Après deux décennies dans le paysage de Montréal, le Festival du monde arabe (FMA) a démontré qu’il était plus qu’une plateforme pour les différentes cultures arabes d’ici et d’ailleurs. Ses organisateurs utilisent les termes « militant » et « subversif » pour décrire l’événement, dont la 20édition aura lieu du 25 octobre au 17 novembre.

En 1999, le FMA est né de la nécessité des communautés arabes de faire voir et entendre leur vision du monde. « Plusieurs générations d’immigrants arrivaient au Québec avec le sentiment de consommer la culture occidentale et leur culture ancienne, mais sans rien avoir de neuf à proposer », explique Joseph Nakhlé, directeur artistique et général du festival. « On ne peut pas se contenter d’être des consommateurs de culture. On doit pouvoir la produire également. »

Depuis le départ, les organisateurs s’activent pour éviter que la création culturelle arabe demeure marginalisée, sans scène ni plateforme pour s’épanouir. « Dans la communauté arabe, il y a plusieurs artistes pop qui viennent à Montréal, mais souvent dans des soirées où seuls les membres de la communauté se déplacent », souligne Emily Awad, directrice des communications.

Le festival permet de rejoindre énormément de Montréalais, de Québécois dits de souche et de Français qui partagent avec nous.

Joseph Nakhlé, directeur artistique et général du festival

Les liens qui se tissaient depuis 1999 ont toutefois été ébranlés par les événements du 11 septembre 2001, qui ont créé un sentiment d’hostilité grandissant envers les populations originaires du monde arabe. « On était refusés un peu partout pour tenir nos événements, se souvient le directeur. Les panneaux publicitaires accordés par la Ville de Montréal nous ont été enlevés pour ne pas heurter certaines sensibilités. Des commanditaires et des membres de notre équipe se sont retirés. Il a fallu tenir le coup ! »

Un défi relevé avec succès, alors que 75 % des visiteurs du FMA en 2006 étaient des Québécois dits « de souche ». Cependant, une autre tuile s’est abattue sur le festival, lorsque la crise des accommodements raisonnables a creusé un nouveau fossé entre les communautés ; en 2007, la proportion de visiteurs québécois est tombée à 7 %. « Le FMA doit se battre pour convaincre la société d’accueil, lui proposer des choses intéressantes, lui montrer l’identité du festival et faire en sorte qu’elle se l’approprie, tout en composant avec des points de vue parfois très opposés au sein même des communautés arabes », dit Joseph Nakhlé.

Susciter la réflexion

L’un des moyens qu’a trouvés le FMA pour combattre le flot de malaises et de préjugés a été de faire des choix de thématiques audacieuses, telles que « Prophètes rebelles », « Harem lever les voiles » et « Érotique Halal ». « Nos thèmes visent à susciter une réflexion qui sort du fastfood de la pensée, affirme M. Nakhlé. On veut approcher les choses avec un angle qui perturbe les spectateurs. »

Parfois, la provocation volontaire passe par l’image du festival, comme en 2015, alors que l’affiche de l’édition Hilarus Delirus illustrait un clown avec la tête coupée en train de jouer du violon avec un sabre. « Le but était de faire preuve d’autodérision sur ce qui se passe dans le monde arabe, révèle M. Awad. L’affiche a choqué et fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Le FMA a toujours eu une ligne directrice subversive. »

Selon les organisateurs, l’événement accueille entre 30 000 et 40 000 visiteurs chaque année. Cette popularité ouvre la porte à de plus en plus d’œuvres créées spécialement pour le festival. « Le volet création s’accroît avec le temps », dit Emily Awad.

Le FMA offre une plateforme aux artistes internationaux pour rencontrer les artistes d’ici. Et le rayonnement international du festival a beaucoup évolué. Nos créations tournent au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.

