Neuvième semaine, le presto va sauter. Le méchant va sortir, le méchant étant parfois celui qui veut seulement aller au parc. Et s’il veut sortir de Montréal, qu’il sache que ça ne se passera pas comme dans La petite séduction.

Les vieilles querelles sont de retour, ce qui signifie peut-être que l’on s’adapte malgré tout au chaos. J’ai parfois l’impression, chez certains commentateurs, que nous revenons à l’esprit des romans de la terre : Montréal, cette Babylone, sale et sans-cœur, pleine « d’étranges », est devenue la septième ville du monde au sinistre tableau du coronavirus et ternit l’image du Québec. Même le très respecté journal The Guardian se penche sur le cas de la métropole.

> Lisez le reportage du Guardian (en anglais)

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Notre chroniqueuse s’ennuie de la vie nocturne à Montréal ; marcher sur Saint-Laurent en sortant d’une pièce, et voir les jeunes gens faire la queue devant une discothèque plutôt qu’une pharmacie ou une épicerie.

Plus rien n’est clair sur le port du masque, sur la courbe, sur le déconfinement, sur l’ouverture des salles de spectacles et de cinéma, des commerces. Et parce qu’on ne sait plus trop quoi penser, de même qu’on est tous à bout de l’enfermement, on s’engueule et on se postillonne dessus allègrement — c’est l’une des bonnes raisons de porter un masque.

Il est peut-être temps de relire Trente arpents, de Ringuet, le roman le plus triste de la littérature québécoise. Ou alors La Scouine, d’Albert Laberge, le plus méchant envers le confinement du terroir.

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Je m’ennuie de la vie nocturne à Montréal. Marcher sur Saint-Laurent en sortant d’une pièce, et voir les jeunes gens faire la queue devant une discothèque plutôt qu’une pharmacie ou une épicerie. Cela explique peut-être pourquoi j’ai revu les trois saisons de la série Minuit le soir sur Tou.tv. Certains trucs ont vieilli — les blagues appuyées sur les gros, par exemple — et j’avais oublié la charge antisyndicale contre les employés de la Ville de Montréal que la série contenait, au début des années 2000. Mais qu’est-ce que Claude Legault, immortalisé en doorman par Podz, était beau.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

De gauche à droite : Julien Poulin, Louis Champagne, Julie Perreault et Claude Legault sur le plateau de la série Minuit, le soir, en 2006

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Voir des shows me manque. Je me dis que le premier groupe qui fera le Centre Bell vivra probablement le moment le plus enivrant de sa carrière. Il ne devrait pas y avoir de première partie pour réchauffer la salle qui sera déjà gonflée à bloc. Quel artiste voudrait rater les premières secondes de cette communion ? J’imagine par exemple entendre National Anthem, de Radiohead, et ça me donne des frissons. « Everyone/Everyone around here/Everyone is so near/Everyone has got the fear/It’s holding on… ». Pourvu que ce ne soit pas Hallelujah, de Leonard Cohen, qu’on nous a tellement servi depuis sa mort qu’on a tué ce chef-d’œuvre pour une bonne décennie. Sérieux, si je l’entends encore une fois, je vais mordre, contaminée ou pas.

C’est plutôt The Future, Everybody Knows ou You Want it Darker qui seraient de circonstance.

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J’imagine aussi le premier souper entre amis. Celui qui osera sortir son iPhone à table, après une si longue disette de contacts humains, se fera lancer des tomates. Et des tomates, c’est un peu ce que les créateurs du milieu des arts vivants sont sur le point de lancer aux bonzes et décideurs de la culture qui voient dans le numérique une sortie de crise et une occasion de « renouvellement ». De la metteure en scène Brigitte Haentjens à l’humoriste Martin Petit, en passant par le Conseil québécois du théâtre, cet appel à se « renouveler », comme si ce n’était pas ce que tout artiste fait constamment dans son métier, est de plus en plus vu comme une insulte, lorsque la nature même de leur art est la rencontre avec le public qu’aucun écran ne pourra remplacer. Ils ont raison, car le public lui-même sait faire la différence entre l’expérience de la scène et celle du web. J’ajouterais que les arts vivants sont précisément ce qui nous sauve du numérique qui nous confine déjà depuis des années.

