(Montréal) Homme chaleureux et comédien polyvalent au talent immense, Michel Dumont était un colosse aux pieds d’argile. « Je l’appelais mon gros nounours », dit son amie, la metteure en scène Monique Duceppe. « Michel, c’était une force de la nature, un costaud avec de la prestance et une voix grave (“ma voix d’or de mon Saguenay–Lac-Saint-Jean”, aimait-il dire). Mais il pouvait être aussi un enfant fragile, timide, déstabilisé par la moindre critique qu’on lui faisait. »

De l’avis de ses camarades, Michel Dumont était aussi généreux sur scène que dans la vie. À l’instar de ses mentors, les regrettés comédiens Jean Duceppe et Paul Hébert, il a toujours défendu un théâtre accessible, populaire, mais de qualité, mettant de l’avant la noble mission de faire vibrer les spectateurs au contact des émotions humaines.

  • Michel Dumont tient son trophée pour le meilleur rôle de soutien d'une série dramatique au Gala des Gémeaux en novembre, 2003.

    PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE

    Michel Dumont tient son trophée pour le meilleur rôle de soutien d'une série dramatique au Gala des Gémeaux en novembre, 2003.

  • Michel Dumont et Pauline Marois lors de la remise de l'Ordre national du Québec

    PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

    Michel Dumont et Pauline Marois lors de la remise de l'Ordre national du Québec

  • Michel Dumont en 2002 dans la pièce Dans l'ombre d'Hemingway.

    PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

    Michel Dumont en 2002 dans la pièce Dans l'ombre d'Hemingway.

  • Claude Meunier et Michel Dumont lors de la présentation de la programmation pour la saison 2000-2001 de la Compagnie Jean-Duceppe.

    PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

    Claude Meunier et Michel Dumont lors de la présentation de la programmation pour la saison 2000-2001 de la Compagnie Jean-Duceppe.

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« Il faut que le théâtre soit la fête du grand public. Je veux réussir à l’atteindre, à le toucher, comme dans la vie », disait le directeur artistique lorsqu’il rencontrait la presse pour parler, avec passion, de ses programmations.

Michel Dumont ne cachait pas son amour des auteurs du répertoire moderne nord-américain (Arthur Miller, Tennessee Williams, Neil Simon), mais il était aussi très fidèle à la création québécoise. Sous son directorat, la compagnie Duceppe a créé maintes pièces québécoises (même une saison avec uniquement des œuvres québécoises), collaboré avec des auteurs tels que Serge Boucher, Michel Tremblay, Marie Laberge, Jean-Rock Gaudreault, Steve Galluccio.

En 1996, dans Messe solennelle pour une pleine lune d’été, de Tremblay, Michel Dumont formait un couple d’amoureux avec Jean-Louis Millette, dont le personnage est atteint du sida. « Il y a une magnifique scène où le couple danse un dernier tango ensemble. Michel ne savait pas du tout danser, mais, pour le rôle, on aurait cru qu’il avait dansé toute sa vie », se souvient Monique Duceppe.

Rencontre avec Jean Duceppe

Originaire de Jonquière (Kénogami), Michel Dumont aura marqué plusieurs générations d’amoureux de théâtre et de téléspectateurs. Après des débuts lors d’un festival de théâtre amateur dans sa région natale, il entame sa carrière professionnelle sur les planches du Trident, à Québec, en 1973. C’est à cette époque qu’il partage pour la première fois la scène avec le grand Jean Duceppe, dans Charbonneau et le chef. Ce sera le début d’une longue collaboration entre les deux hommes…

Gilles Duceppe a déclaré jeudi qu’il considérait Michel Dumont comme le digne successeur de son père. Monique Duceppe peut aussi témoigner qu’entre les acteurs, la connexion s’est faite dès qu’ils ont commencé à jouer ensemble, à la fin des années 70. « Sur scène, papa et Michel étaient constamment à l’écoute l’un de l’autre. Et les répliques allaient vite. C’était comme regarder un match de tennis ou une partie de ping-pong ! »

En 1991, à la mort du fondateur, Michel Dumont reprend les rênes de la compagnie, avec Louise Duceppe à la direction générale. Sur les planches, il multiplie les rôles d’envergure qui ont marqué la mémoire des amateurs – dans des pièces allant de celles d’Anton Tchekhov à Tennessee Williams, en passant par celles de Shakespeare et de Marcel Dubé (Un simple soldat, avec Luc Picard, qui jouait son fils). Il a aussi été un excellent Léopold dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou ; un inoubliable Salieri dans Amadeus ; un touchant Lenny dans Des souris et des hommes ; et un solide Ernest Hemingway dans une pièce signée Stéphane Brulotte. Dans La mort d’un commis voyageur, il a joué à la fois le fils, Biff Loman (en 1973 et 1983), puis le père, Willy Loman (en 1999).

