Fabien Cloutier coanime depuis lundi dernier à TVA, en compagnie de Marie-Soleil Dion, Ça va bien aller (19 h), une émission d’une demi-heure qui se veut à la fois rassurante et divertissante, pendant la crise de la COVID-19.

Marc Cassivi : C’est une émission qui a été conçue en moins de dix jours. Est-ce que sa mise en ondes t’a rassuré ?

Fabien Cloutier : Lundi matin, vers 10 h, après quelques réunions de contenu, j’ai décidé de lâcher prise. Habituellement, si tu as un problème technique en télé, tu as quatre personnes pour t’aider à le régler. Là, je suis tout seul ! (Rires) Il y a aussi le problème de la qualité de l’image et du son de ce que les gens nous envoient, même si je le répète depuis le début : j’espère montrer le plus de « vrai monde ». Ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. Il y a toute une logistique à gérer.

M.C. : Mais tu veux sortir des carcans télévisuels habituels, des mêmes gens connus qu’on invite partout…

F.C. : C’est ça. La machine télévisuelle est forte – Oh ! Y a un écureuil qui me regarde de travers parce que j’ai pris sa place dans le bois. Il a l’air fâché que je sois là ! (Rires) J’ai toujours voulu mettre d’autres types de gens de l’avant. C’est sûr qu’il y aura des artistes et des vedettes, mais je pousse pour qu’on aille dans une autre talle. Je ne me bats contre personne ! Il y a plein de gens qui pensent comme moi. Mais j’y tiens ! J’ai envie de voir ça, et je pense qu’il y a aussi des gens qui ont envie de SE voir à la télé.

M.C. : Une émission improvisée à la dernière minute comme celle-là, pour témoigner de ce qui se passe, est le prétexte parfait pour ça. On sent dans ton animation ton affection pour les gens, pour les Québécois, avec cette solidarité qui s’exprime en ce moment…

F.C. : Tout à fait. Il faut juste faire très attention pour ne pas que ça devienne « la pandémie des privilégiés ». Tu comprends ? Il ne faut pas que les gens aient honte d’être en confinement dans une grande maison, ou d’avoir du terrain. Ce n’est pas ça. Mais il faut que tout le monde ait la parole. C’est super, cette semaine, toutes les initiatives d’achat québécois. C’est excellent. Mais on dirait qu’il faut aussi rappeler en même temps que tout le monde ne peut pas acheter.

M.C. : Et tout le monde ne peut pas se permettre de payer plus cher pour acheter local. C’est aussi un luxe de privilégiés…

F.C. : C’est ça. On le sait qu’ultimement, c’est un investissement à long terme, acheter local. Mais des travailleurs de toutes les strates, qui ont perdu leur emploi, n’ont pas le loisir de se demander d’où viennent les produits qu’ils achètent. Ils se demandent ce qu’ils vont manger cette semaine. J’ai toujours voulu m’assurer de m’adresser à tout le monde. Ces temps-ci, encore plus. Et les gens avec qui je travaille aussi. Est-ce que la télé se soucie toujours de ça ? Je ne sais pas. Il faut être vigilant. Parce que « la pandémie des privilégiés », ce n’est pas le show que je veux faire, et ce n’est pas le show qu’on m’a demandé de faire non plus.

M.C. : Ça risque d’être d’autant plus délicat dans les prochains jours et les prochaines semaines. Vous arrivez en ondes à un moment où la pandémie sera à son pic. C’est-à-dire qu’il y aura plus de décès et qu’il y aura plus de gens qui vont connaître, de près ou de loin, quelqu’un qui est durement touché par la crise. Tu es prêt à réajuster au besoin le ton de l’émission ?

F.C. : C’est sûr. Moi, des occasions de faire des jokes, j’en ai en masse ! Je peux en faire quand je veux, par exemple sur les réseaux sociaux. Je vais animer un gala ComediHa ! cet été, s’il n’est pas remis. Si j’ai accepté d’animer cette émission-là, ce n’est pas pour montrer à quel point je suis capable de faire des jokes de COVID. Je l’ai accepté parce qu’il y a des gens qui nous disent que ça leur fait du bien, la télé. Que c’est encore rassembleur. Qu’ils aiment voir des artistes interpréter des trucs. Si on donne la parole à des artistes, c’est parce qu’ils s’impliquent et qu’ils peuvent être des modèles. Sinon, ça m’intéresse moins.

