Au Québec, la plupart des comédiens d’origine française ont du mal à trouver des rôles à la télé, au cinéma et dans les pièces de théâtre typiquement québécoises. Ils doivent parfois transformer leur accent, accepter des rôles de Français stéréotypés ou carrément… abandonner le métier.

Dès son arrivée au Québec en 2016, Sarah Dreyfus s’est renseignée pour acquérir un statut à l’Union des artistes. Elle a suivi une formation aux Ateliers Danielle Fichaud pour avoir une référence québécoise. Elle s’est inscrite aux auditions de la diversité. Malgré ses démarches, un élément l’empêchait d’avancer : son accent. « On m’a déjà parlé de cours afin d’acquérir l’accent québécois, mais je n’y suis jamais allée, dit-elle. Je me suis aussi fait dire en ateliers de jeu que je jouais “trop français”. Je regrette ce manque de diversité. Les Français font partie du paysage urbain, en tout cas à Montréal. »

De son côté, Kevin Desmarescaux a déménagé à Montréal en 2010, après avoir suivi une formation en art dramatique à Paris et fait ses débuts dans le métier. Même s’il désirait se perfectionner au Québec, son visa temporaire d’un an l’empêchait d’étudier dans un programme de plusieurs années. « J’aurais payé le même tarif qu’un étudiant québécois, mais le visa que j’aurais pu obtenir ne m’aurait pas permis de travailler en même temps, explique-t-il. J’aurais dû emprunter de l’argent pour suivre une longue formation dans un secteur qui n’assure absolument pas des entrées d’argent. »

Il a vite constaté qu’il aurait du mal à développer son avenir professionnel dans la Belle Province. « C’est quasi impossible, à moins de parler avec un accent local québécois que je n’avais évidemment pas. Je n’avais pas non plus la culture nécessaire pour être accepté par mes pairs. C’est un travail titanesque. »

Un hybride français-québécois

La situation est plus positive pour Albane Sophia Chateau, actrice originaire de Paris. Après avoir obtenu son bac à l’École supérieure du spectacle de France et travaillé dans son pays, elle a étudié en théâtre musical au cégep Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse. 

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Albane Sofia Chateau

Le fait d’avoir été formée ici m’a beaucoup aidée, affirme-t-elle. J’ai vécu trois ans de laboratoire où j’ai pu faire des erreurs et surtout casser mon accent. Les profs ne me conseillaient pas de le faire, mais si je voulais jouer du Tremblay, on me demandait de sonner le plus québécois possible.

Albane Sophia Chateau, comédienne

La comédienne souligne qu’il est plus aisé de trouver des rôles dans les pièces de théâtre jouées en français normatif, mais elle tire également son épingle du jeu dans les projets résolument québécois. Elle croit d’ailleurs que ses origines multiculturelles l’ont aidée. « J’ai des origines russes de par ma grand-mère, ma belle-mère est juive, mon père est bouddhiste, j’ai d’abord grandi aux États-Unis avant de vivre à Paris et j’ai beaucoup voyagé. J’ai de la facilité à m’adapter. En France, on me dit que je suis rendue québécoise. Ici, on me demande souvent si je viens d’Outremont ou du Nouveau-Brunswick, parce que j’ai encore des sonorités françaises qui peuvent ressortir. »

Elle se décrit toutefois comme un hybride capable de jouer une Française autant qu’une Québécoise. « Je travaille consciemment les deux accents. C’est quelque chose que je dois entretenir au quotidien. »

Jusqu’où s’adapter ?

Sarah Dreyfus a du mal avec l’idée de transformer son accent. « En tant qu’immigrante, je veux m’assimiler et créer du lien. Cela ne veut pas dire imiter un accent, mais adopter des expressions pour communiquer et me faire comprendre. »

PHOTO B CRUVEILLER, FOURNIE PAR SARAH DREYFUS

Sarah Dreyfus

D’autre part, en tant que comédienne, mon accent français fait partie de mon naturel. Il est donc impensable de m’en détacher complètement.

Sarah Dreyfus, comédienne

Kevin Desmarescaux affirme qu’il est plus simple pour les comédiens français de faire carrière… à Toronto. « À force de discuter avec des professeurs et avec mon agent, je me suis demandé si c’était mieux de travailler mon français québécois ou mon anglais. Mon choix s’est rapidement tourné vers la deuxième option. Le Canada est un grand pays majoritairement anglophone avec un potentiel de contrats important. »

Il a toutefois été rattrapé par certaines difficultés d’intégration. « On sent parfois qu’on n’est pas les bienvenus ou qu’on prend la place de quelqu’un d’autre. En plus, pourquoi les producteurs et les réalisateurs prendraient-ils un comédien français si ce n’est pas exactement le profil qu’ils recherchent ? Au fond, il y a très peu de besoins de comédiens français, parce qu’on raconte des histoires majoritairement locales. »

Le Français cliché

En effet, les rôles attribués aux acteurs français sont rarement écrits pour eux à la base. « Certains personnages peuvent être joués par des Québécois ou des Français sur papier, et selon l’acteur qu’on choisit, le personnage peut changer d’origine, dit Albane Sophia Chateau. Mais au Québec, on écrit pour des Québécois et je comprends vraiment ça. C’est rare que des Français débarquent dans une histoire. »

Quand c’est le cas, les clichés sont souvent nombreux. Surtout en publicité. « Récemment, j’ai joué dans une pub une Française clichée du Plateau, avec l’accent très parisien et des vêtements très classe, résume-t-elle. Le concept démontrait que le produit pouvait interpeller des gens de toutes les nationalités. J’apparaissais deux secondes. Il fallait qu’on comprenne vite qui je personnifiais. »

En réalité, les productions québécoises s’intéressent bien peu à la représentation nuancée de la diversité, selon M. Desmarescaux. 

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Kevin Desmarescaux

Les rôles de Français sont assez limités et on est généralement dans le cliché du Parisien hautain et embêtant. Pour un casting d’un personnage avec un accent parisien, j’ai lu qu’on recommandait un habit recherché, presque efféminé, avec une attitude un peu chiante. J’ai accepté de faire ce qu’on demandait, car j’avais besoin de travailler…

Kevin Desmarescaux, ex-comédien

Albane Sophia Chateau aimerait que la représentation de la diversité culturelle prenne aussi en considération les minorités auditives. « Je trouve extraordinaire le débat pour qu’on voie davantage de comédiens issus des minorités visibles à l’écran et sur nos scènes, et je crois qu’on peut aussi penser aux comédiens blancs qui ont un accent et qui vivent un rejet dans plusieurs rôles. Évidemment, c’est parfois justifié. Il y a des choses qui ne se peuvent juste pas. Néanmoins, j’appelle à un peu plus d’ouverture. »

Son collègue n’a plus les mêmes espoirs à ce sujet. Faisant face à un manque de débouchés professionnels et à l’absence d’un statut d’intermittent du spectacle, qui permet aux artistes français d’avoir une sécurité financière entre leurs contrats, Kevin Desmarescaux a jeté l’éponge. « La situation des comédiens français au Québec est trop complexe. C’est une bataille qui exige trop d’énergie. Aujourd’hui, je ne me considère plus comme un comédien. »