(Montréal) Réclamée depuis des années par le milieu culturel, Québec amorce une modernisation des deux lois touchant le statut de l’artiste.

La ministre de la Culture, Nathalie Roy, a annoncé lundi à la Place des Arts de Montréal, le lancement d’une consultation d’abord en ligne, en février prochain, puis par l’entremise d’audiences publiques au printemps.

L’exercice sera coprésidé par deux ex-ministres de la Culture, l’une libérale, Liza Frulla, l’autre péquiste, Louise Beaudoin, qui devront remettre leur rapport à l’été 2020.

Lois désuètes

La Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma a été adoptée en 1987, soit bien avant l’existence d’internet, tandis que la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature, de son côté, date de 1988. Ni l’une ni l’autre n’a connu de mise à jour récente.

« Ces lois, qui régissent les contrats de travail, la première n’a pas été modifiée depuis 10 ans et la deuxième depuis 15 ans. Le monde du travail a évolué. Les conditions dans lesquelles hommes et femmes évoluent, travaillent, changent également », a fait valoir la ministre Roy, tout en rappelant que cette révision avait été promise en campagne électorale.

Les deux lois régissent les relations contractuelles et les relations de travail entre artistes et producteurs et font l’objet de multiples contestations du milieu, tant du côté patronal que du côté des artistes pour leur désuétude.

L’impact des géants du web

« Il est clair que, en regard du contexte actuel, elles se doivent d’être revues en profondeur », a avancé Liza Frulla en faisant référence à l’arrivée des géants du web dans le décor.

« On va voir jusqu’à quel point ça affecte tout l’écosystème culturel, ça affecte les diffuseurs, ça affecte les créateurs. Ce qui est important, c’est l’équité pour tout le monde et la cohérence », a-t-elle ajouté.

Sa collègue Louise Beaudoin a toutefois mis un bémol sur l’exploration de ce terrain : « On ne voit pas ça dans notre mandat du statut de l’artiste d’aller dans cette dimension-là. Ça fait partie évidemment de la discussion, de la concertation, de l’ensemble de ce qu’on se dira Liza et moi avec le milieu culturel, mais c’est pas dans le cadre de la modernisation et de l’actualisation de ces deux lois qu’on va dompter la bête », a-t-elle prévenu.

La discussion pourra cependant difficilement faire abstraction de l’éléphant dans la pièce, soit la difficile relation entre le milieu culturel et les géants du web même si ces lois ne s’appliquent pas aux transactions avec les géants du web. L’arrivée de ces derniers, qui diffusent et monnaient la quasi-totalité des contenus culturels, a complètement modifié l’écosystème économique de l’industrie et affecte durement tant les employeurs, les producteurs et les diffuseurs que les artistes eux-mêmes en s’accaparant une part importante de leurs revenus tout en n’en remettant qu’une portion infime aux acteurs de l’industrie.

Une compétence fédérale sans règles

La ministre Roy a d’ailleurs fait part de son intention d’aborder la question avec son nouvel homologue fédéral, Steven Guilbeault, rencontré la veille lors du Gala Les Olivier.

« La problématique, on le sait, c’est que les plateformes quelles qu’elles soient — internet, les géants du web — ne sont pas réglementées », a-t-elle d’abord rappelé.

« Il faut absolument y voir rapidement pour qu’internet soit réglementé pour qu’on se batte à armes égales parce qu’actuellement vous avez des entreprises médiatiques, des entreprises de presse, des entreprises culturelles — les télévisions entre autres — qui, elles, doivent suivre des règles et vous avez l’internet qui, lui, ne suit aucune règle. »

La loi du plus grand nombre

Elle prévient cependant qu’il serait casse-cou d’agir seul : les tentatives de la France de mener une partie de bras de fer contre les géants du web par le biais de la taxation et de la réglementation ont mené à une menace d’imposition, par l’administration Trump, de droits de douane punitifs de 100 % sur l’ensemble des importations françaises aux États-Unis.

« S’il y a une chose que je ne veux pas, c’est que les produits québécois se ramassent avec une douane de 100 %, une taxation de 100 %, sur les exportations aux États-Unis quand on sait que les Américains sont notre partenaire financier numéro un », a-t-elle fait valoir.

« Il faut y aller de façon intelligente, de façon concertée et ce sera la loi du plus grand nombre qui l’emportera pour mater les géants du web. »

Le secteur culturel québécois compte pas moins de 170 000 travailleurs et représente 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) de la province.