« Va réfléchir dans ta chambre ! » est une phrase que nous avons tous entendue quand nous étions enfants. Elle nous fâchait d’abord, puis nous ressortions de ladite chambre un peu penauds, mais apaisés.

J’ai l’impression que 2020 est une année où nous sommes tous allés réfléchir, de gré ou de force, dans notre chambre, à cause d’un virus microscopique. C’est ce qui ressort des courriels que j’ai reçus lorsque, inspirée par une initiative du New York Times, j’ai lancé l’invitation à nos lecteurs de résumer en moins de sept mots ce qui leur a procuré de la gratitude dans cette année vraiment pas comme les autres, afin de créer un grand poème collectif. Ma boîte de courriels a été inondée de perles de sagesse, de témoignages, de mots d’amour, de pépites de poésie et de traits d’esprit.

> Consultez l’article du New York Times (en anglais)

Pour vrai, j’ai créé un monstre. Ça entrait toutes les cinq secondes, mon cellulaire n’arrêtait pas de tinter, mon chum a failli me piquer une crise de jalousie en soupçonnant une liaison.

L’espace étant limité dans nos pages, il m’a fallu faire un tri, ce qui a pris des jours. Il était humainement impossible de répondre à chacun, mais je vous explique ici un peu comment s’est créé votre poème, car ce que vous lirez ne représente qu’une petite partie des courriels reçus.

J’ai d’abord écarté ceux qui ne respectaient pas les consignes. Huit mots plutôt que sept, ce n’était pas bien grave, mais au-delà de dix mots, l’exercice ne tenait pas. Je n’ai pas retenu non plus ceux qui n’étaient pas vraiment dans la gratitude, cela aurait donné des strophes bizarres dans le contexte. Enfin, il a fallu aussi platement couper, à froid, pour respecter les contraintes d’espace, et je dois dire que chaque phrase supprimée m’a égratigné le cœur (que j’avais déjà à vif).

J’ai souvent choisi une phrase qui en résumait beaucoup d’autres, et des thèmes très clairs sont apparus. Beaucoup de couples heureux de passer le confinement ensemble, émerveillés de bien s’entendre dans cette fusion obligée. Énormément de grands-parents fiers de leurs enfants et ravis de leurs petits-enfants. Pas mal de naissances, de deuils et de maladies affrontées avec courage. Bien des parents qui avouent avoir profité de l’intensité de ces moments encabanés avec les ados et les jeunes adultes au bord de prendre leur envol. Un nombre impressionnant de gens pour qui cet arrêt planétaire a transformé l’existence, que ce soit dans le ralentissement d’une course effrénée, la réorientation de carrière ou simplement les joies du télétravail sans embouteillage le matin. Vous avez aussi beaucoup, beaucoup, beaucoup marché aux quatre coins du Québec, en vous extasiant devant les beautés de la nature ou le silence revenu dans les villes, tout en lançant un clin d’œil complice aux autres par-dessus vos masques. Vous vous êtes perdus, trouvés, retrouvés et parfois, même, surtout chez les solitaires naturels, vous avez découvert que vous n’aviez rien à changer, que vous étiez déjà là où vous vouliez être. Enfin, tout le monde est d’accord sur des choses essentielles : l’importance de l’amour, de la famille, de l’amitié et de la solidarité.

Toutes ces heures à vous lire ont été émouvantes. J’ai vraiment eu le sentiment de revivre 2020, mais par les yeux d’un millier de gens. J’espère que le résultat vous donnera la même impression, car c’est votre poème. Et au risque de paraître téteuse (de toute façon, j’ai perdu cette année la peur du ridicule), voici en sept mots comment j’exprimerais ma gratitude au terme de cette aventure :

Les lecteurs de La Presse sont formidables.