Alors que la 12e saison de Curieux Bégin est de retour en ondes (les jeudis à 21 h, à Télé-Québec), Christian Bégin passe son confinement dans le Kamouraska. L’animateur et comédien réfléchit à une formule adaptée à la crise sanitaire de Y’a du monde à messe, ainsi qu’à une plateforme prônant l’autonomie alimentaire.

Marc Cassivi : Tu habites dans le Bas-Saint-Laurent, l’une des régions du Québec les moins touchées par la pandémie. Comment vis-tu ce décalage avec ce qui est décrit dans les médias ?

Christian Bégin : C’est sûr qu’on a l’impression d’être décalés par rapport à la réalité des grands centres urbains. On a 34 cas de COVID-19, sur un territoire qui s’étend de La Pocatière jusqu’à Matane. En même temps, les gens sont très respectueux des consignes de distanciation [physique]. J’arrive de Rivière-du-Loup, où je suis allé faire l’épicerie pour une amie. Comme partout, on se lave les mains, on suit l’ordre précis dans les allées, comme à Montréal, j’imagine, même s’il n’y a pas de queue devant les épiceries. Il y a un drôle de sentiment qu’on le fait pour suivre la parade, parce que c’est notre devoir de citoyen, mais qu’on ne sent pas la menace nous plomber de la même façon. Il y a quelque chose de la réalité rurale qui est de l’ordre d’un certain isolement. Mon voisin n’est pas directement à côté de chez moi. Ce rapport à la distance est déjà différent de ce que l’on connaît dans les centres urbains. Ce qui a changé, c’est qu’on ne se voisine plus. Comme je vis seul, je fais de la bouffe pour quelques-uns de mes voisins du rang et je vais la leur porter sur le pas de la porte.

M.C. : Il était clair pour toi que tu allais passer ton confinement dans le Kamouraska et pas à Montréal, où tu as un pied-à-terre ?

C.B. : En temps normal, je passe 80 % de mon temps à Montréal, parce que c’est là que je travaille. C’est la première fois que je vais passer trois mois consécutifs ici, depuis que j’ai la maison. Je suis ici depuis le 17 mars, le lendemain de ma fête, et je ne pense pas retourner à Montréal avant juin, parce qu’il y a une possibilité que l’on reprenne les tournages de Y’a du monde à messe dans une version COVID. On y réfléchit, mais c’est loin d’être sûr. En même temps, tout en étant très conscient d’être privilégié, tout ça me fait réfléchir à quel point ma vie est construite et articulée autour du travail. Quand je n’ai pas de travail, je me sens désœuvré et je ne sais pas trop qui je suis. Je ne sais pas trop ce qu’il y a dans le silence et l’inaction. C’est une désintox et un wake-up call.

M.C. : Est-ce que le défi de faire Y’a du monde à messe autrement t’inspire ?

C.B. : On essaie de réfléchir à comment faire, et à comment faire une émission qui ne va pas que tourner autour de la COVID-19. Ce qui distingue l’émission, c’est la nature des conversations qu’on a avec les invités, et on ne veut pas avoir que des thèmes liés à la COVID-19, même si on ne peut nier la situation. Il y en a qui le font et qui le font bien. En même temps, la contrainte force la créativité. Le théâtre m’a appris ça beaucoup.

M.C. : Il y a plusieurs de tes projets professionnels qui sont en suspens ?

C.B. : Je ne suis pas à plaindre ! Je ne vis pas d’angoisse liée à la précarité, comme plusieurs autres. J’ai perdu des pièces de théâtre, qui ont été annulées. Il y a [la série télé] Les mecs, qu’on a dû arrêter alors qu’il ne restait qu’une journée de tournage. Je sais que j’aurai d’autres contrats de télé, alors que j’ai des amis qui dépendaient du théâtre pour vivre et d’autres qui sont musiciens. Pour eux, c’est catastrophique. C’est sans compter mes amis qui sont dans la restauration…

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION 

Le quatuor de la série Les mecs : Normand Daneau, Yanic Truesdale, Christian Bégin et Alexis Martin

M.C. : Curieux Bégin est très axé cette saison sur les producteurs et restaurateurs d’ici…

C.B. : Ça a toujours fait partie du credo de Curieux Bégin de valoriser la restauration et les agriculteurs et agricultrices d’ici. On voyageait beaucoup plus dans les premières saisons, et on est revenus à ça cette saison. On a les meilleures cotes d’écoute de l’histoire de Curieux Bégin depuis le début de la nouvelle saison. On se rend compte que les [téléspectateurs] ont envie de voir des gens fraterniser autour d’un îlot, de boire du vin, de se passer la fourchette et de faire du « double dipping ».

