Depuis la pandémie, les acteurs n’ont jamais autant fouillé dans leur boîte à souvenirs. Dans cette série d’été, La Presse demande à des interprètes chevronnés de commenter des rôles marquants dans leur carrière. Aujourd’hui, la comédienne Evelyne Brochu nous confie ses beaux rendez-vous, au théâtre, au cinéma et à la télévision.

Son premier rôle marquant

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Evelyne Brochu au gala des prix Gémeaux de 2012, où elle a été récompensée pour son rôle dans La promesse.

« Lechy dans L’échange, de Paul Claudel, que j’ai joué en sortant du Conservatoire, aux Auditions du Quat’Sous, sous la direction de Patricia Nolin. C’est drôle de nommer Lechy parce que ce n’est pas une production professionnelle. Mais j’ai senti un déclic, une magie, une flamme en le faisant. Ç’a été une clé pour entrer dans le métier. Qui plus est, plusieurs gens du milieu m’ont vu jouer, dont le producteur André Monette qui m’a appelée plus tard pour auditionner pour La promesse. J’ai joué durant cinq ans dans ce téléroman à TVA, au tout début de ma carrière. C’est super formateur de tourner une quinzaine de scènes par jour avec des interprètes d’expérience, comme Louise Turcot, Germain Houde, Sébastien Delorme… J’ai absorbé tout l’artisanat du métier. J’ai appris la grammaire de la télévision. Quand j’ai gagné un prix Gémeaux pour mon rôle dans La promesse, j’ai d’ailleurs remercié André Monette. André aime aller au théâtre. Il a donné à plusieurs jeunes comédiens peu connus, qu’il voyait jouer au théâtre, la chance de faire de la télévision. »

Le rôle dont le public lui parle le plus souvent

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Evelyne Brochu dans Orphan Black

« Delphine dans Orphan Black. C’est une série de science-fiction, avec des personnages féminins très forts. Mon personnage est médecin et amoureuse d’un des clones [joué par Tatiana Maslany]. Elle veut soigner sa blonde malade. Puisque c’est coproduit avec plusieurs pays et la BBC, la série a été vue dans environ 170 pays. […] Il y a des gens qui vivent dans des pays où l’homosexualité est criminelle. Le couple formé par ces deux héroïnes leur a donné le courage d’assumer leur identité. Plusieurs jeunes filles se sont attachées à mon personnage et suivent ma carrière depuis. »

Un rôle qui l’a fait grandir artistiquement et humainement

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Evelyne Brochu avec Kevin Parent dans Café de Flore

« Rose dans Café de Flore, de Jean-Marc Vallée. J’étais tellement heureuse durant ce tournage, j’aurais voulu que ça ne finisse jamais. La scène de danse sur la musique d’Elisapie Isaac, Jean-Marc l’a glissée dans le film trois jours avant de la tourner. Je devais apprendre la chorégraphie en vitesse pour la montrer aux 75 figurants. Son cinéma est plein de poésie et d’incursions dans ce qu’il y a de sacré dans la vie, de moments chargés d’émotion et de sensualité. On a toujours envie de dire oui à Jean-Marc Vallée. Ce n’est pas du boulot, travailler avec ce réalisateur. C’est une expérience profondément humaine. Et ce film m’a permis d’avoir mon manager à Los Angeles et mon agent à Paris pour ouvrir ma carrière à l’international. »

Un rôle au théâtre qu’elle rêve de jouer un jour

« Médée, Hedda Gabler et rejouer aussi Lechy dans une vraie production. Trois rôles de femmes blessées, trahies, en colère. On parle beaucoup d’inconduites sexuelles ces temps-ci. De victimes qui disent avoir figé devant leurs agresseurs. Elles se sentaient mal, mais elles ont figé. Pourquoi ces femmes se sentent-elles impuissantes dans ces situations ? Parce que, contrairement aux hommes, on nous a élevées à ne jamais contrarier les gens, à toujours être agréables, désirables. Une barmaid est en train de laver des verres derrière le comptoir et elle se fait dire par son patron et des clients : “Ben souris, ma belle !” Alors, jouer un rôle puissant comme Médée, un personnage plus grand que nature qui exprime la rage des femmes depuis des siècles, c’est très libérateur. »

Le rôle le plus étrange qu’elle a fait en 15 ans de carrière

« Celui d’une femme qui pense avoir un nid d’abeilles dans un sein dans le court métrage The Nest. En 2014, je reçois un appel de David Cronenberg, qui me propose de jouer dans ce petit film qu’il a réalisé chez lui, dans son garage à Toronto, pour l’intégrer à une exposition qui lui était consacrée. Avec une équipe extrêmement réduite : une maquilleuse et sa famille. Cronenberg joue le chirurgien qui doit opérer mon personnage. Il filmait lui-même avec une caméra GoPro fixée sur sa tête. Son fils prenait le son. C’est une offre étrange et j’ai hésité avant d’accepter. Il y a de la nudité frontale et le film va rester sur le web. Or, je me suis dit : qu’est-ce que Tilda Swinton ou Kate Winslet ferait ? Je ne peux pas refuser une expérience de cinéma avec un maître du septième art. Ça arrive juste une fois dans une vie. »

Le prochain rôle à son agenda

« Paris Police 1900, une série pour Canal+, qui doit sortir en janvier 2021. Je vais aussi tourner la saison 2 en France, au printemps prochain, avec ma famille [Evelyne Brochu a un fils de 2 ans et elle attend des jumeaux pour novembre prochain]. C’est une série historique très bien produite et écrite, avec de très bons acteurs, surtout connus au théâtre, dont des sociétaires de la Comédie-Française. Je joue Marguerite Steinheil, la maîtresse du président Félix Faure, en 1899. Il est célèbre parce qu’il est mort en fonction, au palais présidentiel, presque dans les bras de sa maîtresse… »