Emily Awad, directrice des communications du festival

Malgré les succès qu’ils décrivent, les organisateurs s’inquiètent du financement du FMA. Plusieurs fois en entrevue, le directeur général a martelé sa déception face au retrait du soutien du gouvernement provincial. « Depuis environ quatre ans, on est passé d’un soutien de plus de 200 000 $ à presque 0 $, alors que nos créations ont un immense succès auprès du public d’ici et qu’elles sont vendues à l’extérieur. C’est une décision qu’on juge injuste et injustifiée. »

Joseph Nakhlé croit que la croissance du festival est freinée par le faible soutien du gouvernement provincial. « On souhaite rétablir ce partenariat pour développer le FMA et lui donner la chance de progresser qu’il mérite. C’est une fierté que Montréal et le Québec aient un festival de cultures arabes. Nos avons aidé Toronto à créer un festival semblable. Nous sommes le grand frère du festival Arabesques, à Montpellier. Il faut continuer de rayonner au Canada et partout dans le monde. »

Six arrêts à prévoir

Et la femme chanta Dieu

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DU MONDE ARABE DE MONTRÉAL

Et la femme chanta Dieu mettra en scène 3 chanteuses et 25 musiciennes, choristes et danseuses, y compris une derviche tourneuse.

La grande soirée d’ouverture a été confiée à une communauté d’artistes entièrement féminine : 3 chanteuses, 25 musiciennes, choristes et danseuses, y compris une derviche tourneuse, qui se réuniront sur scène pour offrir une messe des arts liturgiques. Une façon pour le festival de conclure la trilogie du Sacré présenté d’un point de vue féminin, après Le Cercle de l’Extase (2003) et Dieu en 3D (2012). Le spectacle s’annonce plus grand que nature. Au Théâtre Maisonneuve, le 25 octobre.

Diplomatiquement incorrect

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DU MONDE ARABE DE MONTRÉAL

Nidhal Saadi

À une époque où les préjugés s’immiscent entre les gens comme des barrières, Nidhal Saadi s’amuse avec les tensions culturelles pour mieux les faire voler en morceaux. Tunisien d’origine, l’acteur et humoriste est une véritable star, comme en témoignent les 1,6 million de personnes qui le suivent sur Instagram. Dans son spectacle solo comico-autobiographique, il s’attaque à la rectitude politique et raconte des histoires à la fois absurdes et émouvantes auxquelles il a fait face. Au Théâtre le Château, le 26 octobre.

Histoire et littérature

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Rachida Azdouz

Moult événements se tiendront dans les librairies de la métropole pendant le festival. À la librairie Paulines, l’événement 100 ans de guerre au Moyen-Orient (27 octobre) propose la projection d’un documentaire suivie d’un débat. Une discussion autour du plus récent essai de Rachida Azdouz, Pas de chicane dans ma cabane, sera organisée au Port de tête (12 novembre). Au même endroit, le 15 novembre, la conférencière Rachida M’Faddel parlera d’altérité et de vivre-ensemble par le truchement de la littérature.

The Ayoub Sisters

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DU MONDE ARABE DE MONTRÉAL

The Ayoub Sisters

À cheval entre le classicisme et la modernité, entre leur héritage égyptien et écossais, les musiciennes ont goûté au succès grâce à leurs reprises acoustiques de chansons pop telles que Uptown Funk, de Bruno Mars, et Blackbird, des Beatles. Depuis quelques années, les sœurs Sarah et Laura Ayoub manient leur violon et leur violoncelle avec virtuosité afin de faire vibrer les cœurs de par le monde. Au Gesù, le 1er novembre.

Of Fathers and Sons

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DU MONDE ARABE DE MONTRÉAL

Scène du film Of Fathers and Sons, de Talal Derki

Parmi les films qui seront projetés au Cinéma du Parc durant le FMA, on remarque tout particulièrement Kinder des Kalifats, coproduction allemande, syrienne et libanaise, qui raconte l’histoire d’Abu Osama. L’homme est à la fois papa de huit garçons, as du déminage, spécialiste des attaques à la bombe et cofondateur du groupe Al-Nusra, branche syrienne d’Al-Qaïda. Le réalisateur, Talal Derki, a eu accès à la famille d’Osama en le convainquant qu’il était sympathisant à sa cause. Au Cinéma du Parc, le 2 novembre.

Je me souviens 

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL DU MONDE ARABE DE MONTRÉAL

Nizar Tabcharani

La devise officielle du Québec est mise à l’honneur par Nizar Tabcharani, qui a réuni le folklore musical québécois et libanais. Lui-même le fruit du métissage culturel, le musicien a étudié à l’Université Concordia, à Montréal, après avoir consacré sept ans au Conservatoire national de musique du Liban. Durant la soirée, les spectateurs entendront les notes et les fréquences du piano, du qanoun et de la darbouka s’entremêler pour créer une courtepointe sonore et festive. À La Marche à côté, le 14 novembre.