Les annonces récentes de mises à pied chez evenko et Juste pour rire, combinées à l’interdiction d’accès au territoire canadien jusqu’au 30 juin, font craindre le pire pour la saison des festivals. Au cours des deux ou trois prochaines semaines, le couperet tombera, ou non, sur les gros canons de l’été.

La semaine dernière encore, nombre d’observateurs estimaient que la saison des festivals, qui commence officieusement en mai, serait épargnée.

Mais avec la multiplication des restrictions et des limitations liées à la pandémie de COVID-19, plusieurs organisateurs d’évènements ont dû procéder à des mises à pied. Jeudi, le Groupe Juste pour rire a annoncé le départ temporaire de 75 % de son personnel, laissant présager le pire pour son festival qui ne débute pourtant que le 15 juillet.

Bien que le festival d’humour soit toujours au calendrier, cette nouvelle n’augure rien de bon non plus pour les autres festivals de l’été.

Déjà que le Festival Santa Teresa et le Carrefour international de théâtre de Québec ont été annulés jeudi, tandis que le Festival TransAmériques (FTA) a annoncé l’annulation de son volet international – soit 12 spectacles venus de l’étranger –, on se demande bien comment pourront avoir lieu les autres évènements des prochains mois.

La direction du FTA et celle du Festival Santa Teresa ont invoqué la nouvelle directive émise par le gouvernement fédéral qui restreint l’accès au territoire canadien jusqu'à la fin juin. Une contrainte qui risque de causer bien des maux de tête aux organisateurs des Francos, qui doivent commencer le 11 juin, du Festival international de jazz, prévu dès le 25 juin, ou du Festival d’été de Québec, qui débute normalement le 9 juillet.

Le président-directeur général du Regroupement des évènements majeurs internationaux (RÉMI), Martin Roy, qui discute avec plusieurs de ses membres, estime que cette interdiction aura sans doute une influence sur la décision des directions de festivals dans les prochaines semaines.

La frontière avec les États-Unis est fermée jusqu’au 21 avril, pour l’instant, mais pour tous les autres voyageurs, l’interdit est jusqu’au 30 juin. Est-ce que ça veut dire que les gens pourraient transiter par les États-Unis ? Ce ne sera pas nécessairement plus facile de rentrer là-bas dans les prochaines semaines…

Martin Roy, président-directeur général du Regroupement des évènements majeurs internationaux 

Les festivals demeurent tributaires des décisions prises par nos gouvernements. Les interdictions de déplacement et de rassemblement sont des cas de « force majeure » pour les organisateurs, qui, dans ce contexte, peuvent se libérer de certaines obligations financières prévues dans leurs contrats avec des fournisseurs ou des artistes.

Le « moment optimal » pour annuler

Ce qui amène Martin Roy à parler du « moment optimal » pour annuler, afin de minimiser les pertes pour les organisateurs.

« Il y a un consensus pour dire qu’on ne peut pas attendre trois semaines avant le début d’un festival pour annuler. On est plutôt d’accord pour dire qu’il faut décider entre 8 et 10 semaines avant, parce que ce sont des paquebots, les festivals, ça prend un certain temps pour modifier leur course ou les arrêter. Ce qui veut dire que dans les prochains jours on va se pencher sur le cas du Piknic Électronik [17 mai] et du Festival Go Vélo Montréal [24 mai] et, d’ici une semaine, des Francos. »

La priorité pour Martin Roy est de sécuriser les revenus en subventions et les commandites de l’État, que les festivals aient lieu ou non.

« Au RÉMI, les subventions représentent 17 % du montage financier, si on ajoute les commandites des sociétés d’État comme Loto-Québec, Hydro-Québec et la SAQ, qui sont de l’ordre de 4 %, on parle d’environ 21 %. Si on peut s’assurer d’avoir ces revenus-là, même si les festivals sont annulés, c’est sûr que ça va nous aider à limiter nos pertes. »

Comme les festivals s’organisent souvent un an d’avance, il y a bien sûr une bonne partie du travail qui est fait – ce qui pourrait être utile si la situation s’améliorait et que les festivals devaient se dépêcher à tout mettre en place. Mais ça veut aussi dire qu’une bonne partie des dépenses ont déjà été engagées. À 12 semaines de l’évènement, Martin Roy estime que 40 % du budget a déjà été dépensé, notamment en masse salariale.

D’où le calcul prudent du RÉMI dans un contexte où tous les organisateurs de festivals ont « un pied sur le frein ». En coupant les moteurs 8 ou 10 semaines avant le début d’un festival, les organisateurs s’évitent d’autres dépenses. « On pense aux dépenses en installation, au montage du site, aux contrats de service avec nos fournisseurs, aux cachets des artistes, à la promotion, ce sont des dépenses que nous n’aurions pas à faire. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les Francos peuvent-elles être reportées à la fin de l’été, voire à l’automne ?

Reporter en septembre ? Pas évident

Même en limitant l’impact, les conséquences de l’annulation de festivals seront importantes, prévient Martin Roy.

« Un festival qui a un budget de 5 millions, qui a engagé 30 % de ses dépenses, mais qui n’a que 20 % de revenus [subventions et commandites], aura quand même un déficit de 500 000 $ à financer, note-t-il, et ce sont des organismes à but non lucratif, donc des entreprises qui sont mal équipées pour faire face à ce genre de situation. Il va falloir voir comment sortir ces gens-là du trou, si on en arrive là. »

Et si les gros festivals – on pense aux Francos, au Jazz ou au Festival d’été de Québec – étaient reportés à septembre, n’y aurait-il pas là une porte de sortie pour les organisateurs ?

« Certains festivals étudient le scénario d’un report, mais ce n’est pas évident, répond Martin Roy. Le festival Coachella [en Californie] a réussi à reporter son évènement d’avril à octobre, mais c’est un cas spécial : ils ont une force de négociation importante, c’est une machine incroyable, donc ils ont pu confirmer la même affiche. Mais si tous les festivals reportent leurs évènements à l’automne, ça va créer une pression inflationniste sur les cachets et on va se battre pour les mêmes artistes. »

Martin Roy croit que dans l’éventualité où les festivals seraient annulés, « il pourrait y avoir des activités organisées à l’automne, des formules off ou inédites, qui seraient comme un baume après toute cette histoire-là ».

Alors, optimiste ou pessimiste pour la suite ? « Un jour à la fois, répond-il. Un éléphant, ça se mange une bouchée à la fois… En ce moment, on se penche sur le début de la saison. Dans une ou deux semaines, il y aura des décisions qui seront prises sur les festivals de juin. Puis deux semaines plus tard, pour ceux de juillet. On va y aller comme ça en déboulant le calendrier. »