Cinq artistes, qui ont répondu à un appel à tous lancé sur Facebook, nous racontent comment ils profitent du confinement pour explorer de nouvelles voies, travailler sur un projet trop longtemps abandonné ou simplement pour créer.

Laurence Lafond-Beaulne : éloge de l’ennui

Depuis longtemps, Laurence Lafond-Beaulne se présente comme l’une des moitiés du duo électro Milk&Bone. Depuis quelques semaines, la musicienne travaille pour faire entendre sa seule voix, en s’attaquant, pour la première fois, à un projet d’album solo. « C’est le plus gros défi que je me suis jamais lancé, dit-elle. Surtout que j’ai décidé d’écrire, de réaliser et de mixer mes chansons, en plus de faire les voix, les synthétiseurs et quelques pistes de guitares. Ce n’était pas du tout prévu, mais avoir tout ce temps devant moi a déclenché quelque chose. J’apprends à me faire plus confiance. »

Le confinement est arrivé au bon moment dans sa vie, dit-elle. « Je recherchais du temps pour explorer, pour retrouver le plaisir de créer. Je m’ennuyais de la naïveté du premier album de Milk&Bone ! Là, je fais de la musique pour faire de la musique, sans pression ni deadline. Si je suis satisfaite du résultat, je sors l’album, sinon… Mais je dois dire que je suis contente de ce qui se passe jusqu’ici. »

L’inspiration est venue d’un sentiment que tous les confinés connaissent : l’ennui. « Au début du confinement, je me suis aperçue que je ne m’étais pas emmerdée autant depuis l’adolescence ! Ça m’a replongée dans ces années où l’on est à fleur de peau. Il y a là quelque chose de beau, qui va teinter la musique, les textes. »

Francis-William Rhéaume : un artiste (visuel) est né

PHOTO FOURNIE PAR FRANCIS-WILLIAMS RHÉAUME

Le comédien Francis-William Rhéaume profite du confinement pour parfaire sa technique du dessin. 

Lorsque la décision de confiner le Québec est tombée, Francis-William Rhéame était pour ainsi dire sur scène. Depuis une semaine et demie, il partageait la scène de l’Espace Libre avec 15 autres comédiens pour la pièce Trip. D’un coup, il s’est retrouvé devant rien. « J’ai passé la première semaine et demie en mode survie, puis le déclic s’est fait. Mon anxiété est tombée et j’ai recommencé à travailler sur une toile que j’avais mise de côté depuis un bout de temps. Ça m’a fait tellement de bien ! »

Ce peintre et dessinateur autodidacte a décidé de profiter du congé forcé pour parfaire sa technique. « J’ai découvert le plaisir du brouillon, moi qui travaillais toujours vite. J’ai compris qu’on avait le droit de faire des erreurs et de prendre son temps… Il y a plusieurs couches d’autocritique qui sont tombées ! » Le comédien, qu’on a pu voir notamment à Radio-Canada dans 5e Rang, a aussi découvert un ton qu’il ne se connaissait pas : plus sensible, plus poétique, moins critique…

« La crise m’a fait comprendre qu’on est tous dans le même bateau, qu’on fait tous ce qu’on peut. Mes images semblent faire du bien aux autres. [La comédienne et chanteuse] Sonia Cordeau a vu une petite animation que j’ai faite et m’a demandé d’illustrer le vidéoclip de sa chanson à paraître, Lac Miroir. C’est complètement inattendu dans mon parcours. Comme le théâtre ne reprendra pas tout de suite, l’artiste visuel que je suis peut naître. »

Voyez l’animation de Francis-William Rhéaume

Sébastien Gagné : créer aux aurores

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le réalisateur Sébastien Gagné espère finaliser son projet de film. 

