On n’a jamais autant parlé des aînés que depuis le début de la pandémie. Et si on les écoutait, maintenant ? Dans le cadre de cette série, La Presse prend des nouvelles de personnalités du milieu culturel qui ont plus de 70 ans. Des femmes et des hommes sages et moins sages, qui nous rassurent face à l’avenir. Parce qu’ils ont su vieillir sans devenir vieux.

France Castel a toujours été rebelle, active et survoltée. Avec la crise de la COVID-19, elle est devenue sage et obéissante. « Je n’ai pas le choix d’avoir une rencontre obligatoire, une visite à l’intérieur de moi-même », dit-elle en entrevue avec La Presse.

Omniprésente depuis un demi-siècle au théâtre, à la télévision, au cinéma et dans les variétés, l’animatrice, chanteuse et comédienne a cessé de travailler il y a un mois, comme la majorité de ses collègues. À la mi-mars, le Théâtre du Nouveau Monde a annulé la fin de sa saison et reporté la production de Lysis, une création du tandem Fanny Britt et Alexia Bürger mise en scène par Lorraine Pintal, avec Mme Castel et 17 autres interprètes. « Or, comme je fais partie du groupe d’âge des 70 ans et plus, visé au tout début par les directives de confinement, j’avais déjà cessé les répétitions », remarque-t-elle.

La citadine s’est réfugiée dans sa maison des Laurentides, avec son mari. Là-bas, France Castel peut marcher et prendre un peu d’air sans risquer la contamination. « Les deux premières semaines, je m’occupais beaucoup. J’ai fait du rangement, et toutes sortes de travaux. Puis arrive un moment où il n’y a plus rien à faire dans la maison. On n’a pas le choix de faire une pause, et de prendre conscience de ce qu’on ressent à l’intérieur de soi. »

Comme ses contemporains, elle s’interroge beaucoup, et s’inquiète parfois. « Il va falloir arriver à s’élever au-dessus de ce mal qui ronge notre humanité, dit-elle. C’est très anxiogène, cette crise. J’ai peur pour mes enfants, mes petits-enfants. Heureusement qu’il y a la technologie pour garder le contact avec eux. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Dans sa maison des Laurentides, avec son mari, France Castel peut marcher et prendre un peu d’air sans risquer la contamination.

Vieillir, la belle affaire

Cette pause obligatoire, loin de la ville et des projecteurs, heurte à la fois la femme et l’artiste. Va-t-elle changer des choses dans sa vie, lorsque la pandémie sera terminée ? 

« Je vais probablement moins m’éparpiller. Mais je me ferai encore un devoir d’exister publiquement. Lorsqu’on m’invite à un talk-show ou qu’on m’offre un petit rôle, j’accepte toujours à cause de mon âge [76 ans]. Je trouve ça important que le public voie des artistes de mon âge dans les médias ou les séries. On n’est pas assez représentés. »

Une chose reste sûre, France Castel ne finira pas sa vie confinée dans une chambre vide à ne rien faire.

Ma belle amie Andrée Lachapelle a donné un bel exemple, en demandant l’aide médicale à mourir. Elle est partie dans la sagesse, la dignité et la beauté. En s’évitant de grandes souffrances inévitables. Je vais sans doute suivre son exemple, lorsque la fin arrivera…

France Castel

Mais pas tout de suite ! Si, depuis un mois, on ne cesse de lui rappeler son âge, France Castel préfère encore en rire. Elle est consciente de sa chance, de son privilège, et de tout ce qu’elle a reçu de la vie. « Mais il faut arrêter de tout vouloir en même temps, dit-elle. Ce virus, je pense, c’est la Terre qui nous parle, pour qu’on cesse de lui désobéir. »

Prendre le temps

Grande lectrice, Mme Castel peut enfin plonger dans des romans qu’elle avait chez elle, sans avoir pu les commencer. La liberté des savanes de Robert Lalonde ; La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette ; le dernier livre de Francine Ruel, Anna et l’enfant-vieillard  ; L’art de la simplicité, un essai de la Française Dominique Loreau. « Ce livre puise aux sources du bouddhisme et du zen pour expliquer comment on peut enrichir sa vie en la simplifiant. C’est bien utile en ce moment pour tous ! » dit-elle. 

Elle aime aussi la poésie qui agit comme des méditations pour l’esprit. Elle a partagé sur la page Facebook de son amie Louise Latraverse cet extrait du poète argentin Roberto Juarroz : 

« Aujourd’hui je n’ai rien fait. Mais beaucoup de choses se sont faites en moi. Des oiseaux qui n’existent pas ont trouvé leur nid. Des ombres qui peut-être existent ont rencontré leur corps. Des paroles qui existent ont recouvré leur silence. Ne rien faire sauve parfois l’équilibre du monde, En obtenant que quelque chose aussi pèse sur le plateau vide de la balance. »

« C’est très révélateur de mon état d’esprit », conclut la comédienne.

Comme tout le monde, l’hyperactive France Castel prend donc son mal en patience. Elle réfléchit au temps suspendu, en marchant dans la nature, en attendant que les oiseaux reviennent. Et l’espoir aussi.