Vivre avec les membres de la famille Paré dans sa tête tous les jours ne doit pas être évident. En entrevue à l’émission de Paul Arcand, l’auteur et humoriste Claude Meunier a confié qu’il était un peu prisonnier de l’univers de La petite vie, le plus grand succès de la télé québécoise, jamais égalé depuis. Mais le personnage de Ti-Mé, qu’il incarnait lui-même, « a pris du galon dans [s]a tête, il est sorti un peu de la famille et il a sa vie parallèle ». Il a ses livres, aussi.

En 2000, Claude Meunier avait faire paraître Journal d’un Ti-Mé, qui s’inspirait, paraît-il, d’un texte ayant servi à un des épisodes de la comédie télé où Popa écrivait son journal intime. Le confinement, qui nous laisse tous un peu isolés et désœuvrés, a mené l’auteur à reprendre la plume que tient en fait Ti-Mé, ce qui donne Réflexions mentales – 2Journal d’un Ti-Mé, arrivé en librairie la semaine dernière. Il y a des gens qui peinent à meubler les heures, ces temps-ci. Claude Meunier, lui, a la chance d’avoir plusieurs amis imaginaires.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Thériault et Claude Meunier dans La petite vie

Vingt ans après le premier livre et presque 30 ans après les débuts de La petite vie, avait-on vraiment besoin de nouvelles pensées de Ti-Mé ? Meunier semble bien conscient d’arriver un peu comme un poil de barbe de Popa sur la soupe aussi longtemps après.

Non sans autodérision, Ti-Mé écrit à la fin : « Quelle sera la place de ce livre dans la bibliothèque universelle de l’humanité ? Entre la Bible et les Fleurs du mal de Baudelaire ? Entre Madame Bovary et Le Petit Poucet de Charles Perrault ? Entre deux Sélection du Reader’s Digest chez le dentiste ? Peu importe. Ce livre peut se passer de reconnaissance, il peut se passer de critique et d’incompréhension. La seule chose dont il ne peut se passer : être lu. »

Eh bien, chez nous, on l’a lu. Parce qu’on a toute l’œuvre de Meunier, comme les deux pièces Appelez-moi Stéphane et Les voisins écrites en collaboration avec Louis Saïa, et bien sûr le premier Journal d’un Ti-Mé. Les livres sont gondolés parce que mon chum les relit régulièrement dans le bain, comme un enfant relit ses histoires préférées. Ce Réflexions mentales, encore intact, ira les rejoindre dans la bibliothèque, mais je dois avouer qu’il faut être vraiment fan du monde de Meunier pour les lire. Il serait étonnant que les moins de 30 ans comprennent quoi que ce soit aux délires de Ti-Mé, mais qui l’a déjà compris ? Très différent du journal intime, ce livre est découpé (voire décousu) entre différentes interviews de Ti-Mé sur des sujets aussi divers et profonds que le paranormal, les migrants, les religions, le couple, l’infidélité, les fantasmes, les transgenres et les transgendres, le cannabis et le XXIIe siècle, où il lance ses opinions sans queue ni tête, le tout entrecoupé de quelques mots de Moman (toujours aussi exaspérée par son mari), de Pogo (le seul ami qui peut vraiment échanger avec Ti-Mé) et de ses enfants qui n’ont réglé aucune de leurs névroses. On atteint des sommets (ou des sous-sols) lorsque Ti-Mé, l’obsédé des outils et des vidanges, fait de la philosophie. « N’oubliez pas le principe de base : pas d’univers, pas de Canadian Tire… »

Ti-Mé n’était pas mon personnage préféré de La petite vie. Pas qu’il soit inintéressant, mais il est un peu comme Charlie Brown dans les Peanuts, un personnage autour duquel gravitent les autres.

En fait, ce que j’aimais le plus de l’émission, c’étaient les relations dysfonctionnelles et toxiques de la famille Paré, avec une préférence pour Rénald, le mal-aimé, et Thérèse, chez qui ça ne tournait jamais rond sous ses coiffures démesurées. Alors mon chapitre préféré de Réflexions mentales (j’en aurais pris d’autres) est « Thérapie de fils en groupe », où Rénald, qui fête ses 20 ans de « thérapie mentale », encouragé par son psy, écrit ses reproches à son père, le « cauchemar de sa vie ». Ce qui fait rire Ti-Mé qui lui répond : « Surtout, dis-toi une chose : si j’avais été ou étais un mauvais père, je n’aurais pas eu autant de plaisir à lire ta lettre… Ne t’en fais pas, tu m’aimes plus que tu penses. TON PÈRE ADORÉ. »

C’est une lettre qui devait demeurer confidentielle, à laquelle pourtant toute la famille répond. Caro, Moman, Rod, Creton, Thérèse… On les revoit tous devant nos yeux.

Il en va de l’humour comme de la mode. Les références doivent être communes. Une génération a considéré que rien ne pouvait se faire de mieux que Les Cyniques, suivie par une autre qui n’a juré que par RBO et les Lundis des Ha ! Ha !. Dans la dernière décennie, ce sont Les Appendices ou Like-moi ! qui ont eu la cote. Il fut un temps où, sur scène, les humoristes carburaient aux personnages qui sont devenus des stars. Ding et Dong, Oncle Georges, Madame Jigger ou Rogatien, qui ont tous fini par faire de la pub (Ti-Mé est aujourd’hui le porte-parole de Recyc-Québec), alors que l’humour des jeunes humoristes présentement est beaucoup plus concentré sur le stand-up pur et dur. D’ailleurs, Claude Meunier a confié à Paul Arcand qu’il était un peu « pogné » avec Ti-Mé comme Doris Lussier avec le père Gédéon. Qu’on le veuille ou pas, Ti-Mé est un peu daté, steamé par le temps qui passe, quand bien même il parle de Beyoncé et Jay-Z (qu’il ne connaît même pas, en vérité). N’empêche, on le retrouve plutôt tel qu’en lui-même, et ceux qui l’aiment vont le suivre. Ou, en tout cas, vont essayer de le suivre dans le dédale pas possible de ses « réflexions mentales »…

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Réflexions mentales – 2e Journal d’un Ti-Mé

Réflexions mentales – 2e Journal d’un Ti-Mé, Claude Meunier, Leméac, 196 pages.