M.C. : Si je me fais l’avocat du diable et que je te dis que moi, qui suis fan de ton humour, j’en prendrais un peu plus de tes jokes. Par ton art aussi, tu peux faire du bien. Je ne m’attends pas à ce que tu fasses un numéro de stand-up, mais est-ce que tu peux t’en permettre quand même ?

F.C. : Oui. Je vais m’en permettre plus quand l’occasion va se présenter et qu’on aura diffusé assez de topos sur les gens qui comptent, ceux du milieu hospitalier, par exemple. Si les topos nous touchent, nous brassent, nous font vivre des émotions, après, je pourrai être celui qui vient équilibrer l’ensemble avec de l’humour. J’aime autant me faire dire que j’ai été trop engagé que j’ai été trop léger. Mais il y aura des occasions de faire des « numbers ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Soleil Dion anime Ça va bien aller avec Fabien Cloutier

M.C. : Surtout avec Marie-Soleil, qui est très drôle elle aussi.

F.C. : Il y a un équilibre à trouver. Les émissions de la semaine prochaine seront différentes de celles de cette semaine. On veut parler au « on », pas au « vous ». Je ne veux pas avoir l’air moralisateur. Je veux être à la même place que tous les citoyens là-dedans. Et j’essaie d’être en paix avec ce qui va en ondes, même s’il y a un million de personnes qui vont voir l’émission.

M.C. : Est-ce qu’il y a quelque chose d’inspirant, malgré les circonstances, dans ce laboratoire de télé fabriquée avec les moyens du bord ? Faire la démonstration qu’on n’a pas besoin d’un grand plateau pour faire de la télévision intéressante ? Cette simplicité-là est rafraîchissante, non ?

F.C. : Oui, mais je te dirais qu’au quotidien, quand tu fais des tests de kodak et que personne ne t’entend, que tu joues dans les fils HDMI et qu’il n’y a pas d’image, que tu dois changer la pile et t’éclairer tout seul, que tu changes ton micro, que tu joues dans les « channels » et qu’il faut que tu fasses un cadrage qui a de l’allure, à un moment donné, tu te dis que ce serait pas mal plus le fun avec des techniciens et un régisseur ! (Rires) J’ai aussi décidé de sortir le kodak dehors, plutôt que de le rentrer dans ma maison.

M.C. : À ce propos, jusqu’où tu dois ouvrir la porte sur ta famille ? On voit Marie-Soleil chez elle avec son chum, les enfants…

F.C. : On va peut-être voir mes gars passer derrière, mais ce n’est pas prévu ! Marie-Soleil et moi, on est différents là-dessus, mais il n’y a aucun malaise entre nous. Pendant que je tournais cet après-midi, mes enfants faisaient du skate sur le pavé (« Ça va mon homme ? As-tu une question ? », demande-t-il à son fils).

M.C. : Au début de la première émission, tu as dit qu’il y aurait aussi de la place pour « se parler dans le casque », s’il le faut…

F.C. : Tout le monde fait des sacrifices. C’est pour ça qu’on est impatients par moments. C’est normal aussi. Il ne faut pas se laisser gagner par la colère, mais les épais qui se collent les uns contre les autres pendant qu’on s’empêche de voir nos proches, ça joue sur nos émotions. C’est le pire moment pour être en maudit, mais il y a des choses qui doivent être dites.

M.C. : Combien de temps va durer l’émission, à ton avis ? Quelques semaines ou c’est parti pour l’été ?

F.C. : Si c’est parti pour l’été, c’est que ça va mal en maudit ! Je suis embarqué dans un show qui est fait pour accompagner les gens en temps de crise. Pour leur changer les idées. Le jour où on va sortir les caméras de chez nous pour s’en aller en studio, ce ne sera plus le même show. Ça va vouloir dire que la vie peut continuer son cours.