S’il y en a un qui mérite d’avoir sa face sur les murs du Centre-Sud, c’est bien Yvon Deschamps. Je croise son visage régulièrement dans mon quartier d’enfance que je n’ai jamais quitté, puisqu’il est à l’honneur à quelques endroits, même si ce n’est pas le genre d’attention qu’il aime recevoir.

Yvon Deschamps apparaît au coin des rues Alexandre-DeSève et Ontario sur une œuvre murale en céramique, on le voit dans une peinture rendant hommage à La Roulotte de Paul Buissonneau dans la petite rue Robin et en photos dans le pavillon qui porte son nom à l’entrée de l’Association sportive et communautaire du Centre-Sud (ASCCS), rue de la Visitation, qu’il soutient de toute sa conviction. On le croise aussi physiquement, parce qu’il se promène souvent dans le coin. Tous les gens ici de ce « fier monde » respectent Yvon Deschamps, non seulement parce qu’il nous a fait rire et réfléchir dans sa carrière d’humoriste, mais parce que nous connaissons son implication sincère.

Sauf que la véritable présence d’Yvon Deschamps dans Centre-Sud se fait ressentir à un niveau beaucoup plus profond, quelque chose d’incalculable, qu’on ne peut mesurer platement avec des chiffres.

Cela tient à son influence certaine dans les parcours d’enfants qui ont bénéficié de son engagement communautaire depuis 1985.

Je peux vous dire qu’il y a 35 ans, le Centre-Sud n’était pas un quartier où les parents rêvaient d’élever leurs enfants. Guère plus aujourd’hui, j’ai l’impression. Malgré les signes évidents d’embourgeoisement, Centre-Sud a toujours été un quartier dur, régulièrement cité parmi les pires de Montréal dans les palmarès, où trop de ses jeunes ont fini avec une aiguille dans le bras ou Dieu sait où. Dans les années 80, les parents ne voulaient même pas que les enfants jouent dans les parcs, parce qu’on y trouvait des seringues partout, en pleine psychose du sida. Ça fait quoi, les week-ends, un enfant de famille pauvre qui ne peut pas aller à la campagne ni dans les parcs ? Bien des niaiseries, souvent.

On se sent perdus entre les tas de fondations et d’organismes qui sollicitent nos dons – ce dérangement est le prix à payer quand une société choisit l’austérité et fait des coupes dans les programmes sociaux, parce que c’est le principe de la charité qui doit prendre le relais. Mais il faut voir sur le terrain combien ça détend un tissu social quand des gens comme Yvon Deschamps et Judi Richards s’impliquent pour vrai.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Yvon Deschamps 

Dans la rue de la Visitation, là où il aurait pu y avoir encore des maudits condos, se dresse aujourd’hui le beau bâtiment de l’Association sportive et communautaire du Centre-Sud, soutenue par la Fondation Yvon Deschamps Centre-Sud, qui a agrandi ses installations dans les dernières années. À cinq minutes à pied de chez moi, je peux profiter de sa superbe piscine, l’une des plus belles au centre-ville, mais je n’oublie jamais que je profite aussi d’un endroit qui apprend aux jeunes à éviter la noyade dans leurs problèmes.

Parce que c’est ça que la fondation d’Yvon Deschamps soutient à l’ASCCS : l’accès des enfants à autre chose que leurs difficultés.

L’ASCCS, en plus de ses installations sportives, abrite une grande bibliothèque et offre une foule d’activités et de programmes aux enfants et aux ados du quartier. Le sport, l’art, l’aide aux devoirs, les camps de jour… L’argent versé à la fondation sert essentiellement à assurer la pérennité de tout ça. Et, j’insiste, on ne comprend pas à quel point ça peut faire la différence pour une petite vie naissante dans un quartier difficile.

Hier, dans Centre-Sud, Yvon Deschamps, 84 ans, qui s’est éloigné de la scène et se fait discret dans les médias (sauf pour ses causes), était dans une grosse journée de promotion au profit de l’ASCCS. Toujours avec l’infatigable Judi Richards, 70 ans, à ses côtés.

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Pour la deuxième année, Le Bordel Comédie Club, rue Ontario, a donné un coup de main à Yvon Deschamps afin d’amasser de l’argent pour l’ASCCS. Dès 11 h, il y avait un brunch où le couple Deschamps et Richards est venu serrer les mains de ceux qui avaient acheté les billets. Ensuite, il y avait un show, animé par Sam Breton, avec des humoristes comme Laurent Paquin, Mike Ward, François Bellefeuille, Christine Morency, Étienne Dano, Joe Guérin et Matthieu Pepper, qui ont travaillé bénévolement. Yvon Deschamps et Judi Richards sont restés tout le long à rigoler avec le public, pour ensuite prendre des photos avec les gens. Ce show spécial, en plein après-midi avec les rideaux fermés, ce qui donnait une ambiance de soirée alors que nous sommes déjà mélangés par le changement d’heure, a permis d’amasser 13 000 $, et l’on peut ajouter à cette somme 350 $ quand il y a eu un encan pour les deux billets du podcast « historique » de Mike Ward avec Yvon Deschamps et Judi Richards.

Recevoir Deschamps, c’était un rêve depuis longtemps pour Mike Ward et sa populaire balado. Je lui ai demandé, après le show en après-midi, si cela allait changer son animation. « Oui et non, m’a-t-il répondu, visiblement nerveux quand même. Je vais aller là où Yvon veut aller, je ne veux surtout pas qu’il le regrette. »

Cet épisode de Mike Ward sous écoute tourné au Bordel était diffusé en direct sur YouTube, avec une invitation à donner des dons par texto. Je pensais qu’il allait durer une heure au gros max pour ménager Yvon Deschamps et Judi Richards, mais ils auront finalement jasé plus de deux heures. De toute évidence, le couple était à l’aise, et on a eu droit à des confidences qui nous ont fait mieux comprendre la longévité de leur amour, qui n’est certainement pas basé sur l’argent, mais sur la recherche de sens. Il sortait d’une grosse faillite quand elle l’a rencontré, il n’était pas du tout le « père de l’humour au Québec ».

Par rapport à ça, l’argent, Yvon Deschamps a confié son malaise d’en avoir, à certains moments de sa vie. Cet homme qui a grandi dans un quartier ouvrier à Saint-Henri s’est longtemps cherché, a frappé des murs, s’est relevé, a connu des échecs comme des succès monstres, sans jamais perdre le sens des priorités. « On a une mentalité de pauvres, on peut jamais être riches dans nos têtes, a-t-il dit à Mike Ward. On est des pauvres avec de l’argent. »

Et ça semble assez évident que l’art leur a épargné d’être seulement des parvenus.

Voilà ce qui me fascine dans l’implication d’Yvon Deschamps : cette conscience aiguë du hasard qui transforme la destinée, si on a reçu ce qu’il faut pour en saisir les occasions.

Comment une rencontre, un intérêt, une curiosité, une passion, peut nous faire bifurquer loin de ce à quoi l’on pensait être condamné. On ne devient pas Yvon Deschamps juste par soi-même, et il le sait trop bien.

J’ai accroché Yvon Deschamps deux petites minutes après ses séances de photos qui ont suivi le spectacle au Bordel Comédie Club. Ce n’était pas pour lui poser des questions. C’était juste pour lui dire merci, de la part d’une petite fille du Centre-Sud.

>> Consultez le site de la Fondation Yvon Deschamps Centre-Sud

>> Visionnez l’entrevue de Mike Ward sous écoute