L’actrice et réalisatrice Sophie Lorain a appris la mort de Michel Dumont sur le tapis rouge du film Mon cirque à moi, jeudi soir. « J’ai beaucoup travaillé avec lui, a-t-elle confié à La Presse. J’ai été sa jeune maîtresse dans le téléroman Marilyn et sa femme dans la pièce Après la chute, de Miller. C’est un monsieur que j’aimais beaucoup et qui m’a donné beaucoup d’occasions dans la vie. C’était un acteur fabuleux qui avait beaucoup de talent et qui était très généreux sur scène. Il avait un jeu très nord-américain, dans le sens que, physiquement, il était imposant, mais il n’était pas gêné de ça. Il l’assumait, et il prenait sa place. »

Aux yeux de Steve Galluccio, « ce formidable acteur dégageait une force et une autorité naturelles qui se manifestaient autant sur scène que comme directeur de théâtre ». L’auteur de Mambo Italiano lui a d’ailleurs écrit son tout dernier rôle chez Duceppe, à l’automne 2017, dans Les secrets de la Petite Italie.

« Il a pris la relève de monsieur Duceppe à bras le corps et il a su relever le défi avec brio. C’est un énorme morceau de la culture qui est parti », a souligné le comédien et ex-directeur artistique de La Licorne, Denis Bernard, en entrevue avec La Presse canadienne. Au fil des ans, ce dernier a côtoyé Michel Dumont de nombreuses fois au théâtre et à la télévision. « Les rencontres avec Michel Dumont ont été de grandes rencontres pour moi. C’est un artiste immense, mais surtout un cœur immense, qui nous quitte et un artiste extrêmement rassembleur. »

Au petit écran

Michel Dumont a de plus joué des rôles de premier plan dans de nombreuses émissions de télévision. Les enfants des années 70 se souviendront de lui comme Fantoche, l’ami de Picotine, dans l’émission du même nom présentée à Radio-Canada et dont il cosignait les textes. Il a aussi été de la distribution de Race de monde, de Monsieur le ministre, des Dames de cœur, d’Omertà et de Yamaska.

Son travail d’interprétation, mais aussi de directeur artistique chez Duceppe, lui a valu de nombreuses récompenses. En 2013, il a été fait officier de l’Ordre national du Québec, puis membre de l’Ordre du Canada en 2019. La classe politique – de François Legault à Dominique Anglade, en passant par Pascal Bérubé et Isabelle Melançon – a d’ailleurs souligné son départ sur les réseaux sociaux. En plus de souvent fouler les planches de la compagnie théâtrale qu’il dirigeait, M. Dumont y a signé de nombreuses traductions.

Michel Dumont gardera une bonne place dans la longue, grande et belle lignée des acteurs québécois inoubliables – les Jean Duceppe, Guy Provost, Gilles Pelletier, Paul Hébert et compagnie.

— Avec la collaboration de Stéphanie Morin et de Jean Siag, La Presse, et de La Presse canadienne

Michel Dumont, en six grands rôles chez Duceppe

Willy Loman, dans Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller (1999). M. Dumont avait déjà incarné l’un des fils de Loman, avec Jean Duceppe, qui interprétait son père, à la fin des années 70. Arthur Miller était l’un des auteurs préférés du fondateur de la compagnie.

Denis, dans 24 poses (portraits) en 2002. Dumont reprend le rôle de ce père de famille alcoolique et vulnérable dans la pièce de Serge Boucher, créée au Théâtre d’Aujourd’hui.

Big Daddy. L’acteur est monstrueux dans le rôle du patriarche sudiste de la pièce de Tennessee Williams La chatte sur un toit brûlant (2000).

Quentin, dans Après la chute, de Miller (1994), sous la direction d’Yves Desgagnés. Un autre grand rendez-vous d’un acteur et d’un personnage.

Léopold, dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (reprise, septembre 1996), et Yvon, dans Messe solennelle pour une pleine lune d’été (création, février 1996).