La comédienne Andrée Lachapelle s’est éteinte, jeudi, à l’âge de 88 ans. Ses rôles, à la télévision, au cinéma comme au théâtre, ont marqué le Québec. Son humanité et son ouverture d’esprit ont touché ceux qui l’ont côtoyée.

« C’était un cadeau du bon Dieu à l’humanité souffrante, a répété hier à La Presse le metteur en scène André Brassard. C’était une beauté en dehors et en dedans. »

Souffrant d’un cancer, la comédienne a demandé l’aide à mourir pour partir sereinement, entourée de ses proches, quelques jours après son anniversaire. 

Un dernier grand rôle

Le dernier grand rôle d’Andrée Lachapelle aura été celui qu’elle joue dans Il pleuvait des oiseaux, le très beau film que Louise Archambault a tiré du roman de Jocelyne Saucier.

Au cours d’un entretien accordé à La Presse en marge de la sortie du film, la comédienne a évoqué un « cadeau du ciel » en parlant de son personnage, Marie-Desneiges, une octogénaire qui, après avoir été injustement internée toute sa vie, se reconstruit auprès de deux vieux ermites vivant dans le bois. 

Même si l’état de santé précaire de Mme Lachapelle était connu, la réalisatrice ne s’attendait pas à ce qu’elle choisisse de quitter ce monde aussi subitement. « Avec Rémy [Girard] et Gilbert [Sicotte], on avait planifié aller la voir très bientôt, confie Louise Archambault, visiblement émue. Elle est partie un peu trop tôt. J’avais envie d’un dernier câlin ! »

Andrée était d’une gentillesse et d’une générosité incroyables.

Louise Archambault, réalisatrice du film Il pleuvait des oiseaux

« Pendant le tournage du film, qui a eu lieu dans un endroit isolé, nous avons eu l’occasion de nous raconter nos vies. J’ai été frappée de voir comment Andrée ne gardait de ses souvenirs que les aspects positifs, malgré les épreuves qu’elle avait traversées. Elle était aussi très drôle. Jamais de chichis avec elle ! »

La réalisatrice s’estime extrêmement privilégiée d’avoir pu côtoyer cette femme d’exception, inspirante, qui laissera une marque immense dans sa vie. Elle évoque aussi la fierté de l’actrice d’avoir joué dans un film où il est question de résilience, de vieillesse et des choix de vie qu’elle entraîne, jusqu’à la façon de mourir. « Nous avons fait ce film ensemble, ajoute Louise Archambault. Le départ d’Andrée me rend très triste, mais en même temps, je suis en paix avec son choix. Avec elle, avec Gilbert et Rémy aussi, nous avons beaucoup discuté de l’aide médicale à mourir sur le tournage. J’ai senti Andrée sereine face à ce choix-là. Elle trouvait ça bien. » 

« J’espère qu’elle est heureuse, a de son côté déclaré Gilbert Sicotte, aussi ému. Nous sommes évidemment tous tristes, on l’aimait tous tellement… Andrée était tellement attachante, tellement chaleureuse. » 

L’acteur, qui a joué avec Andrée Lachapelle une scène d’amour aussi délicate qu’émouvante dans Il pleuvait des oiseaux, a évoqué une première rencontre professionnelle avec l’actrice dans… comme un voleur, téléfilm de Michel Langlois, tourné en 1991, dans lequel il jouait son fils. « Avant de rencontrer Andrée, j’admirais évidemment la grande comédienne qu’elle était, mais j’avais quand même en tête l’image de cette très belle femme, élégante, un peu distante qu’on lui prêtait. Or, je me suis retrouvé face à quelqu’un de très chaleureux, très drôle, quelqu’un de party qui aimait l’esprit de troupe. Andrée tenait à ce que tout le monde se retrouve pour aller manger ensemble après le tournage, et elle voyait à ce que tout le monde soit bien et heureux sur le plateau. »

PHOTO FILMOPTION, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Langlois et Andrée Lachapelle lors du tournage du documentaire Anne des vingt jours

L’acteur se rappelle aussi toutes les discussions qui ont eu lieu lors du tournage d’Il pleuvait des oiseaux, un film où il est beaucoup question du choix de sa mort.

