Devant la porte du studio 30, au premier sous-sol de la tour de Radio-Canada, les deux Jean-Philippe se font l’accolade.

« J’ai eu tellement de fun à faire ça ! dit Jean-Philippe Pleau.

– Rire à pleurer pour des niaiseries comme ça, c’est toujours le fun ! lui répond Jean-Philippe Wauthier.

– Te voir pleurer de rire en lisant des textes, c’est le souvenir que j’avais gardé du Sportno… »

Olivier Niquet, en retrait, ne dit rien (ce qui n’étonne personne).

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jean-Philippe Wauthier reprend son rôle de Réal Munger, Olivier Niquet celui d’Yvan Piquette et Jean-Philippe Pleau celui de Paul Meilleur-Aucoin.

J’assiste aux retrouvailles chaleureuses de vieux amis longtemps en froid. Épaulé par une poignée de collaborateurs de la première heure, le trio vient d’enregistrer le premier épisode de la balado du Sportnographe 2.0.

Oui, le Sportnographe est là ! comme le veut la chanson-thème de l’émission-culte, interprétée par Les Trois Accords.

Les personnages de Réal Munger (Wauthier), Paul Meilleur-Aucoin (Pleau) et Yvan Piquette (Niquet) sont de retour, après une pause qui aura duré près de huit ans. 

La balado du « Sportno nouveau » sera offerte dès ce mercredi, notamment sur l’application OHdio de Radio-Canada. L’émission satirique préférée des amateurs de sports sera diffusée à une fréquence mensuelle.

Pour le Sportnographe, c’est un retour aux sources. Né en 2004 « sur les internets », ce « Pod’Casque » qui parodiait les émissions de sport radiophoniques est devenu une émission de radio à part entière en janvier 2009. Le Sportnographe a tenu l’antenne pendant trois ans et demi, le vendredi soir, à la Première Chaîne de Radio-Canada. Niquet et Wauthier, des amis d’enfance, ont créé dans la foulée – d’abord comme une émission estivale – La soirée est (encore) jeune. Pleau, sociologue de formation, a poursuivi sa collaboration avec Serge Bouchard. Il réalise et coanime C’est fou… diffusé le dimanche après La soirée.

Les fans irréductibles du Sportnographe réclamaient son retour depuis des années. « Ils ne sont pas si nombreux, mais ils sont intenses ! », reconnaît Olivier Niquet qui, comme Jean-Philippe Pleau, signe une chronique satirique sur le sport dans le journal Métro (aussi sur le site du Sportnographe, qui a maintenu ses activités).

Les retrouvailles se tramaient depuis l’été dernier. « Radio-Canada m’a demandé si je voulais faire un podcast, un peu comme Jean-Philippe [Wauthier] avec Le grand écart, à partir des retailles de mon bêtisier à La soirée, dit Olivier Niquet. Je me suis dit qu’il y avait peut-être un potentiel avec les clips sur le sport, puis j’ai pensé que ça ressemblait au Sportnographe. J’en ai parlé à Jean-Philippe [Pleau], qui s’est étouffé dans son café ! »

Il a peut-être été surpris par la proposition, mais Jean-Philippe Pleau ne semble pas avoir été difficile à convaincre. « Ça ne faisait pas partie de mon plan de carrière de refaire ça, dit-il. Avec Serge [Bouchard], je me sens à ma place. Mais dès qu’on s’est retrouvés pour un café, je me suis rendu compte que malgré les années qui nous ont séparés, c’était comme si on s’était vus la veille », dit-il.

« Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas parlé. Quand on a fini le Sportno, j’étais à boutte ! reconnaît Jean-Philippe Wauthier, devenu depuis un animateur vedette à la télé (Deux hommes en or, Les dieux de la danse, Bonsoir bonsoir !). On avait besoin de se parler. On avait tous envie de s’y remettre. Une fois par mois, ça se pouvait dans notre horaire. C’est le fun de retrouver cet esprit-là. »

On sent, en ondes et hors d’ondes, que leur complicité est intacte.

