On n’a jamais autant parlé des aînés que depuis le début de la pandémie. Et si on les écoutait, maintenant ? Dans le cadre de cette série, La Presse prend des nouvelles de personnalités du milieu culturel qui ont plus de 70 ans. Des femmes et des hommes sages et moins sages, qui nous rassurent face à l’avenir. Parce qu’ils ont su vieillir sans devenir vieux.

Le printemps se fait attendre, dirait-on. Avant qu’il arrive pour nous redonner un peu de vigueur, on a eu envie de parler à notre Clémence nationale. Question de se réchauffer l’âme.

On lui a d’abord demandé si elle avait commencé son jardin… « Non, pour la première fois de ma vie, cet été, je ne ferai pas mon jardin, car j’ai trop mal aux reins », répond Clémence DesRochers, en fredonnant au téléphone l’air de son inoubliable chanson. « L’été dernier, j’avais mis beaucoup de temps à créer le jardin. Au bout du compte, je n’ai récolté que deux tomates et demie et un concombre. Alors cette année, je l’ai légué à Louise, qui est plus agile et habile que moi pour en prendre soin. »

Louise, c’est Louise Collette, son amoureuse, avec qui elle partage sa vie depuis près de 50 ans. Un couple, c’est aussi comme un jardin ? « Oui, c’est délicat, personnel et capricieux. Il faut en prendre bien soin, retourner la terre, enlever les mauvaises herbes. Et l’arroser tous les jours ; il aime ça le matin et le soir », dit-elle en éternelle humoriste du quotidien.

Journal de campagne

Revenues précipitamment du Mexique au début de la pandémie, Clémence et Louise vivent leur quarantaine loin de leurs folies et de leurs amis, dans leur belle maison en Estrie. Tout doucement. 

Nous sommes choyées à la campagne. Quand on pense aux gens en ville qui sont confinés dans de petits appartements… Ici, il y a le grand lac [Memphrémagog], l’espace, la nature. Je marche dans la forêt en contemplant ces restants de la blanche neige.

Clémence DesRochers

Tandis que Clémence évoque au bout du fil son havre de paix, il nous vient en tête une autre de ses immortelles chansons. Celle des Deux vieilles ; ces amantes qui marchent ensemble dans la rue en se tenant par le bras. Or, ces jours-ci, il est difficile « d’éclater de rire, au beau soleil, à tous les dix pas »… Sans avoir peur.

« En effet, la mort est partout, abonde Clémence. Depuis que je suis sur la Terre, je croyais bien avoir tout vu, connu et vécu. Eh bien non ! Il y avait un virus pour nous arracher de la vie, nous empêcher de nous rassembler. Je n’ai jamais été témoin d’un événement aussi cruel. On s’en serait bien passé, de ce verrat de virus-là ! »

Des chiffres et des vies

À ses yeux, le plus absurde depuis un mois, ce sont ces chiffres infinis qu’on nous balance en plein visage : « On va finir presque à oublier que, derrière tous ces chiffres, il y a des personnes avec des proches qui les pleurent, de vrais drames humains qui semblent sans fin. »

Un autre chiffre l’effraie. C’est celui de son âge : 86 ans. 

Bien sûr, la machine s’use. Et elle me rappelle mon combat contre le temps. Que je vais perdre. Mais c’est comme si ce chiffre-là ne m’appartenait pas… Dans ma tête, je suis jeune ! Alors, je le vire à l’envers et je dis à tout le monde que j’ai 68 ans.

Clémence DesRochers

Le réalisateur Chris Marker a dit que « l’humour est la politesse du désespoir ». Une citation que Clémence aime bien répéter. « Personnellement, l’humour m’a toujours aidée à vivre, à chasser le désespoir, depuis ma tendre jeunesse. J’ai eu la chance d’avoir du talent pour écrire et trouver une forme pour faire rire le public. »

Au jour le jour

Dans son quotidien, même à 86 ans, il n’y a pas une journée identique à l’autre. Clémence se lève tôt, toujours à 6 h. Elle prend son petit-déjeuner avec ses deux chats, seule, parce que Louise n’est pas matinale et aime dormir « très tard ». « Nous n’avons pas du tout le même rythme de vie. C’est peut-être pour cela que notre couple dure depuis si longtemps », blague-t-elle.

Dans la journée, s’il fait beau soleil, Clémence passe son temps dehors. De son côté, Louise travaille dans son bureau au-dessus du garage (elle est productrice). Le soir, Clémence dessine, joue au scrabble, prend des nouvelles de ses proches. Elle écrit à son ami le poète René Jacob ou elle parle à ses chums de filles au téléphone. « L’autre jour, Édith [Butler] m’a dit :  “Mais qu’est-ce qui va arriver de nos racines ?” Je croyais qu’elle parlait de nos ancêtres ; elle pensait à ses cheveux [rires]. »

L’humour pour chasser la tristesse, disait-on, surtout durant une pandémie.

En attendant que la normalité revienne, Clémence DesRochers a hâte que « les arbres se rhabillent » de leurs feuilles et que la lumière éclaire le présent incertain. Est-ce qu’elle voit du sens à ce drame planétaire ? Croit-elle que notre humanité souffrante retirera une leçon de la crise ; qu’il y aura un avant et un après la COVID-19 ? « Probablement, dit-elle. Mais je ne suis pas assez intelligente pour expliquer quand, ni comment ou de quelle manière. Je ne sais pas pourquoi c’est arrivé, de quoi ça dépend… Comme tout le monde, je peux juste constater que la vie est démanchée. »

Et que les jardins tardent à fleurir.

Bio

Née à Sherbrooke en 1933, Clémence DesRochers est la fille du poète Alfred DesRochers. À la fois chanteuse, humoriste, actrice, auteure et monologuiste, elle a fondé des boîtes à chansons, joué au cabaret, fait partie de la Roulotte de Paul Buissonneau et marqué les débuts de la télévision dans La famille Plouffe, La côte de sable, etc. En 60 ans de carrière, dans ses chansons et monologues, Clémence a donné une place prépondérante aux femmes québécoises. Elle leur a permis de s’affirmer. Elle est Chevalière de l’Ordre national du Québec et de l’Ordre national du Canada, ainsi que Compagne des arts et des lettres du Québec.