Un nouvel Album du peuple de François Pérusse ? Ça se prend comme une bonne grosse dose de vitamine D de 10 000 UI, particulièrement en ce tristounet mois de novembre confiné. Je me suis précipitée dessus dès que je l’ai reçu, pour y retrouver cet humour hyper condensé en une heure, plutôt que de gober quelques capsules par-ci, par-là. Ce que j’admire chez Pérusse depuis 30 ans est cette densité, ces nombreuses textures et la musicalité de son humour qui font que lorsqu’on rit, on rate forcément trois blagues. Voilà pourquoi il faut réécouter ses albums jusqu’à s’en faire des vers d’oreille.

« Merci de m’amener là, me dit François Pérusse, heureux du compliment. La densité du stock, je m’y sens obligé. Sur mes albums – et là je vais sonner comme Elon Musk –, c’est que pour le plaisir du consommateur, je pense qu’il est important qu’il y ait du stock. Le produit n’est pas jetable immédiatement après. C’est ça qui fait que c’est long à faire, aussi… »

Mais il a dû travailler plus rapidement pour livrer ce 11tome de l’Album du peuple (qui est en fait son 15disque) que ses fans lui réclamaient à hauts cris. D’habitude, il les commence en janvier, alors que cette fois-ci, il s’est lancé en mars et a planché dessus pendant tout l’été. François Pérusse, qui est pratiquement en confinement depuis 30 ans dans son studio à bidouiller ses sketches et ses chansons, a vraiment senti que les gens avaient besoin de lui avec la pandémie.

J’ai toujours été bien gâté là-dessus, on me demande régulièrement un nouvel album, mais je dois dire que cette fois-ci, ça a été plus impératif. Je me sentais comme si j’étais utile et non pas juste le gars qui fait son métier. Je suis vraiment content du résultat, et je sentais vraiment que je le faisais pour une demande, une cause. Ça m’a fait du bien à moi aussi.

François Pérusse

Et ça fait du bien de le recevoir en pleine deuxième vague. D’ailleurs, il y a une toune sur l’album qui s’intitule Deuxième vague, contenant un délire sur les livraisons de pizzas, mais Pérusse a volontairement choisi de ne pas trop se pencher sur la pandémie pour que l’album traverse le temps (et parce qu’on est vraiment tanné d’en entendre parler, même en blague). En revanche, il s’est fait plaisir en rendant hommage au rock progressif, un genre musical qu’il adorait adolescent et qui est la ligne directrice de l’album.

« J’ai été un peu égoïste en choisissant de prendre le rock progressif comme support pour faire une critique du monde d’aujourd’hui, parce que j’aime ça. J’ai composé ma prog en m’inspirant de styles connus comme Jethro Tull, Zappa ou King Crimson. C’est mon plaisir, il n’y a personne qui m’a demandé ça. Non seulement personne ne m’a demandé ça, mais il n’y a personne qui fait ça ! Tu sais, les tounes de neuf minutes… J’ai lu beaucoup les biographies de ces artistes, Ian Anderson, Phil Collins, Peter Gabriel ou Mike Rutherford, et tout le monde est d’accord pour dire que c’est une musique faite en fonction des spectacles. Les radios ont rapidement arrêté de les diffuser, à cause du format long, parce qu’elles ne pouvaient plus placer de pubs. La prog en a souffert, le punk est arrivé et ça a balayé la prog au complet. »

Je veux pas juger, mais…

Le premier extrait dévoilé est la chanson Je veux pas juger qui accumule tous les clichés du rock progressif, notamment chanter dans sa flûte, où il se dit que « dans ce monde régressif, ramenons le progressif ». On y entend aussi « Le monde d’aujourd’hui, je veux pas juger mais… c’est toute des trous de c… fu fu fu [bruit de flûte traversière] ».

Est-ce que François Pérusse pense vraiment qu’on régresse ? « Un peu. Les réseaux sociaux donnent une bien mauvaise fenêtre d’échantillonnage des gens, j’ai l’impression. Mais je ne pense pas profondément que “le monde c’est toute des trous d’cul”. Ça, c’est mon sens de la caricature et de l’exagération. Je ris plutôt de quelqu’un qui dit ça, parce qu’il y a des gens qui parlent comme ça. Mais en général, je trouve qu’il y a trop de chialage sur les réseaux sociaux. »

Les personnages de chialeux sont pourtant légion sur ses albums, c’est même l’une de ses bases humoristiques. « Oui, parce qu’à un moment donné, il y en a qui chialent et qui agissent, et d’autres qui chialent assis sur leur chaise. Moi, j’aime bien rire des gens qui chialent assis sur leur chaise. Il y en a tellement ! »

S’il y a une chose sur laquelle Pérusse ne chiale pas, c’est cette idée qu’on n’aurait plus le droit de rien dire. L’homme a toujours pratiqué un humour qui ne blesse pas, il ne se sent pas marcher sur des œufs ou dans l’autocensure qui fait débat en ce moment. « Je ne m’empêche pas de dire quoi que ce soit, mais je me suis toujours empêché de faire des jokes que moi-même je ne trouve pas drôles. Des jokes sur les personnes handicapées, sur les infortunes personnelles, écorcher des personnalités… Si on veut rire des gens, c’est facile, car tout le monde est risible quelque part. C’est facile de t’accoter sur ça. Je pense qu’il faut travailler un peu pour trouver la façon de rire tout en restant intact. Trouver le meilleur des deux mondes. J’aime les gens, je n’aime pas la chicane, j’aime quand on s’entend bien. Je suis peut-être un peu poule mouillée… »

Mais non. François Pérusse est juste drôle, et son album arrive à point pour nous empêcher de déprimer pendant au moins une petite heure. Je croirai toujours que l’humour est un médicament et que Pérusse est le pusher le plus stable de l’industrie depuis trois décennies.

L’album du peuple – tome XI, en vente le 24 novembre en téléchargement sur le site francoisperusse.ca.