> Lisez la lettre du Conseil québécois du théâtre

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Neuf semaines à la maison avec beaucoup trop de temps à perdre et un clavier d’ordinateur pour se défouler, on recommence à se déchirer pour des niaiseries. On sort le méchant. Le Dr Arruda en a fait les frais cette semaine pour avoir dansé dans une vidéo et il a dû s’excuser au show de 13 h. L’indignation. L’indignation contre l’indignation envers le Dr Arruda. L’indignation comme diversion de la catastrophe. Quelle perte de temps, quand même.

Un appui inattendu est arrivé de Catherine Dorion, qui a défendu le geste du directeur national de santé publique sur sa page Facebook. Venant de celle qu’on a clouée au pilori pour des choses aussi insignifiantes qu’un t-shirt ou une jupe, j’ai trouvé ça sympathique, mais je n’ai pas vu beaucoup de sympathisants de Québec solidaire partager son texte.

> Lisez le message de Catherine Dorion

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Il y a environ 15 ans, mon chum et moi avons connu Dominique Dumas, qui habite Saint-Pamphile dans la région de Chaudière-Appalaches, parce qu’elle était une vraie groupie de littérature québécoise, prête à faire des kilomètres pour aller voir ses écrivains préférés dans les salons du livre. Elle nous disait à la blague, à nous, Montréalais, qu’elle habitait le « fin fond du trou de la Terre ». Je lui ai envoyé une fois une grosse boîte de bouquins par la poste, après avoir fait le ménage de ma bibliothèque.

Dominique a de la compassion pour ses amis montréalais, parce qu’à Saint-Pamphile, dit-elle, il y a zéro cas à une heure à la ronde, dans toutes les directions. Et malgré tout, elle est confinée, car elle dirige avec amour une résidence pour aînés qu’elle protège farouchement de l’épidémie. Elle n’a pas trop envie de recevoir de visite, de Montréal ou de toute autre région affectée, entre autres parce qu’elle connaît quelqu’un du réseau de la santé qui a été déclaré trois fois négatif à la COVID-19 alors qu’il avait tous les symptômes. Malgré une quarantaine, il a été déclaré positif une semaine après son retour au travail dans un CHSLD. 

« Ils ont perdu le contrôle comme partout ailleurs. Je ne pense pas que ce soit typique à Montréal et au fait que les agences transfèrent de place en place. On a affaire à un hostie de monstre. J’ai même de la misère à blâmer les gouvernements. Je n’y arrive pas. Je reçois de la documentation presque tous les jours, des communiqués qui viennent du ministère de la Santé qui se contredisent l’un et l’autre. La situation est en constante évolution. »

Depuis cinq semaines, il y a moins de cinq cas, tous guéris, dans le comté de L’Islet où elle vit. « Tous les jours, je vérifie le tableau, qui fait foi de ma santé mentale. On a été hyper épargnés depuis le début. »

« Dis-moi franchement si on est vus comme des pestiférés, Dominique.

– J’ai écrit une lettre au CIUSSS avec qui on a une super collaboration pour leur demander : quand est-ce que je peux déconfiner ma sexualité ? Ils m’ont justement demandé si j’avais un amant qui venait de Montréal ou d’une autre zone chaude. Vous n’êtes pas pestiférés, mais vous avez quand même une petite réputation de gens louches. »

Dominique comprend les Montréalais de vouloir sortir de la ville ; elle aussi aimerait avoir un répit pour aller se reposer en Gaspésie, mais elle n’y croit pas trop. « Il y a trop de gens insouciants. »

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Peut-être pour soigner ma frustration d’urbaine confinée, j’ai sombré dans l’obsession de l’affaire du petit Grégory, qui passionne la France depuis 25 ans, sans qu’on ait encore trouvé le coupable. Une sordide histoire de harcèlement qui a mené à l’enlèvement et au meurtre d’un enfant par pure vengeance, dans le département des Vosges, où tout le monde se connaît et où tout le monde a fini par être suspecté, même les parents de l’enfant, car les familles ont toutes des liens complexes et torturés.

La série documentaire Grégory, sur Netflix, retrace l’affaire, mais c’est le documentaire La malédiction de la Vologne, en quatre parties, présenté aux Grands Reportages (et offert sur Tout.tv), qui détaille vraiment les relations toxiques de cette petite communauté qui n’a pas encore livré tous ses secrets, qui risquent de disparaître avec les derniers témoins. Monique Villemin, grand-mère de Grégory, est morte de la COVID-19 en avril. Parce que des fois, le méchant habite tout près de chez vous, il peut même être à l’intérieur de la maison.