Ils ont retrouvé sans effort les inflexions de voix et l’état d’esprit de leurs personnages, pour mettre en lumière les perles du commentariat sportif et des conférences de presse franglaises de Claude Julien. Faire le Sportno, c’est comme faire du vélo. On le comprend dans l’aisance de Pleau/Meilleur-Aucoin à dévoiler son « Guide de l’autojambonisation intellectuelle », un hommage à Normand Baillargeon, où il est question de sophismes, de Claude Gauvreau et, bien sûr, de Canadien.

Les collaborateurs d’antan semblent tout aussi ravis de retrouver le trio d’animateurs. La plupart sont là… à l’exception notable de Fred Savard (aussi un ex de La soirée). Ces retrouvailles-là seront pour une autre fois !

« C’est la meilleure pub que j’ai jamais enregistrée ! » dit, fébrile, Alexandre Courteau (alias Shayne Gagnon), animateur à ICI Musique, en interrompant un instant l’entrevue. Les pubs de Guillaume Saint-Onge et d’Alexandre Provencher (qui, tradition oblige, bute sur une réclame de Normand Leblond) sont toujours aussi délirantes. Barbara-Judith Caron, une ex-recherchiste de l’émission, décortique les commentaires hallucinants des analystes sur le hockey féminin au match des Étoiles de la LNH.

« On est peut-être tout seuls à se trouver drôles ! se demande Jean-Philippe Pleau entre deux prises.

– C’est ça l’avantage de ne pas avoir de public ! répond Olivier Niquet.

– On faisait comment avant ? demande Wauthier.

– On ne riait pas de nos jokes ! rétorque Niquet.

– On était ben plates ! » conclut Wauthier.

Non, ils ne sont pas les seuls à se trouver drôles. C’est l’hilarité générale en régie. Philippe Roberge, qui a réalisé le Sportnographe pendant deux ans et réalise depuis La soirée est (encore) jeune, rit lui aussi des blagues qu’il connaît pourtant. Il a contribué, comme Wauthier, aux textes de Pleau et Niquet. Un scripteur se joindra bientôt à l’équipe. Contrairement à d’autres balados, tout est écrit et il y a peu de place à l’improvisation.

J’ai réécouté cette semaine de vieilles émissions, archivées sur le site du Sportnographe. Notamment la toute dernière, réalisée sous forme de grand reportage sur les hauts et surtout les bas de l’aventure, dont la narration est assurée par Patrice Roy. Je me suis souvenu que Jean-Philippe Wauthier était venu se poster à l’extérieur du studio de Christiane Charette, où j’étais chroniqueur, pour m’inviter à son émission, qui venait d’entrer en ondes.

À l’époque, Guy Carbonneau était l’entraîneur-chef du Canadien, Wauthier, inconnu mais déjà baveux, m’avait décrit comme le « Don Cherry de la chronique culturelle au Québec », et on avait parlé de la trop grande importance accordée à la publicité au Super Bowl. « Tu soulignes une tactique qu’on utilisait beaucoup. On n’avait pas de recherchiste au début, alors on allait à la pêche dans les studios des autres ! », dit en riant Jean-Philippe Pleau, qui réalisait l’émission à ses débuts.

Ils font rire, mais ils émeuvent aussi. Jean-Philippe Pleau rend hommage, la gorge nouée en ondes, à son ami Charles Plourde, un réalisateur bien connu à Radio-Canada, mort l’an dernier d’un cancer du cerveau, à seulement 36 ans. Charles faisait parfois des voix au Sportnographe. Après la diffusion de l’extrait, Guillaume Saint-Onge pose sa main sur l’épaule de Pleau, ému.

Il y a 10 ans, Olivier Niquet, titulaire d’une maîtrise en urbanisme, confiait à ma collègue Nathalie Collard qu’il ne voyait pas sa carrière médiatique se poursuivre au-delà du Sportnographe. Aujourd’hui, il fait de la radio, publie des livres, livre des chroniques au talk-show de Julie Snyder… et fait renaître le Sportnographe.

« Combien on parie que les trois gars seront encore dans le paysage médiatique dans 10 ans ? », écrivait Nathalie à la fin de son portrait de Wauthier, Niquet et Pleau, qui n’avaient qu’une saison du Sportnographe derrière la cravate. On peut dire qu’elle avait vu juste.