Apprendre qu’elle a choisi de quitter ce monde de cette façon me laisse croire — je le souhaite — qu’elle se sent maintenant libérée. Mais je suis très triste de perdre Andrée. Allons l’embrasser.

Gilbert Sicotte

Une longue carrière

La comédienne a commencé sa carrière dans les années 50. Elle a multiplié les rôles au théâtre et à l’écran au fil des décennies. Elle a été l’une des égéries du dramaturge Marcel Dubé. Sur scène, elle a été de la création d’Au retour des oies blanches et de Bilan, et d’Entre midi et soir, à la télévision.

Anticonformiste, elle a fait scandale dans sa vie personnelle en ayant quatre enfants sans se marier avec Robert Gadouas, mort à la fin des années 60. 

L’artiste s’est aussi impliquée dans de nombreuses causes sociales. « Des gens me pensent snob, alors que je ne l’ai jamais été de ma vie », a déjà déclaré Mme Lachapelle. La comédienne venait d’un quartier populaire de Montréal et s’est impliquée auprès d’organismes venant en aide aux familles dans le besoin ou de gens du milieu carcéral. Elle est aussi devenue porte-parole d’Amnistie internationale.

Cette espèce de grand souci de l’humanité qui la caractérisait à chaque minute de sa vie… C’était vraiment quelqu’un d’exceptionnel. Ce n’est pas pour rien qu’elle était belle comme ça, ça émanait d’une beauté intérieure profonde.

René Richard Cyr

Le metteur en scène a travaillé avec elle à quelques reprises et l’a dirigée pour son dernier rôle sur scène, dans Les innocentes, en 2014. Il savait que peu importent les personnages qu’il lui confiait — même des chipies, des femmes méchantes ou amères —, Andrée Lachapelle allait leur insuffler une dose d’humanité, a-t-il confié.

Sur les réseaux sociaux, personnalités publiques comme admirateurs anonymes lui ont rendu hommage. « Toutes mes sympathies aux proches de la grande comédienne québécoise, Andrée Lachapelle, a écrit le premier ministre du Québec, François Legault. Elle a fait rêver les Québécois pendant toutes ces années avec ses personnages à la télé, au cinéma et au théâtre. »

« Je suis très triste d’apprendre le décès d’Andrée Lachapelle, a réagi le premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Une grande dame qui a énormément contribué à la culture québécoise. »

« Une étoile, la plus belle, la plus brillante est maintenant là-haut ! », a écrit la comédienne Guylaine Tremblay. 

— Avec la collaboration de Luc Boulanger, La Presse

Andrée Lachapelle en 10 rôles marquants

De 1966 à 1977

Elle est de la distribution du téléroman Rue des Pignons.

1968

Elle joue dans Bilan, de Marcel Dubé, au TNM. Elle a auparavant été des productions Les beaux dimanches et Au retour des oies blanches, à la Comédie-Canadienne (l’actuel TNM).

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Andrée Lachapelle et Yves Létourneau dans Les beaux dimanches, en 1974

1980 à 1986

Elle incarne Marie-Thérèse Fournier dans le téléroman Le temps d’une paix, de Pierre Gauvreau.

De 1982 à 1986

Au petit écran, elle est Louise Robert dans Monsieur le ministre.

1984

Elle incarne Blanche Dubois dans Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, au Théâtre du Trident, à Québec. Elle sera de la distribution de Soudain l’été dernier, du même auteur, en 1994, chez Duceppe.

1993

Elle remporte un prix Génie pour son rôle de Jeanne O’Neil dans le film Cap Tourmente.

1995

Elle endosse le rôle d’Albertine à 60 ans dans la pièce Albertine en cinq temps, de Michel Tremblay, à l’Espace Go.

2006

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La comédienne Andrée Lachapelle et l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad, en octobre 2006.

Elle est Nawal Marwan dans la pièce Incendies, de Wajdi Mouawad, présentée au Théâtre du Nouveau Monde.

De 2009 à 2016

Elle incarne Florence Bergman dans le téléroman Yamaska.

2019

Son dernier rôle au cinéma sera celui de Marie-Desneiges dans le film Il pleuvait des oiseaux, de Louise Archambault

— Stéphanie Morin, La Presse