Deux, de Mani Soleymanlou

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Mani Soleymanlou et Emmanuel Schwartz, en 2013, à l’époque de la pièce Deux

Quelles sont ces « valeurs québécoises » ? Qu’est-ce qu’un « Québécois de souche » ? Quand un « étranger » devient-il Québécois ? Qu’est-ce qui différencie le « nous » du « eux », le juif du musulman, le Québécois du Canadien ? La remise en question identitaire est au cœur du deuxième spectacle de Mani Soleymanlou, en forme de conversation et de confrontation avec son ami Emmanuel Schwartz. Une œuvre coup-de-poing, magnifiquement écrite et interprétée, aussi fascinante qu’amusante. Un spectacle brillant, drôle et émouvant, fin et percutant, sincère et lucide. Soleymanlou et Schwartz, grâce à leurs mots, leur faconde, leur gestuelle, confrontent leurs propres certitudes en détournant les mécanismes du théâtre, en brouillant les cartes, en se brouillant entre eux, en se vidant la tête et le cœur, en créant et en désamorçant des malaises, et en prenant à partie le spectateur. Avec une authenticité qui ne peut être feinte. Et un talent aussi prodigieux que renversant.

Le treizième étage, de Louis-Jean Cormier

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Louis-Jean Cormier

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Le treizième étage, premier album solo de Louis-Jean Cormier, aérien et harmonieux, de rage contenue et de grande douceur, s’inscrit davantage dans la continuité de son travail avec Karkwa que dans la rupture de ton. Le style est plus direct et dépouillé, mais toujours aussi mélodique. Il berce et charme, à la fois émouvant et entraînant. En 10 ans, il n’a pas pris une ride.

Mommy, de Xavier Dolan

Une œuvre incroyablement inspirée sur la quête de dignité, ingénieuse et passionnée, faite d’audaces et de fulgurances. Une œuvre à la fois sombre et lumineuse, façonnée par la verve et les élans romantiques de Xavier Dolan, 24 ans. Un film entier, enivrant de puissance, authentique et sincère, dans ses qualités comme dans ses défauts. Anne Dorval, en mère dépassée, y est plus émouvante que jamais. Le jeune Antoine Olivier Pilon, en jeune délinquant atteint d’un TDAH, est d’une intensité époustouflante. La brillante mise en scène de leur relation d’amour-haine, saluée à Cannes par le Prix du jury, restera gravée dans l’histoire du cinéma québécois.

La femme qui fuit, d’Anaïs Barbeau-Lavalette

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Anaïs Barbeau-Lavalette

Du parcours atypique et insaisissable de sa grand-mère Suzanne Meloche, ex-compagne de l’artiste Marcel Barbeau, qui a abandonné sa mère — la documentariste Manon Barbeau — alors qu’elle n’avait que 3 ans, la cinéaste et romancière Anaïs Barbeau-Lavalette a tiré une œuvre remarquable de fluidité, au souffle littéraire incontestable. Elle s’est intéressée à cette femme qu’elle n’a pas connue et qu’elle a longtemps méprisée, en racontant les dessous de la bande de Refus global, texte fondateur du Québec moderne, et en filigrane, l’histoire d’une société à la croisée des chemins, en pleine ébullition.

L’orangeraie, de Larry Tremblay

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Le dramatuge Larry Tremblay

Le cinquième roman du dramaturge québécois Larry Tremblay est une fable troublante, d’une poésie subtile et fine, sur l’humanité. Une métaphore sur la guerre, le mensonge, la vengeance, le culte du martyr, à travers l’histoire déchirante de jeunes jumeaux au Moyen-Orient à qui l’enfance est volée. Un récit dépouillé, en apparence simple, qui porte longuement à réfléchir.

J’aime Hydro, de Christine Beaulieu

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Christine Beaulieu

C’est dans le doute de sa démarche, dans son aveu d’ignorance maintes fois répété, dans l’autodérision qui traverse son spectacle comme un fil d’Ariane que Christine Beaulieu a touché une corde sensible auprès du grand public avec son merveilleux monologue J’aime Hydro. Il y a énormément de questions et d’informations pertinentes dans ce documentaire théâtral ingénieux. Hydro-Québec est un fleuron dont le développement exponentiel est remis en question par la dramaturge et comédienne de la manière la plus efficace : avec bonne foi et honnêteté, en pesant le pour et le contre, en présentant les deux côtés de la médaille et en faisant entendre une multiplicité de points de vue. Dire que J’aime Hydro fait œuvre utile serait bien réducteur. C’est un service essentiel.

Monsieur Lazhar, de Philippe Falardeau

Monsieur Lazhar, œuvre d’une grande finesse, tendre et sensible, pose un regard subtil et pertinent sur notre rapport à l’immigration, à l’éducation, à l’enfance. Un immigrant algérien devient instituteur dans un collège privé de Montréal après le suicide d’une enseignante. La mise en scène épurée de Philippe Falardeau, d’un scénario qu’il a tiré de la pièce d’Evelyne de la Chenelière, laisse une place de choix à l’évocation des sentiments. Et les enfants, qu’il sait si bien diriger, sont porteurs d’une émotion franche que l’on n’avait pas connue encore dans son cinéma.

De peigne et de misère, de Fred Pellerin

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Fred Pellerin

Fred Pellerin n’est pas qu’un conteur surdoué et un contorsionniste du verbe aux tournures de phrases ingénieuses. C’est un poète. Ce fabuleux spectacle qui marie des chansons de Richard Desjardins et de Félix Leclerc à des contes captivants se transforme en vibrant plaidoyer pour la sauvegarde de notre patrimoine et de notre environnement. On ne peut qu’être séduit par l’amour que Pellerin porte à ses personnages plus grands que nature, à notre langue, à notre culture, à notre pays et à ses légendes. Par sa manière toute particulière, à la fois frêle et assurée, d’habiter la scène. Par la force de sa prise de parole et de son engagement social et politique. Par un tel foisonnement d’aphorismes savoureux, de phrases fougueuses et d’idées folles.

L’étoile thoracique, de Klô Pelgag

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Klô Pelgag, au Gala de l’ADISQ

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De très jolis textes énigmatiques, des musiques riches, élégantes et ambitieuses, le deuxième album de Klô Pelgag (Chloé Pelletier-Gagnon) fait fi des conventions pour faire la part belle à l’audace et la fantaisie. De la musique orchestrale, des cordes et des cuivres, un orchestre de quelque 30 musiciens. Et énormément de talent.

Incendies, de Denis Villeneuve

De l’œuvre théâtrale dense de Wajdi Mouawad, Denis Villeneuve a tiré un film d’épure, magnifié par la charge poétique des images, d’une âpreté de circonstance. Chaque plan est étudié, parfaitement intégré, cohérent, sans être esthétisant. L’utilisation harmonieuse des ellipses est particulièrement remarquable, modelant le récit entre le passé et le présent, le Québec et le Moyen-Orient. Ce réquisitoire puissant contre la guerre, marqué par la présence lumineuse de Lubna Azabal, est porté par une scène d’anthologie dans le désert : morceau de bravoure, fulgurant, poignant, bouleversant, déchirant de douleur.