L’animatrice, chroniqueuse et comédienne Rosalie Bonenfant sera cet automne à la barre de la deuxième saison de C’est quoi l’trip ?, magazine web sur Tou.tv. L’influenceuse de 22 ans a participé en juillet au gala Juste pour ados, dans le cadre du festival Juste pour rire. Notre chroniqueur a durement critiqué ce spectacle, ce qui lui a valu une très vive réaction de la part des youtubeurs et influenceurs. Entretien.

Marc Cassivi : Je t’ai lue sur Facebook, où tu m’interpellais en parlant de Juste pour ados. Et tu signais, en post-scriptum : une « influenchieuse ». Tu te considères comme une influenceuse ?

Rosalie Bonenfant : Pour moi, utiliser ce terme-là, c’est un peu comme la communauté queer qui se réapproprie un mot devenu péjoratif. Me proclamer influenceuse, c’est aussi une façon de dire que sur l’internet, il n’y a pas que des vendeuses de sacoches et de « detox tea ». Si je reprends les termes de ta chronique, je pense que je ne suis ni une vedette jetable ni une artiste de talent, je suis un peu entre les deux. Je suis au début de ma carrière et j’essaie d’offrir le meilleur de ce que j’ai. On peut avoir de l’influence et utiliser cette notoriété à bon escient. Influenceur, c’est un terme laid, mais qui englobe un nouveau métier qu’on ne sait pas encore comment définir.

M.C. : Cette chronique m’a valu bien des réactions, certaines assez violentes…

R.B. : Tant que ça ?

M.C. : J’ai reçu des menaces de fans d’un youtubeur qui a 750 000 abonnés. Les influenceurs, eux, ont surtout été vexés. Il y en a une qui m’a envoyé chier six fois en six paragraphes [rires] ! Ce que j’ai aimé de ton post, c’est qu’il appelait à poursuivre la discussion. J’ai beau être d’une autre génération et ne pas être le public cible des influenceurs, je comprends qu’être animateur à la télé ou sur une chaîne YouTube, ça se ressemble.

R.B. : C’est du divertissement ! Qu’on se saoule à V avec des vedettes ou qu’on se saoule sur YouTube avec des vedettes, ça reste aussi insipide. C’est correct aussi de se divertir !

Si on veut défendre ce nouveau média et démontrer qu’on est pertinent, on n’a qu’à en faire la preuve. C’est la meilleure façon de répondre à ta chronique.

Rosalie Bonenfant

M.C. : J’ai vu Fabuleuses, le film de Mélanie Charbonneau sur les influenceuses, que j’ai trouvé assez lucide sur le phénomène. Même si les personnages sont archétypaux, le scénario va au-delà des clichés. L’influenceuse n’est pas seulement superficielle et celles qui la critiquent ont leurs propres défauts. Mais c’est un film qui m’a conforté dans mon point de vue sur la vacuité de cette célébrité instantanée. Je ne pense pas que ma chronique était si à côté de la plaque…

R.B. : Il faut faire la différence entre une critique et une attaque personnelle. Que quelqu’un regarde de façon critique ce que tu fais et émette une opinion nuancée – même s’il y avait des passages un peu plus âpres dans ta chronique –, ce n’est pas une attaque personnelle. De voir des gens utiliser leur communauté et se monter une armée pour défendre leur ego, je trouve ça désolant. Il faut se rappeler pourquoi on fait ce qu’on fait. Ensuite, c’est plus facile d’assumer que d’autres ne pensent pas comme nous. Mais c’est normal que les points de vue se heurtent. Ce qui n’est pas normal, c’est de publier une photo et de recevoir 100 commentaires de gens qui disent comment on est belle. On commence à peine à composer avec tout ça.

M.C. : Tu le disais sur Facebook, ta réflexion sur le rapport à la célébrité, dont tu te méfies, a été nourrie par l’expérience de ta mère [l’animatrice et comédienne Mélanie Maynard]. Est-ce que ça t’a donné une longueur d’avance dans la compréhension de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut pas faire ?

R.B. : Ma mère aussi a un compte Instagram et elle sait que pour alimenter l’algorithme, elle doit publier à une certaine fréquence ! Mais grâce à elle, j’ai un regard plus lucide sur la célébrité et je pense que je fais ce que j’ai envie de faire pour les bonnes raisons. Je n’ai jamais vu la notoriété comme un but à atteindre.

