En arrêt de travail forcé depuis le début de la pandémie, les acteurs québécois n’ont jamais autant fouillé dans leur boîte à souvenirs. Dans cette série estivale, La Presse demande à quelques interprètes chevronnés de commenter cinq ou six rôles marquants en carrière. Au théâtre, au cinéma et à la télévision.

Le premier rôle marquant 

Patrice Robitaille : « Je n’ai pas le choix d’aller avec Rob, dans le film Québec-Montréal (2002). Parce que c’est celui qui m’a fait connaître du public, en plus de me faire entrer dans le milieu du cinéma, qui est quand même assez fermé. Qui plus est, avec un projet que j’avais créé avec de bons amis [Robitaille a coécrit Québec-Montréal avec le scénariste Jean-Philippe Pearson et le réalisateur Ricardo Trogi]. On était une bande de jeunes dans la vingtaine qui avait envie de dire des choses sur sa génération. On était assez candides. Aucun de nous ne savait comment ça marchait l’industrie, les tournages, les médias, la promotion, etc. On avait tous une fraîcheur, une naïveté — même si naïf peut sonner péjoratif — qui n’arrive qu’une fois en carrière. Dans mon souvenir, le film a tenu l’affiche près d’un an — ce qui est impensable de nos jours —, a fait plus de 1 million d’entrées en salle, en plus de récolter quatre prix Jutra et quatre Génie. Ce n’est pas mal pour un film écrit, durant un été, par trois gars qui venaient de perdre un contrat et se cherchaient du travail… »

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

En promo pour Québec-Montréal en 2003. Le réalisateur Ricardo Trogi (à gauche) avec Jean-Philippe Pearson, Isabelle Blais et Patrice Robitaille.

Le personnage dont le public vous parle le plus souvent 

« C’est Patrick dans Les beaux malaises. Parce que c’est une série comique qui a été vue par autour de 2 millions de personnes, chaque semaine. Et comme Patrick dit des choses tellement énormes, j’ai l’impression qu’il est libérateur pour bien du monde. Patrick est grossier, toton, crosseur, macho, pas gentil, mais on l’aime quand même. Je me souviens d’une scène dans des toilettes de restaurant avec Pierre Brassard [qui joue une personne transsexuelle]. Je me collais sur Pierre et j’avais l’air d’un prédateur sexuel ! J’étais mal à l’aise en disant mes répliques. J’ai demandé au réalisateur de changer de lieu pour la scène ; de la faire dans un endroit ouvert, pour ne pas sentir que je traque [le personnage de] Pierre. Je me considère chanceux de travailler dans tous les secteurs du métier, de pouvoir passer aisément du théâtre à la télévision au cinéma. Je connais des acteurs talentueux qui n’y arrivent pas. »

PHOTO BERTRAND CALMEAU, ARCHIVES LE SOLEIL

Une scène tirée de la comédie télévisuelle Les beaux malaises, avec Martin Matte, Martin Perizzolo et Patrice Robitaille

Le rôle qui vous a fait grandir à la fois comme interprète et comme humain 

Longue hésitation… « Cyrano de Bergerac, parce que j’ai vu mes limites en maudit ! [rires]

« Pour bien jouer ce héros classique — Rostand a écrit une œuvre parfaite à mon sens —, je me suis mis beaucoup de pression sur les épaules. Et ça m’a rendu très malheureux. Pour tout acteur, incarner ce rôle célèbre représente un défi immense, une occasion incroyable. Je suis content de l’avoir fait, mais je n’ai pas eu de plaisir à le jouer. Tous les soirs, c’était l’enfer ! Je m’autoanalysais. Mon jeu n’était jamais à la hauteur du personnage. Je ne lui rendais pas sa complexité, ses nuances, ses failles. En même temps, je me trouvais poche de négliger ma famille (j’avais une fille de 2 mois) et tout le reste de ma vie, parce que je travaillais trois heures par soir dans un spectacle au TNM ! À la première médiatique, la réaction de la salle a été très bonne. Après la représentation, dans le salon vert, tout le monde fêtait et buvait du champagne. Moi, j’étais seul enfermé dans ma loge, découragé d’entendre les gens faire la fête, car cette représentation était seulement le prologue du Tour de France ! Je devais faire 30, 40 autres soirs, et être aussi bon, sinon plus, qu’à la première. Et puis, j’ai été prisonnier de ma tête jusqu’à la fin. Je me souviens, le jour de mes 40 ans, le 21 août 2014, quelques heures avant le spectacle, j’étais dans mon lit, presque en larmes, et je ne voulais pas me lever pour aller au théâtre ! Ma blonde a dû me raisonner… »

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE

Dans la pièce Cyrano de Bergerac au Théâtre du Nouveau Monde. Patrice Robitaille en Cyrano et Magalie Lépine-Blondeau en Roxanne.

La Presse : Comment expliquez-vous ces tourments ? Vous étiez peut-être trop jeune pour interpréter Cyrano ?

« Non, d’autres comédiens l’ont joué à cet âge. À la fin de la production, Guy Nadon est venu me voir en coulisses pour me saluer. Et il m’a dit que lui aussi avait eu cette impression de long tunnel en jouant Cyrano au théâtre. C’est paradoxal, car Cyrano m’a rendu à la fois très fier et très malheureux. »

Le rôle qui vous a rendu le plus heureux ?

Je pourrais répondre tous les rôles que mon ami François Létourneau m’a écrits, autant au théâtre (Stampede, Cheech, La fin de la sexualité) qu’à la télé (Les invincibles). Mais surtout le dernier, Serge Paquette dans la série C’est comme ça que je t’aime. C’était juste du gros bonheur. La production avait les moyens de ses ambitions ; la sauce a pris entre les interprètes et le réalisateur ; l’équipe technique était formidable, tout était facile, inspirant, sans friction durant le tournage. Il y avait quelque chose de réconfortant à faire cette série-là.”

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

La distribution de la pièce de théâtre Stampede en 2001. Stéphane Jacques, François Létourneau, Patrice Robitaille, et Dominique Quesnel.

Le rôle que vous avez hâte de jouer 

J’ai le goût de répondre le prochain, car je n’ai pas de rêve de jouer un grand rôle. Sauf peut-être un personnage de Michel Tremblay. Je n’ai jamais joué du Tremblay, sauf à l’Université Laval (Le vrai monde ?). Or, je ne me vois pas nécessairement un rôle dans mon casting. J’aimerais aller vers quelque chose où l’on ne m’a pas encore vu.”

La Presse : Comme Hosanna ou La Duchesse de Langeais ?

“Oui, j’adorerais faire La Duchesse, me coller à sa personnalité flamboyante, qui est très loin de moi dans la vie. En même temps, est-ce que j’ai encore le droit de jouer La Duchesse ? Est-ce qu’un hétéro, en 2020, peut encore jouer un personnage homosexuel, sans offenser la communauté LGBT ? Je ne sais pas… Scarlett Johansson a dû se retirer d’un film où elle devait interpréter une personne transgenre. Je comprends que ça puisse choquer des gens, des groupes, mais je le déplore. J’ai choisi ce métier pour me transformer, essayer des choses différentes. Je pense qu’on devrait se calmer, et laisser les interprètes libres d’explorer leur art. Les acteurs homosexuels ont aussi envie de jouer autre chose que des personnages gais…”