Lundi matin bien avant l’aube, en arrivant dans la tour de Radio-Canada, boulevard René-Lévesque, Patrick Masbourian aura en tête une phrase que sa mère lui a écrite jadis sur une carte postale, un objet qu’il conserve depuis sa tendre adolescence : « No guts, no glory ! » Traduction libre : pas d’audace, pas de succès. Cette phrase le hante depuis environ 35 ans…

Cette semaine, en devenant l’animateur de la nouvelle matinale d’ICI Première, l’une des émissions les plus écoutées en semaine, Patrick Masbourian réalisera son plus beau et son plus grand défi en 25 ans de carrière : morning man à la radio publique.

À 49 ans, le reporter et animateur « champ gauche » à la télévision (La revanche des nerdz, La fin du monde est à 7 heures) et à la radio (Les éclaireurs, PM, La route des 20) pilote désormais l’émission phare du 95,1 FM, diffusée dans le Grand Montréal et dans le sud du Québec. En plus d’avoir une relation privilégiée avec l’auditoire au lever du jour, l’animateur donnera le ton du reste de la programmation de la chaîne et de la journée d’environ 20 % de la population qui écoute la radio à cette heure-là. Un gros défi, disait-on ! 

« Oui, je suis un peu stressé et je tourne dans mon lit la nuit, car je veux être à la hauteur de mes prédécesseurs », confie Masbourian, interviewé plus tôt cette semaine.

« Plus jeune, j’écoutais Le Bigot, Bourgault et Bazzo à la même antenne. Depuis des lustres, il y a une école d’animateurs et d’animatrices radio haut de gamme à Radio-Canada. En même temps, la direction est venue me chercher pour qui je suis. Le mandat qu’on me confie, entre autres, est d’apporter de la convivialité et de la modernité à l’antenne. Je crois avoir la capacité de le faire. Comme je pense pouvoir parler aux gens de 30 ans autant qu’à ceux de 70 ans. »

Tout un plateau !

« Tout un matin, tout un plateau ! », lance Patrick Masbourian au retour du bulletin d’information de 8 h. Michel Désautels, Fred Savard, Philippe-Audrey Larrue St-Jacques, Marie-Maude Denis et Paul Journet viennent de prendre place au studio 17 pour l’enregistrement du pilote de la matinale. En régie, la fébrilité est palpable.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Michel Désautels abordera l’actualité dans une perspective plus large à l’émission Tout un matin.

Bien que l’émission pilote soit en circuit fermé, tout a été préparé avec soin pour faire comme si l’équipe était réellement en ondes. Du choix des invités et des sujets aux interventions des chroniqueurs, en passant par la revue de presse d’Hugo Lavoie, les bulletins météo de Véronique Mayrand et circulation d’Yves Desautels, rien n’est laissé au hasard. Tellement qu’en réunion de production, la veille, l’équipe de recherche s’est fait prendre à son propre jeu. Pendant un instant, on s’est demandé si les collaborateurs allaient pouvoir écouter l’entrevue téléphonique avec le politicien Maxime Bernier… avant d’arriver en studio !

Durant une pause, la réalisatrice Dominique Depatie, cheffe d’orchestre de ce concert matinal, entre en studio pour discuter avec l’animateur de la feuille de route et des prochains invités. Son rôle est primordial.

Dès la minute où j’entre en ondes, à 5 h 30, tout va très vite. Je dois être très concentré, à l’écoute, et en même temps m’adapter à ce qui se passe autour de moi et à l’extérieur du studio. Dominique est mon deuxième cerveau !

Patrick Masbourian

Pour le nouveau morning man, le mandat de la matinale peut se résumer en deux mots : informer et accompagner. « On informe et accompagne les auditeurs pour mieux les guider en commençant leur journée. Je vise à être le plus authentique et sincère possible avec eux. Comme Michel [Désautels] m’a dit, nos auditeurs sont des gens curieux et informés. Ils désirent apprendre davantage de choses. Et d’abord et avant tout ce qui se passe dans la journée. J’aimerais arriver à émouvoir tout en informant. La radio parle aux oreilles et aussi au cœur. »

Toute une équipe !

Au début de l’été, lorsque Radio-Canada a annoncé que Patrick Masbourian allait succéder à Alain Gravel, la direction avait parlé d’un « vent de fraîcheur » et d’un désir de diversité sur les ondes de la radio publique. « À l’image de Patrick, on a embauché des gens avec des intérêts extrêmement variés et qui sont très ouverts aux nouveaux phénomènes de société », dit Sylvie Julien, directrice d’ICI Première.

