J’ai la sensation que le moment est finalement arrivé, en tant qu’artistes autochtones, d’écrire notre propre Refus global.

Nous, artistes autochtones, vivons une révolution. Nous ressentons le même besoin de libération qui existait à l’époque du manifeste des Automatistes. Et rien ne saurait freiner le mouvement d’affirmation de la modernité qui anime le monde des arts autochtones. Nous voulons et exigeons une plus grande liberté dans notre manière d’exister. Comme à l’époque du manifeste de Borduas et de ses compagnons, nous agissons en réaction directe aux négligences des institutions gouvernementales coloniales.

Plusieurs intellectuels autochtones occupent actuellement des postes clés à l’intérieur du secteur universitaire, ce qui entraîne une meilleure compréhension de la façon dont les systèmes pourraient être transformés par les savoirs, les traditions et l’esthétique autochtones. Il nous faut nous discipliner à les écouter et à appliquer leurs recommandations. Nous laissons derrière nous une période où les artistes autochtones présentés dans les grandes institutions étaient si peu nombreux. Au Canada et dans le monde, il y a une longue histoire de fausse représentation de nos peuples dans les médias. La façon dont nous sommes perçus est encore biaisée. Beaucoup d’entre nous essaient de combler ce manque de représentation.

Nous travaillons et avançons sur tous les fronts. Notre résistance déferle là où l’on veut bien nous écouter, en littérature, en danse, en théâtre, en arts visuels, en musique et en cinéma.

Nous remettons en question les balises mises en place par la société dominante et par son conservatisme. Nous voulons être libres de faire un travail qui nous ressemble avec des méthodes établies en marge de l’espace colonisé des institutions artistiques. Nous n’avons plus l’appréhension de travailler dans nos langues respectives, de suivre nos protocoles, de prendre le temps nécessaire pour faire les choses à notre manière. Cela implique aussi que nous prenons pleinement conscience de notre responsabilité face à la communauté et à nos nations distinctes. Le respect des différences culturelles s’impose, car l’art autochtone évolue au rythme de cette nouvelle prise en charge de notre avenir socioacadémique et culturel.

La Loi sur les Indiens nous a forcés à être inactifs et immobiles, à rester cadrés dans une perception coloniale. On a dévalorisé notre travail et notre créativité. La liberté autochtone se fait donc foncièrement à travers une résistance autochtone. Nous n’avons plus peur de prendre la parole sur la place publique. Pour la première fois, nous commençons à être reconnus dans un cadre positif et avant-gardiste. Le chaos de la restriction du passé sera cicatrisé, car nous avons désormais la capacité d’exercer un contrôle sur les histoires qui nous décrivent.

Après avoir vécu à l’ombre du colonialisme, nous traversons une période de profonde transformation et de reconstruction. Nous souhaitons encourager la spontanéité des actions et la création de tous nos artistes dans toutes nos disciplines.

Les jeunes sont en train de tenter de parler de l’après-génocide, de l’après-traumatisme. C’est un moment excitant pour tous les créateurs autochtones de toutes les disciplines et pour la prochaine génération. Nous sommes face à une scène artistique autochtone vibrante et foisonnante, ancrée dans le militantisme et l’évolutionnisme. Cette nouvelle forme de résilience est transposée dans l’avenir, et l’art devient notre outil pour nous opposer à la violence du monde.

Nous devons nous exprimer aussi clairement que possible. Il faut changer les choses à l’intérieur. Il faut participer. On ne peut qu’espérer voir s’établir des postes clés de commissaires autochtones au sein d’institutions telles que le Musée d’art contemporain ou le Musée des beaux-arts de Montréal, dans les universités et les collèges partout au Canada et ainsi voir nos langues autochtones prendre leur place dans notre culture. C’est un projet de société.

Pour cette section spéciale que La Presse m’a invitée à élaborer avec son équipe, je vous propose d’aller à la rencontre de créateurs dont le travail m’inspire et alimente mes réflexions. Je lance la conversation avec Rita Letendre, une artiste autochtone de renommée internationale qui travaille depuis les années 40 et qui a même fréquenté les Automatistes peu après la signature de Refus global