Elvis Gratton est devenu le président des États-Unis. Il ne cesse de nous le rappeler. Jeudi, lors d’un rallye au Colorado, Donald Trump a tourné en dérision l’Oscar du meilleur film remis à Parasite de Bong Joon-ho. « Et le gagnant est un film de la Corée du Sud ! Non, mais, qu’est-ce que c’est que ça ? [What the hell was that all about ?] », a-t-il déclaré, en grimaçant comme s’il venait de mordre dans un citron.

Comment est-ce possible qu’un film qui n’est pas américain remporte le prix le plus prestigieux du gala du cinéma américain ? demande le président des États-Unis, dans la foulée des commentateurs de sa chaîne de télévision préférée, Fox News.

J’ai repensé à la célèbre réplique du film de Pierre Falardeau, qui a tant de résonance aujourd’hui : « Elvis Wong ! Un Chinois ! Ben ça, c’est l’boutte ! Pourquoi pas un Pollock, un Wops, un Nèg’, tant qu’à y être ? Un Chinois, esti ! Un autre qui s’en vient voler nos jobs ! »

Donald Trump incarne à lui seul ce discours xénophobe décomplexé qui a envahi l’Occident et qui inonde les réseaux sociaux. Le nationalisme du Make America Great Again. « Est-ce qu’on peut ravoir Gone with the Wind, s’il vous plaît ? », a-t-il ensuite demandé, sous un tonnerre d’applaudissements. Un film qui se passe dans un Sud ségrégationniste idéalisé, propose une vision romantique des Confédérés et minimise l’esclavagisme. Comme dans le bon vieux temps…

Ce n’est pas un hasard si Trump a choisi de nommer le film de Victor Fleming après s’être moqué de celui de Bong Joon-ho. Parasite, un film sur les luttes de classes et les inégalités sociales, est le premier long métrage dans une autre langue que l’anglais à obtenir l’Oscar du meilleur film. Ce que Donald Trump ignorait ou a feint d’ignorer jeudi.

C’est ce que l’on appelle en anglais un dog whistle (un « sifflet à chien »), c’est-à-dire une référence (ou une fréquence) destinée à un public précis et conquis d’avance. Encore une fois, le président américain s’est adressé aux xénophobes ainsi qu’aux pourfendeurs de « l’élite » – susceptible d’avoir aimé un film étranger – qui le soutiennent en cette année électorale. Le populisme poussé à son paroxysme. C’est grotesque, c’est flagrant… et, malheureusement, ça fonctionne du feu de Dieu.

Le distributeur américain Neon a beau répliquer sur Twitter que le scepticisme de Donald Trump vis-à-vis de Parasite, un film sous-titré, est « compréhensible : il ne sait pas lire », cela ne fera que braquer davantage tous ceux qui ont l’impression, non seulement qu’on leur vole des jobs, mais qu’on les méprise (s’ils n’apprécient pas, à l’instar du gratin hollywoodien, le grand art Palme d’or à Cannes). Au jeu de la démagogie 101, Trump ne peut perdre.

La politique est une question d’image. Qui semble le plus près du peuple ? Pas plus près de ses préoccupations, mais de ses aspirations. Pas plus près géographiquement, mais idéologiquement. Le milliardaire new-yorkais, star populaire de téléréalité, incarnation archétypale du rêve américain ? Ou le seul candidat qui n’est pas millionnaire, un gai ex-maire d’une petite ville de l’Indiana, diplômé de Harvard ?

L’une des choses les plus désolantes du premier mandat de Donald Trump, c’est que son discours ouvertement hostile aux étrangers et à l’immigration a fait des petits. Littéralement. 

Des journalistes du Washington Post ont répertorié dans les textes du quotidien 300 incidents racistes ou xénophobes liés à des déclarations du président américain depuis 2016 dans les écoles primaires et secondaires des États-Unis. Les trois quarts des victimes de ces incidents étaient des enfants musulmans, latinos ou afro-américains.

Il ne s’agit que d’une fraction du nombre de cas d’intimidation subis par les élèves américains à être directement inspirés par la rhétorique xénophobe du président Trump, ses insultes et sa « manière cruelle » de se moquer de ses détracteurs, estiment les journalistes.

Le Washington Post présente plusieurs de ces cas. Des élèves de maternelle – de maternelle ! – de l’Utah qui ont dit à un camarade de classe latino-américain que Trump le renverrait au Mexique ; des ados du Maine qui ont scandé « Ban Muslims » (« Refoulez les musulmans ») à une élève portant le hijab ; des élèves du secondaire, au Tennessee, qui ont formé une chaîne humaine pour empêcher les « non-Blancs » d’entrer en classe ; des profs qui ont menacé des élèves afro-américains, arabes ou d’origine mexicaine de les « renvoyer dans leur pays », en répétant des slogans de Trump.

La situation des élèves racisés aux États-Unis a empiré depuis l’élection de Donald Trump, constate le Washington Post, alors même que la campagne « Be Best » de la première dame Melania Trump, qui condamne toute forme d’intimidation, battait son plein. On n’en est pas à une ironie près.

Dans le sport scolaire, le Post a recensé une cinquantaine de cas médiatisés dans 26 États américains où des joueurs, parents ou spectateurs ont mentionné Trump dans des commentaires haineux contre des athlètes élèves. Des joueurs de basketball afro-américains ont été traités de « singes ». Des joueurs de soccer d’origine latino-américaine ont été accueillis par un « Trump, construis ton mur ! ». Deux filles se sont présentées à un match de football en Alabama avec une banderole « Put the Panic Back in Hispanic » (« Remettez la panique dans hispanique »). D’autres, en beaucoup moins grand nombre, ont aussi été intimidés parce qu’ils appuyaient le président.

La « manière Trump », constate le Washington Post, s’est infiltrée dans les écoles américaines. Selon un sondage de 2017, un élève sur cinq, de 12 à 18 ans, subit de l’intimidation à l’école aux États-Unis. Cette intimidation a pris une nouvelle forme, selon le quotidien de référence, et est désormais davantage chargée de racisme et de xénophobie.

Il ne faudrait pas croire que ce phénomène est propre aux États-Unis. La parole xénophobe décomplexée a envahi l’espace public, partout en Occident. Le Québec n’y fait pas exception. On parle et on écrit ouvertement contre les étrangers et l’immigration à Londres, comme à Rome, Francfort, Montréal ou Chicoutimi. Parfois, il s’agit de quidams ignorants qui régurgitent ce qu’ils ont lu dans les journaux ou sur le web. Parfois, ce sont des intellectuels influents qui pratiquent le détournement de sens des idées de leurs adversaires. Et parfois, ce discours délétère est charrié par l’intimidateur en chef des États-Unis, Donald Trump lui-même, alias « l’homme le plus puissant de la planète ».

Cette rhétorique toxique contamine, entache et pourrit le climat social. Et pose, bien évidemment, la question des modèles que l’on offre et de l’exemple que l’on donne aux jeunes. D’où leur viennent ces idées et ces insultes racistes ? Il n’y a pas à chercher trop loin. Dans l’entourage familial et dans le martèlement médiatique de préjugés populaires. Si le président des États-Unis peut ainsi se permettre de se moquer des Mexicains, des Noirs et des musulmans, pourquoi pas eux ?