Dix ans. Dix ans que le réalisateur Sébastien Gagné (Lâcher prise et Le chalet, notamment) avait dans son tiroir un projet de film qui n’aboutissait pas. Dix ans qu’il remettait à plus tard le plus personnel de ses projets. Et sans la crise du coronavirus, le film serait encore dans une interminable jachère… « Une semaine après l’annonce du confinement, je devais rentrer en tournage d’une nouvelle série télévisée pour Radio-Canada. Une grosse série, avec 66 jours de tournage. On était plus de 40 personnes à travailler là-dessus; tout le monde a perdu son emploi. »

Chaque matin, ce père de quatre enfants (4, 7, 9 et 12 ans) se lève aux aurores et travaille sur son scénario de film jusqu’à 10 h. Le reste de la journée est consacré à faire rouler la vie de famille…

« Ça me permet de fignoler mon travail, de pousser mes idées plus loin, de réécrire des passages. Je veux avancer mon scénario pour qu’il soit déposable aux institutions et ce n’est pas quelque chose qui se fait sur un coin de table ! »

Et à quoi ressemblerait ce futur film ? « C’est un thriller psychologique, dans la veine de Fight Club, Memento et La moustache, mais avec un peu de Charlie Kaufman (Being John Malkovitch, notamment). Une bébitte étrange avec un ton particulier… »

Florence Blain Mbaye : « Le doute est l’ami de l’artiste… »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La comédienne Florence Blain Mbaye profite du confinement pour travailler à un projet de disque.

Pour Florence Blain Mbaye, la décision était prise avant même l’arrivée de la crise : elle allait ressusciter son projet d’album musical – du « folk planant qui parle au soul » – sur lequel elle travaillait en dilettante depuis 10 ans. Celle qu’on a pu voir au théâtre dans Soifs matériaux ou Fredy, ainsi qu’à la télé dans Prémonitions, avait même fait appel à Pierre-Philippe Côté, alias Pilou, pour l’épauler.

Mais la crise est arrivée et cette musicienne chevronnée (elle est hautboïste professionnelle) se retrouve chez elle, auprès de sa fille de 5 ans, pour travailler ses arrangements et réécrire certains textes. Elle ne s’en plaint pas. « Le confinement nous force à réfléchir davantage. L’incertitude actuelle m’aide à revenir à la source de ce qui m’anime comme artiste, soit le besoin de créer. Le doute te met sur un terrain vague où tout peut arriver… »

La comédienne née d’un père sénégalais et d’une mère canadienne a aussi l’intention de s’attaquer bientôt à un projet de performance solo multidisciplinaire autour du thème du métissage. « Je veux témoigner du rapport complexe que j’ai avec ma culture, ma double identité et mon métier. »

Steve Gallucio : écrire pour rester dans la normalité

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Steve Gallucio poursuit l’écriture d’une pièce de théâtre.

Steve Gallucio l’avoue d’emblée : après Mambo italiano – pièce de théâtre devenue film qui traitait de la réalité d’un jeune homosexuel dans une famille d’immigrés italiens –, la pièce sur laquelle il planche ces jours-ci est la plus autobiographique. « Elle parle de la réalité de trois hommes gais au début de la soixantaine, dont l’un est hospitalisé. »

En effet, la vie personnelle du dramaturge est affreusement proche de ce qu’il raconte dans sa nouvelle pièce. « Mon mari est en CHSLD depuis deux ans, car il est atteint d’alzheimer. Ça fait cinq semaines que je ne l’ai pas vu à cause du coronavirus. »

Oui, la COVID-19 a bouleversé la vie de Steve Gallucio, mais ce dernier n’a pas pour autant l’intention d’intégrer le virus dans son œuvre dramatique. « J’écris sur une période pré-COVID et on dirait que c’était il y a 10 ans ! Comme si c’était une autre époque ! »

Pour Steve Gallucio, l’arrivée du confinement n’a pas redonné un second souffle à son écriture. Au contraire. « C’est plus difficile de me concentrer. Mes parents ont traversé la guerre, j’ai entendu toutes leurs histoires de rationnement, de contraintes. Quand j’ai vu des tablettes vides à l’épicerie, ces histoires sont remontées… » Et l’anxiété a bondi d’un cran.

« Ce n’est pas une période facile, mais écrire permet de m’évader. J’ai l’impression d’avoir une vie plus normale quand j’écris. J’arrive à la fin de ma pièce, mais on dirait que je refuse de la laisser aller. Plutôt que de la terminer, je révise des scènes ! Écrire est la seule chose qui me relaxe… »