Qu’ont en commun le comédien Christian Bégin, la drag-queen Mado Lamotte et les humoristes Arnaud Soly et P-A Méthot ? Ils ont tous décidé de prendre du recul par rapport aux réseaux sociaux cet été, secoués par le tourbillon du web. Une pause bénéfique pour leur santé et leur bien-être.

Depuis mardi, Arnaud Soly s’est débranché temporairement des réseaux sociaux. L’humoriste en a décidé ainsi après avoir reçu « de nombreux messages d’une méchanceté épouvantable de la part de certains internautes ». Le déclencheur de tant de haine ? Une vidéo sur Facebook dans laquelle l’humoriste se moque des anti-masques.

Au début de juin, son collègue de Québec P-A Méthot en a fait autant. Il a pris une pause de Facebook pour « protéger son équilibre et sa santé mentale », après que sa famille et lui eussent été la cible de commentaires très violents (en raison, dans son cas aussi, d’opinions favorables au port du masque).

« J’ai pris mes distances durant un mois, et cela m’a fait beaucoup de bien », explique P-A Méthot, en entrevue avec La Presse. « Depuis quelques semaines, je suis de retour sur Facebook… Et ça recommence ! Avec la COVID-19, les gens sont plus fous et polarisés sur l’internet. Le juste milieu n’existe pas. On t’insulte pour un rien, un émoticône ! C’est un puits sans fond de haine. Je vais prendre un autre break, très bientôt. »

À la mi-juillet, Christian Bégin a lui aussi quitté Facebook parce que « la laideur prend trop d’espace, au lieu de l’amour ». « Mon silence n’est pas une fuite ni un refus de quoi que ce soit, ce n’est pas une posture, c’est un appel… », a écrit Bégin sur sa page publique.

Joint par La Presse, l’animateur et comédien a décliné notre demande d’entrevue, pour être conséquent avec son appel au silence. Et sans doute aussi pour se protéger d’un débat sans fin. Car, selon lui, la fameuse conversation sur les réseaux sociaux est un leurre : « On ne veut pas converser ; on veut nous convertir ! »

L’afrogate de Mado Lamotte !

À sa grande surprise, Luc Provost, celui qui se cache derrière les traits de la célèbre drag-queen Mado Lamotte, a aussi été happé par l’ouragan Facebook. Lundi soir, il a retiré une publication où il posait avec une perruque afro et une robe aux couleurs des Tropiques. Des internautes l’ont accusé d’appropriation culturelle et de manque de respect… envers le drapeau d’Haïti (le rebord du bas de sa robe peut en rappeler les couleurs !).

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE MADO LAMOTTE

La photo et le statut retirés de Mado Lamotte : « En veux-tu d’la couleur, en v’là ! »

Ce n’était pas dans mon intention de choquer personne avec mes accoutrements extravagants. J’ai décidé de retirer ma photo jugée offensante par certains. Après 33 ans de carrière, j’apprends encore à être une meilleure Mado adaptée aux réalités de son temps.

Mado Lamotte, dans un statut sur Facebook lundi soir

Des excuses qui ont provoqué un tollé parmi ses dizaines de milliers d’abonnés. « Ça va trop loin et ça commence à être épeurant », a tranché l’humoriste Alex Perron.

Toutefois, le principal intéressé, à quelques jours du début de l’évènement Fierté Montréal, a préféré faire la paix avec ses détracteurs. « Dès que tu émets une opinion sur les réseaux, tu tombes dans un piège », explique Luc Provost, alias Mado, en entrevue. « Je prends tous les commentaires négatifs trop personnels. Ça vide mon énergie, et je dors mal. Alors, j’ai écrit ce statut pour arrêter l’hémorragie. »

Luc Provost croit que Facebook peut devenir un cercle vicieux. « Pendant le confinement, mon cabaret [le Cabaret Mado] était fermé. Facebook m’a permis de retrouver des gens et de joindre de nouvelles personnes. Par chance, les réseaux sociaux n’existaient pas lorsque j’ai commencé ma carrière de drag provocante : Mado serait morte et enterrée. »

Vedettes blessées

Selon Martine St-Victor, stratège en communication et fondatrice de Milagro, le phénomène est aussi vieux que la cyberdépendance. « De plus en plus de personnalités se rendent compte que les réseaux sociaux, qui constituent par ailleurs un outil de communication et de promotion essentiel, prennent trop de place dans leur vie. En septembre 2018, Selena Gomez, par exemple, a pris une pause des réseaux sociaux pour son équilibre mental », explique Mme St-Victor. « N’oubliez pas, les commentaires négatifs peuvent blesser n’importe qui », avait déclaré la chanteuse à ses centaines de millions d’abonnés, lors de son retour sur Instagram.

Selon Bruno Guglielminetti, consultant numérique et ex-réalisateur à Radio-Canada, ce qui a changé, c’est la diffusion et l’exposition des critiques au vitriol provenant de partout sur la planète.

Avant, des artistes pouvaient décider de ne pas lire une critique négative dans un journal. Aujourd’hui, ils s’exposent tous les jours, voire toutes les minutes aux commentaires méchants, aux attaques virulentes. Or, par essence, les artistes sont des êtres sensibles, des éponges, qui doivent se protéger pour ne pas éteindre la flamme de la création.

Bruno Guglielminetti, consultant numérique et ex-réalisateur à Radio-Canada

Les experts s’entendent pour dire que les réseaux sociaux sont un mal nécessaire. Alors, les artistes doivent demander conseil pour mieux gérer leurs pages sur les réseaux. « C’est merveilleux, les réseaux sociaux, lorsque tout va bien ; mais quand la température de l’eau change, ça brûle ! illustre M. Guglielminetti. On peut faire des ajustements, par exemple, en désactivant les commentaires de nos publications. »

« Les réseaux sociaux donnent naissance à des carrières, mais ils peuvent aussi en tuer, résume Martine St-Victor. Dans les cas exposés ici, tous ces artistes existaient déjà en dehors de Facebook et des réseaux sociaux – avec les tournées, les émissions, les cabarets. Ils peuvent prendre une pause temporaire… pour revenir encore plus forts. »