marche qui a connu un taux de participation historique. Mais c’était dans le monde d’avant la pandémie. Comment mobiliser les gens en pleine distanciation physique ? Jane Fonda donne l’exemple de Black Lives Matter, après le meurtre de George Floyd. Et rappelle que dans son jeune temps, c’était beaucoup plus compliqué d’organiser des manifestations. « Si nous n’avions pas les médias sociaux pendant cette pandémie, ce serait pratiquement impossible de construire et d’élargir un mouvement. Vous savez, Greta Thunberg a dit que nous devions sortir de notre zone de confort. Ce que j’ai fait en allant à Washington pour les Fire Drill Fridays. Puis la pandémie est arrivée, et nous avons décidé de faire ça virtuellement. Je ne pensais pas que ça allait marcher. Mais nous rejoignons un million de personnes par mois. Et le plus important est qu’ils ne sont pas juste en train de regarder, ils signent pour être volontaires, se divisent en équipes pour les élections. Ils écrivent, ils appellent, ils textent pour que les gens aillent voter, particulièrement les gens qui se soucient du climat. »

Toucher le fond pour mieux remonter ?

Sauf qu’en plus de la crise climatique, les États-Unis se débattent en même temps avec une grave crise de confiance envers la démocratie à l’approche des élections. Ne reculant devant rien, et profitant des moyens de communication d’aujourd’hui, Jane Fonda a lancé récemment une vidéo rigolote, inspirée de ses célèbres cassettes d’exercices, pour pousser les gens à « exercer leur droit de voter ». Avec le grain vidéo des années 1980, le bandeau sur la tête et les étirements qui vont avec.

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Il est intéressant de savoir que cette cassette d’aérobie, qui a pratiquement lancé l’industrie du vidéo, a été faite à l’époque… pour financer ses luttes ! Jane Fonda a vu neiger, elle a connu des époques où les États-Unis étaient très divisés sur certaines questions. « Ce qui est différent maintenant, note-t-elle, c’est que nous avons un président qui alimente la violence de l’extrême droite. Les divisions pendant les années 1960-1970 autour de la guerre du Viêtnam étaient idéologiques, c’était différents points de vue sur la guerre à l’intérieur d’une famille. Des gens n’approuvaient pas les manifestations anti-guerre, ne s’entendaient pas sur certaines valeurs. Maintenant, vous avez des gens de l’extrême droite avec des fusils automatiques dans les rues, et un président qui leur dit de se tenir prêts. Ce sont des divisions très différentes. Nous descendons vers le cancer au cœur de la société américaine. Le racisme, le capitalisme et la nature violente qui ont fondé cette société. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Jane Fonda a participé à une conférence sur le Viêtnam en 1974 à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). L’évènement était organisé par l’Association des patriotes vietnamiens du Canada.

Elle ne se fait pas d’illusions, elle sait que la situation est sombre. Mais ce n’est pas une raison pour elle de baisser les bras. « Vous savez ce qu’on dit à propos de l’alcoolisme ? Vous devez toucher le fond avant d’aller mieux. Eh bien, nous sommes au fond maintenant, et ça fait que beaucoup de gens qui ne comprenaient pas avant réalisent la violence avec laquelle les personnes noires doivent vivre depuis des centaines d’années dans ce pays. Ils voient des travailleurs qui sont trop pauvres pour rester à la maison, pour travailler de la maison, qui ne peuvent quitter leurs emplois parce qu’ils vivent d’une paye à l’autre. Ils existaient avant, mais la pandémie a arraché le pansement de la blessure, et maintenant les gens la voient, cette blessure. Les gens voient aussi l’importance d’un État fort, l’importance d’écouter les scientifiques. Ce qui est bien parce que nous aurons besoin de ça pour régler la crise climatique. »

La crise de l’empathie

Ce que j’aime beaucoup dans le militantisme de Jane Fonda est qu’elle ne se contente pas de se donner bonne conscience en faisant la morale. Elle connaît son statut de privilégiée, elle reconnaît les inégalités. Au fil du temps, elle a fini par comprendre que le militantisme n’est pas une quête de la perfection. « Quand j’étais jeune, je pensais que c’était un sprint. Je croyais devoir aller très vite pour que les choses arrivent, et en vieillissant, j’ai vu le militantisme comme un marathon, et je me suis ajustée. Maintenant que je suis vraiment vieille, je le vois comme un relais. Les scientifiques exposent le problème, les jeunes qui se battent pour le futur se lèvent par millions et passent le témoin aux plus vieux, dont je suis. Vous ne pouvez imaginer faire ça par vous-même, vous devez amener d’autres gens. Ce n’est pas seulement une question de panneaux solaires ou d’éoliennes, vous devez penser à ceux qui vivent déjà en plein milieu de la crise climatique maintenant, aux États-Unis. Qui vivent près des raffineries, des puits de fracturation, et qui meurent de cancer ou de crise cardiaque à cause de ces industries. »

Comme elle l’écrit dans son livre, nous ne vivons pas seulement une crise climatique, mais une crise d’empathie, nécessaire à l’adoption d’un « New Deal » vert aux États-Unis, son cheval de bataille. « C’est ce que j’aime du Green New Deal. Nous devons nous assurer que les gens en première ligne, ceux qui souffrent le plus de la crise climatique, soient les premières personnes qu’on aide. Je pense que c’est la beauté de ce potentiel que voient les jeunes pour l’avenir. Maintenant, nous devons faire en sorte que les politiciens l’accomplissent. »

À voir les choses se dégrader aux États-Unis, je me demande vraiment comment elle a fait pour ne jamais perdre la foi en cette idée qu’il est possible de changer la société, voire le monde. « Parce que ça fait 60 ans que je vois les gens changer, que je vois combien l’être humain peut profondément changer. Si nous pouvons rejoindre ceux qui ont la capacité de changer, nous allons gagner. » Jane Fonda a réussi à rallier déjà plus d’un million de personnes avec les Fire Drill Fridays. Quel pessimiste peut en dire autant ?

Conversation avec Jane Fonda, le 22 octobre de 11 h à 12 h dans le cadre de C2 En ligne-Montréal 2020, qui se déroule du 19 au 30 octobre.

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