Le choix des collaborateurs de Tout un matin va dans ce sens. Il a été fait avec minutie. La direction a testé la symbiose entre les candidats ainsi que leur complémentarité, en les greffant les uns aux autres. « Au départ, on voulait faire entendre des voix et des générations différentes, explique l’animateur. Un doyen comme Michel Désautels, qui a commencé à travailler pour Radio-Canada en 1972 ; à la chronique culturelle, Eugénie Lépine-Blondeau, qui n’a pas 30 ans, est familiarisée autant avec la réalité de la diversité LGBT+ qu’avec les tendances musicales de l’heure, le classique, la danse, l’opéra… »

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Meeker Guerrier, le « gars des sports » de l’émission, a également un intérêt pour la politique.

Patrick Masbourian a été agréablement surpris lorsque l’animateur de Désautels le dimanche (qu’il a connu en 1990 en participant à La course Europe-Asie) a accepté de participer à la matinale : « Michel va donner son point de vue sur des sujets de l’actualité, dans divers domaines, en les abordant dans une perspective plus large que l’analyse des nouvelles à chaud. »

Isabelle Craig s’intéressera aux questions de société, de santé et de consommation. La journaliste de terrain a une longue expérience et un champ d’expertise très large. Tout comme Masbourian, elle est à l’aise avec une variété de sujets. « L’équipe ne travaillera pas en silo, dit Isabelle Craig. La nouvelle formule permet une fluidité, des échanges ouverts entre les membres de l’équipe. »

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Véronique Mayrand présentera le bulletin météo et Yves Desautels, le bulletin circulation.

« Les membres de mon équipe sont à la fois d’excellents spécialistes et de bons généralistes, ajoute Masbourian. Par exemple, Meeker Guerrier, aux sports, peut rebondir et poser une question pertinente sur la situation politique à Hong Kong. Et je pense que le public va apprécier le fait que le gars des sports peut s’intéresser à un enjeu international. Il y a des têtes fortes autour de la table. Ce qui représente à la limite un danger pour moi… Je dois bien gérer l’interaction entre tous ces collaborateurs. »

Tout un apprentissage

Pour Patrick Masbourian, la radio est un accident de parcours. Quand il a quitté La revanche des nerdz en 2007, il en avait assez de la télévision. L’ex-reporter de Flash voulait faire du cinéma, son rêve de jeunesse. Il avait même le projet de réaliser un ambitieux long métrage qui n’a jamais vu le jour. Celui qui a fait La course – la même saison que le réalisateur Denis Villeneuve – s’est donc retrouvé à la radio pour « gagner sa vie ». « Quand j’ai commencé ici, tous mes ex-collègues de la télé me disaient : “Tu vas voir, c’est facile, la radio, c’est convivial, il y a peu de contraintes techniques, tu n’as pas à penser à l’image”, etc. Or, au contraire, j’ai trouvé que la radio était un média difficile. »

Tout s’entend à la radio, alors que tout ne se voit pas à la télévision. C’est dur de mentir ou de maquiller les choses à la radio. Si tu n’es pas authentique, tu vas être rapidement démasqué.

Patrick Masbourian

D’où l’importance de ne pas jouer un rôle et de rester soi-même en ondes. « Il y a quelques années, avant que je travaille à Radio-Canada, Chantal Jolis m’avait invité à son émission culturelle pour parler de musique arménienne. Pendant une pause, Chantal m’a demandé d’être plus naturel. Elle trouvait que je “perlais”. Elle ne reconnaissait pas le gars qu’elle avait connu à La course Europe-Asie. »

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Eugénie Lépine-Blondeau sera la chroniqueuse culturelle de l’émission de Patrick Masbourian.

Après quelques années d’émissions à lui et de remplacements à l’animation à la Première Chaîne, Masbourian estime qu’il a trouvé sa voix vers 2011, en animant l’émission musicale PM : « J’ai enfin été libéré de la pression de performer en ondes. J’ai appris à parler aux auditeurs, à m’adresser directement à eux sans jouer un rôle. Et je pense que je peux garder cette liberté de ton, cette souplesse, à la barre de Tout un matin, en restant pertinent avec une émission d’information. »

Tout un défi !

Il y a quelques semaines, Masbourian a croisé René Homier-Roy à Radio-Canada. Il a demandé à l’animateur de Culture club s’il avait un conseil à lui donner. « Un des secrets pour bien animer le show du matin, c’est de s’intéresser à TOUS les sujets que tu abordes, même ceux qui te touchent moins », lui a répondu l’ancien animateur de C’est bien meilleur le matin. « Ça tombe bien, parce que je suis un gars curieux de tout, dit Masbourian. À l’été 2006, avant que je remplace Marie-France Bazzo à Indicatif présent, elle m’avait demandé de me présenter au public en trois mots. J’ai été un peu surpris, puis j’ai trouvé : “combler ma curiosité”. Je ne sais pas tout et je veux toujours apprendre. »

Comme le dit la chanson de Jean Gabin, en vieillissant, Patrick Masbourian sait qu’on ne sait jamais rien, mais qu’il faut toujours demeurer ouvert et à l’écoute des êtres et des choses.

Tout un matin, de 5 h 30 à 9 h à ICI Première, dès lundi prochain

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