(Bombay) « Ma carrière est finie ». Un an après l’irruption du scandale #metoo à Bollywood, beaucoup d’actrices et de chanteuses indiennes, victimes présumées, affirment avoir pâti de leurs révélations, tandis que les hommes qu’elles accusent sont de retour sous les projecteurs.

À rebours d’Hollywood, où le mouvement, très populaire, a provoqué la chute de l’omnipotent producteur Harvey Weinstein ou de l’idole Kevin Spacey et libéré la parole dans l’industrie du spectacle, le statu quo semble tristement prévaloir en Inde.

On a demandé à la chanteuse Sona Mohapatra de quitter une émission télévisée à laquelle elle participait après avoir accusé un compositeur, Anu Malik, de harcèlement sexuel.

« J’ai été désignée comme une agitatrice et on m’a demandé de partir. Du jour au lendemain », a-t-elle raconté le mois dernier.

Interrogée par l’AFP, Zee TV, la société produisant l’émission de téléréalité à laquelle elle participait, a toutefois rejeté ses accusations, ajoutant que son éviction n’avait « rien à voir » avec #metoo.

Anu Malik, déjà objet d’une plainte pour agression sexuelle dans les années 1990, a de son côté dû quitter un programme concurrent, Indian Idol… qui l’a réintégré quelques mois plus tard.

Mais après une riposte acerbe sur les réseaux sociaux, le compositeur, qui qualifie les accusations de « fausses et non vérifiées », s’est retiré une deuxième fois de l’émission.

Rare victoire

Ce fut une rare victoire pour #metoo à Bollywood, où nombre d’hommes accusés de harcèlement et même de viol ont relancé leur carrière après à peine quelques mois d’inactivité.

Tel Vikas Bahl, dont le nom a initialement été retiré du générique du film à succès Super 30 à la suite d’une plainte pour des comportements sexuels déplacés. Le réalisateur a ensuite été réintégré après avoir été blanchi par un comité interne, qui n’aurait pas entendu la victime.

Le cinéaste Subhash Kapoor, jugé pour des brutalités, a d’abord été écarté d’un film produit par Aamir Khan, l’un des acteurs les plus connus de Bollywood. Mais la star a ensuite fait machine arrière, au nom du « droit à travailler et à gagner sa vie » du réalisateur, affirmant que seul un tribunal pouvait établir sa culpabilité. Un processus qui peut prendre des années en Inde, au système judiciaire surchargé.

L’acteur Alok Nath, qui fait l’objet d’une plainte pour viol, a, lui, poursuivi son accusatrice en diffamation. Le film Main Bhi (Me Too en hindi), dans lequel il joue le rôle… d’un juge chargé d’affaires de harcèlement sexuel, doit bientôt sortir.

« J’imagine que le conseil que beaucoup d’hommes ont reçu, c’est : “Mets-toi au vert pendant un an et les gens oublieront” », estime Shweta Pandit, qui n’avait que 15 ans quand Anu Malik, de 25 ans son aîné, lui aurait demandé de l’embrasser en échange d’un travail.

Chanteuse de formation classique, Shweta Pandit a raconté à l’AFP que l’incident, survenu en 2001, mais dont elle n’avait jamais parlé jusqu’à l’avènement de #metoo, l’avait fait « se renfermer » et vivre en recluse.

« J’ai cessé de faire confiance aux gens », pleure-t-elle. « Chanter était la seule façon de m’exprimer. »

Depuis lors, la chanteuse est victime d’une campagne de dénigrement en ligne. Certains décideurs masculins la perçoivent selon elle comme une menace potentielle et refusent de l’embaucher.

« Beaucoup de gens bienveillants m’avaient mise en garde contre tout ce que je pouvais dire, mais je dois camper sur ma position », dit-elle.

« Protection des prédateurs »

« Le système de protection des prédateurs est très solide » à Bollywood, estime Anusha Khan, une consultante animant des ateliers contre le harcèlement sexuel dans l’industrie du spectacle indienne, interrogée par l’AFP.

L’affaire qui a lancé #metoo en Inde, vieille de 11 ans, incarne ces désillusions.

En 2008, l’actrice Tanushree Dutta avait accusé la star bollywoodienne Nana Patekar de l’avoir touchée de manière inappropriée lors du tournage d’une chanson. Elle avait alors 24 ans et lui 57.

Bien que deux personnes — un journaliste et un assistant réalisateur — aient corroboré publiquement les faits, la police avait refusé d’enregistrer sa plainte pour harcèlement.

L’an passé, Tanushree Dutta a réitéré ses allégations. Devant la fronde que l’affaire a générée, la police a enfin décidé d’accepter la plainte initiale. Mais elle a classé l’affaire en juin, invoquant des preuves insuffisantes.

Des témoins ont été « intimidés », affirme cette ex-Miss Inde, estimant que l’enquête a été délibérément bâclée.

M. Patekar, qui a toujours nié les allégations, n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.

Mais Tanushree Dutta, qui dit avoir « perdu des amis, du travail » et avoir connu « des phases de dépression » après l’incident, n’abandonne pas la partie et compte faire appel de cette décision.

« Je n’ai jamais voulu être une révolutionnaire », souligne-t-elle. « Mais ils ont déjà détruit ma carrière, alors qu’est-ce que j’ai à perdre ? Je ne reculerai pas. »