Ce qui est important pour moi, c’est l’authenticité. J’ai beaucoup de misère avec la fausse authenticité des photos mises en scène avec un filtre sur Instagram. On n’a pas besoin d’une autre image de “belle fille parfaite”. Il y en a assez !

Rosalie Bonenfant

M.C. : Des influenceurs, vexés que je les distingue des artistes, disent qu’ils sont des « créateurs de contenu ». Ça ne fait pas nécessairement d’eux des artistes ! Moi non plus, je ne suis pas un artiste. Tout le monde est créateur de contenu. Mais il y a une différence entre les contenus que produisent un artiste, un journaliste et un publicitaire. Je pense qu’il faut être transparent dans sa démarche. Mais peut-être que je suis trop vieille école…

R.B. : Le terme « artiste » est un peu galvaudé et c’est vrai que l’expression « créateur de contenu » a le dos large. Mais elle permet d’englober le plus de personnes qui font ce métier. Il faut juste se demander sincèrement pourquoi on fait ce qu’on fait et à qui ça profite. Il n’y a pas de mauvaise réponse. Dans toute la gang qui était visée par ta chronique – c’est PL Cloutier [un influenceur] qui l’a soulevé –, il y a quand même Jessie Nadeau, une activiste végane qui fait la promotion d’un mode de vie qu’on a tendance à juger, et Gabrielle Marion, qui est probablement la seule femme trans à faire des vidéos au Québec. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec tout ce qu’elles disent, mais je trouve ça cool que des jeunes aient accès et puissent s’identifier à elles.

M.C. : C’est là que j’avais tort dans ma chronique, selon toi ?

R.B. : Je pense surtout que tu as critiqué un gala pour les jeunes avec des yeux d’adulte. J’ai beaucoup de respect pour Pascal Morrissette, qui offre du contenu exclusif aux jeunes. On ne peut pas regarder ça du même œil qu’on regarde un film en compétition à Cannes. Même si c’est vrai qu’on a tendance à associer du contenu jeunesse à du contenu plus léger, alors que les jeunes sont curieux, allumés et peuvent en prendre. On a tendance à trop les infantiliser.

M.C. : C’est aussi ce que je pense. C’est la raison pour laquelle j’ai été aussi critique.

R.B. : Mais les youtubeurs, c’est aussi Émile Roy, qui fait un travail de recherche, qui a un souci du détail, qui vérifie la justesse de ses informations et qui vulgarise très bien.

On devrait arrêter de penser que les youtubeurs, c’est seulement ceux qui se cassent des œufs sur la tête ! Et parmi les influenceurs, il y a aussi des filles qui militent pour la diversité corporelle. C’est tellement plus que l’idée péjorative qu’on se fait de ces médias-là !

Rosalie Bonenfant

M.C. : Je le sais aussi parce que j’ai des ados, qui connaissent des youtubeurs. Je connais Émile Roy, qui n’a rien à voir avec ceux qui se présentent essentiellement comme des panneaux-réclames pour des marques qui les commanditent. Il y en a beaucoup quand même ! Il y a des jeunes à qui on demande aujourd’hui : « Qu’est-ce que tu veux faire dans la vie ? » et qui répondent : « Je veux être célèbre. » Ce n’est pas un métier !

R.B. : J’entends des petites filles de 5 ou 6 ans me dire qu’elles veulent devenir même plus youtubeuses, mais instagrameuses ! Ça me fait capoter. C’est tellement éphémère, être instagrameuse. Une belle fille sur Instagram ne fera pas ça 10 ans. Une autre belle fille, plus jeune qu’elle, avec de plus gros seins et plus d’injections, va prendre sa place. Il faut arrêter de penser que les influenceurs sont « le futur ». C’est la plateforme, le futur. En même temps, j’ai un pied dans les médias traditionnels et un autre dans ces médias-là. Je côtoie ces jeunes-là. Mon chum [Miro Belzil] est youtubeur…

M.C. : Est-ce qu’il a mal réagi à ma chronique ?

R.B. : Pas du tout ! Mais il est aussi musicien. Il n’est pas « connu pour être connu » ! [rires] Cela dit, je trouve qu’il faut rester ouvert à la discussion. On s’en reparlera dans 10 ans…