Jean-Michel Blais et Xavier Dolan ont fait connaissance lorsque le cinéaste a appelé le pianiste un matin, sans préavis, pour discuter de son film, Matthias et Maxime. S’en est suivi une collaboration hors du commun.

« J’étais intimidé », confie Jean-Michel Blais à propos de ce premier entretien téléphonique. Xavier Dolan semblait aussi un peu moins à l’aise qu’il l’aurait imaginé. « Je m’attendais à ce qu’il soit au-dessus de ses affaires, mais pas du tout. Et lui me voyait comme un artiste international pas joignable, alors que je suis le gars le plus accessible du monde. »

Les deux artistes se sont formellement rencontrés quelques heures plus tard, à l’appartement de Dolan. « J’ai pris mon vélo et je suis parti chez lui », raconte le volubile pianiste. Ils ont jasé de musique. Xavier avait préparé deux listes de lecture afin de donner des exemples de ses intentions musicales pour son film.

Xavier Dolan apprécie l’œuvre de Jean-Michel Blais depuis ses débuts. Lorsque le scénariste lui a demandé de créer, pour son long métrage en construction, une bande sonore originale au piano, il a « dit oui avant même de savoir quels étaient le film ou les conditions ». 

C’est que le pianiste et compositeur est lui aussi un grand admirateur de Dolan. Un « fan fini depuis toujours », dit-il. Ce coup de fil impromptu et cette rencontre se sont présentés comme une occasion de rêve, qu’il n’a pas hésité à saisir. « En amont, j’y crois, je sais que le projet va fonctionner. »

D’abord, l’incrédulité

Toujours est-il que ce n’est que lorsqu’il a vu Matthias et Maxime sur grand écran qu’il a finalement pris vraiment conscience de ce qu’il venait de réaliser. C’était lors de la première montréalaise, un an plus tard (en septembre dernier). Avant cela, « je n’y ai pas cru, c’était trop », dit Jean-Michel Blais.

Même lors de son passage au Festival de Cannes au printemps, avec Xavier Dolan et les acteurs du film, tout était trop irréel pour qu’il puisse porter un regard lucide sur son expérience. 

J’étais là physiquement, mais mon esprit était fucké ben raide. Tu es vraiment dans un autre monde là-bas.

Jean-Michel Blais

On lui a alors remis le prix d’honneur, décerné par l’organisme Cannes Soundtrack, pour la trame sonore de Matthias et Maxime. « C’est le fun d’avoir un regard critique sur ce que tu fais, commente Jean-Michel Blais. Je l’ai vécu comme une grosse tape dans le dos. »

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Une reconnaissance qu’il ne peut s’empêcher de ramener au génie de Xavier Dolan. S’il est prêt à prendre le mérite pour la musique qu’il a composée pour le film (une musique qui a presque l’importance d’un personnage, invisible, mais omniprésent), le pianiste parle de sa collaboration avec Dolan comme d’une expérience créatrice magnifique. « Xavier m’a choisi, mais il m’a aussi montré comment faire », dit celui qui en était à ses tout premiers essais en composition de musique de film. 

Cette bande originale n’était pas qu’une commande. La création s’est faite en collaboration très étroite avec le cinéaste. Dans un studio que le duo avait loué dans la Petite-Italie, Jean-Michel Blais, des heures durant, a improvisé des mélodies en suivant les directives de Dolan. 

« Il me guidait, me dirigeait, me racontait des bouts de scénario, me montrait des images, dit Blais. Et moi, je jouais là-dessus et on enregistrait. » 

Le malaise

La proximité entre le scénariste et le musicien n’est pas le seul aspect particulier de cette collaboration. La musique n’a pas été faite en réaction au film, après le tournage, pour se coller aux images. La composition a commencé alors que Matthias et Maxime n’était qu’un embryon de long métrage. Xavier Dolan avait une vision nette et précise de ce qu’il voulait créer. 

Pour le pianiste, Xavier Dolan a délimité un terrain de jeu précis où il a pu créer à sa guise. « C’est comme avec ses acteurs. Il y a un scénario à suivre, mais il les laisse vivre. Il est ouvert à l’improvisation. Il y a des choses qui se présentent et il les capte », explique Jean-Michel Blais. 

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Xavier Dolan à Cannes pour Matthias and Maxime, le printemps dernier

Mais lorsqu’il a vu le premier montage de Matthias et Maxime et entendu sa musique improvisée dessus, Jean-Michel Blais a ressenti un « malaise ». « [Xavier] avait tellement bien travaillé son montage, sculpté ses scènes sur tous les tressaillements de ma musique… Ça devenait hyper compliqué de réenregistrer tellement la musique et le film étaient imbriqués l’un dans l’autre », explique-t-il.

Aidé du compositeur Michel Corriveau, il a tenté de réenregistrer les chansons. Le résultat était « robotique », « tellement parfait que c’en était ennuyant ». Jean-Michel Blais aime particulièrement porter attention aux imperfections de ses musiques, les laisser vivre, faire des imprévus des éléments inhérents de l’œuvre. 

La confection de la trame sonore de Matthias et Maxime n’a été que ça. 

On s’est rendu où on voulait, mais pas du tout par le chemin que j’aurais cru qu’on allait prendre.

Jean-Michel Blais

Une de ses allées imprévues a été le moment où il a compris que le réenregistrement n’était pas nécessaire. « J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai appelé Xavier et je lui ai dit que j’allais en studio pour réessayer de tout réenregistrer, mais que je pensais qu’on avait déjà tout », affirme-t-il. 

Tous les chemins mènent à Rome

Les improvisations sont donc ce qu’on entend dans le film, à quelques ajustements près. On entend le bourdonnement des ondes capté un jour par les micros à cause de l’humidité dans l’air. Sur l’album, on entend les chuchotements presque imperceptibles de Xavier alors qu’il donnait des indications à Jean-Michel, en studio. 

La bande originale de Matthias et Maxime est parue hier. Inspirées de Debussy, Chopin et Schubert, entre autres, les pièces ont permis à Jean-Michel Blais de retourner vers le classique. Un autre chemin qu’il ne croyait pas emprunter.

Mais, encore une fois, le but est atteint. Dans le film de Dolan, l’introspection de ses personnages principaux se fait surtout dans le silence. Le piano, ici, traduit les émotions lorsque les mots sont absents.