M.C. : En espérant des jours meilleurs où ils pourront eux aussi s’y adonner ?

C.B. : Oui, je pense que c’est un plaisir par procuration. En même temps, on sent qu’en ce moment, il y a une fenêtre d’opportunité – c’est terrible de dire ça dans une situation de crise – pour un vrai chantier de transition vers une souveraineté alimentaire. Je travaille avec [la chef] Colombe St-Pierre et avec Donald Dubé, qui est agriculteur, sur la mise en place d’une plateforme qui veut être un incubateur et un réservoir d’expertise pour ça.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La chef Colombe St-Pierre

M.C. : La crise fait en sorte que les gens voient concrètement les dangers d’être trop dépendants de l’importation de denrées, par exemple. Il y a une réelle prise de conscience en ce moment…

C.B. : On se rend compte de nos vulnérabilités. Et qu’on est aussi très dépendants des travailleurs étrangers parce qu’on a surtout priorisé des exploitations énormes. Personne ne veut faire ce travail-là, dans les champs, sur de grandes exploitations maraîchères. Si on avait développé une politique agricole qui favorise une multiplication de plus petites entreprises, on n’aurait pas ces problèmes-là. Au-delà de ceux qui se ruent dans les Costco et les Walmart pour avoir accès à tout, 365 jours par année, il y a un mouvement de fond, une tendance lourde qui va s’enraciner, de gens qui réalisent qu’on a tout ce qu’il nous faut ici et qu’on peut vivre avec moins. Ce n’est pas grave de ne pas pouvoir manger des fraises en janvier…

M.C. : Tu le dis : ta vie montréalaise tourne beaucoup autour des restos. C’est une partie de l’ADN de la ville qui est menacée avec cette crise. Quel restaurant aura survécu dans trois mois ? J’imagine que ça t’inquiète comme moi ?

C.B. : Beaucoup. J’ai écrit un article dans le [magazine] Caribou là-dessus. C’était une déclaration d’amour aux restaurateurs et restauratrices. C’est une communauté de laquelle je suis très proche. C’est dangereux d’utiliser des superlatifs en ce moment, mais on peut vraiment parler d’hécatombe dans le milieu de la restauration, qui vivait déjà une crise de main-d’œuvre avant la pandémie. On évalue qu’entre deux et quatre restaurants sur dix ne vont pas se relever de la crise. C’est énorme ! Tout le modèle sera à repenser.

M.C. : Il y a bien des gens qui seront craintifs et qui auront moins envie de fréquenter les restos, comme les théâtres et les salles de spectacles…

C.B. : Absolument. Comme tu le dis, c’est l’ADN de la ville – la culture, la restauration, le tourisme –, tout ce qui est le cœur battant d’une ville et qui fait que les gens y viennent, qui est sous respirateur artificiel. Et on ne sait pas comment ça va renaître. On ne sait pas quand tout va revenir « à la normale ». De toute façon, ce n’est pas ça qu’on souhaite, que tout redevienne comme avant.

M.C. : As-tu espoir qu’on va tirer des leçons de tout ça ?

C.B. : Non [rires]. Mais non ! Je pense que les convertis à l’école de la décroissance et de la diminution de la consommation vont être encore plus convaincus que c’est la voie à suivre. Peut-être qu’il y en aura quelques-uns de plus qui vont adhérer à ce mode de vie là. Peut-être que de réels moyens vont être pris pour qu’il y ait plus de production locale, par exemple, pour des considérations économiques. Mais je ne pense pas qu’il va y avoir un bouleversement systémique. Il n’y aura pas de révolution. Le système est construit pour survivre. Ceux qui sont au pouvoir – et je ne parle pas de nos gouvernements –, les grands joueurs de ce monde, n’ont aucun intérêt à ce que ça change. Je ne suis pas très optimiste. C’est terrible parce que ce n’est pas l’image que je projette ! Mais je refuse de baisser les bras et de devenir un acteur passif et cynique. On a tous des efforts à faire pour devenir des citoyens mieux éclairés, qui font de meilleurs choix dans le système dans lequel on vit. C’est convenu de le dire, mais j’y crois profondément : les changements vont venir de l’intérieur, des communautés, des petits mouvements qui essaiment, par petits bouts, tranquillement, comme la théorie des battements d’ailes du papillon. Et peut-être qu’à force, le poids du nombre augmentant, les choses vont changer pour le mieux.