Le 14 juin, exceptionnellement devant public, Catherine Perrin animera pour la dernière fois Médium large, à ICI Radio-Canada Première. Retour sur ses huit ans à la barre de la quotidienne.

Quel souvenir gardez-vous des débuts de Médium large ?

La première année a été très difficile. Elle a été vécue dans la comparaison avec Christiane Charette, qui m’avait précédée. Après deux mois à l’antenne, une critique très dure à mon égard a eu un effet inattendu : beaucoup d’auditeurs m’ont écrit pour me dire qu’eux, ils aimaient cela. Mais il est vrai que je n’avais pas encore trouvé le bon ton. Comme on m’avait donné le mandat de faire un virage très « contenu », j’avais cette obsession de prouver que j’étais bien préparée. J’ai compris plus tard qu’être préparée, ça devait être une liberté, pas un carcan. Avec le temps vient aussi une grande capacité à l’autodérision. Parce que, quand tu fais de la radio douze heures et demie par semaine, c’est certain que tu as l’air folle une fois ou deux par semaine !

À partir de quand vous êtes-vous vraiment sentie à l’aise ?

Ç’a pris trois ans avant de trouver le bon équilibre entre le contenu pur et des sujets très humains. Il y aura toujours des auditeurs qui auront besoin d’animateurs plus flamboyants, mais, avec le temps, les gens ont bien vu que je n’étais pas « frette » !

Vous avez prouvé qu’il y a de la place pour ce genre de radio, aussi.

Un peu comme pour le New York Times, l’élection de Donald Trump nous a donné beaucoup d’auditeurs, comme si les gens avaient besoin d’un refuge, de valeurs sûres. Nous avons régulièrement été troisièmes dans le marché, et le contenu du site internet de notre émission est le plus suivi de toute la radio québécoise.

Après toutes ces années, Médium large, c’est oui ou non ?

Ah ! Le nom de l’émission ! Il a été tellement critiqué ! Pour dire vrai, je l’ai moi-même toujours détesté ! Tellement que, la plupart du temps, on évitait de l’utiliser. Mais, depuis quelques mois, je me suis finalement réconciliée avec lui. Parce que c’est bien cela que l’on était : un média qui ratissait large.

Quels sont les sujets les plus difficiles à aborder ?

Sans aucun doute, la religion. Un petit mot mal choisi, et vous êtes dans le pétrin. Ce qui est surprenant aussi, c’est que, comme animatrice, on souhaite présenter le plus grand nombre de points de vue. Mais de nombreux auditeurs ne comprennent pas cela et se disent que si l’on invite quelqu’un — comme la fois où l’on a interviewé des Québécois ravis de l’élection de Trump —, c’est qu’on pense nécessairement comme lui.

Des questions qui ne se posent pas ?

Quand c’est fait sans méchanceté, je pense que tout se demande. L’invité a toujours le droit de répondre ou pas. Quand je me suis montrée trop intéressée par l’enfance d’Éric Lapointe, ça n’a pas été long qu’il m’a gentiment dit qu’il n’était pas là pour une psychanalyse !

Cela doit quand même être agréable de penser que vous n’aurez plus à vous soumettre à une vie militaire…

C’est sûr qu’il y avait beaucoup à lire, ne serait-ce qu’avec les dossiers de recherchistes. Qu’aurais-je fait sans eux, sans toute mon équipe ? Normalement, la règle était que les dossiers ne devaient pas faire beaucoup plus de 15 pages. Mais, bien sûr, si tu as un politicien en entrevue pour la première fois, c’est 30 pages, sinon, tu risques de te faire passer un sapin. On essayait aussi que je n’aie pas à lire plus de trois livres par semaine, parce qu’il y avait aussi les films et documentaires à voir. Mais la somme de travail n’a rien à voir avec mon départ [qui est volontaire]. La vraie difficulté, c’est que tout est toujours pour demain matin.

En août, quand Pénélope McQuade prendra le relais, vous serez à l’écoute ?

Ça fera bizarre au début, c’est certain. C’est comme remettre la clef de la maison que tu as construite. Mais je suis convaincue que, très rapidement, je vais prendre plaisir à écouter l’émission comme n’importe quel autre auditeur. Pénélope décorera la maison à son goût !

Quels sont vos projets ?

J’aurai une émission hebdomadaire culture et société à la radio, j’ai un roman en chantier et un projet que je fais bénévolement et qui me tient à cœur : celui de faire connaître le milieu culturel et les médias publics aux immigrants qui apprennent le français. Et bien sûr, je n’ai jamais arrêté la musique.

Avez-vous l’intention de revenir à la télévision ?

Si j’avais un beau défi, oui, mais ce n’est pas le fun de vieillir à la télévision. Cela dit, il en faut, des femmes qui vieillissent à la télévision. Et non, je ne dis jamais mon âge.

Coquetterie féminine ?

Plutôt parce qu’après, on ne devient que cela, un chiffre.

Un souhait pour la radio ?

En fait, un souhait pour les médias et la société en général. À l’émission, on a toujours pris grand soin d’inviter autant de femmes que d’hommes. Je ne parle pas ici d’avoir des « sujets de femmes », mais de femmes qui agissent comme invitées expertes dans toutes sortes de matières. On faisait même les décomptes pour s’assurer d’être près de la parité. Et bien sûr, en tant que musicienne [elle est claveciniste], j’ai toujours l’impression qu’on parle trop peu de musique classique à la radio. Quant à l’environnement, il faudra faire attention à l’effet de mode : il y a deux ou trois ans, on n’en parlait pas et, là, il faut doser et en arriver à ce que ça devienne un sujet aussi normal que l’éducation.

En rafale…

Les trois entrevues dont elle est le plus fière

Thomas Piketty (économiste français)

Denis Mukwege (gynécologue et Prix Nobel de la paix)

Pierre Karl Péladeau

Les trois interviewés qui l’ont le plus touchée

Son collègue réalisateur Charles Plourde, quelques mois avant sa mort, qui a parlé de son amour de la vie

Alexandre Taillefer et Debbie Zakaib, après la mort de leur fils

Une toxicomane en lutte pour ne pas rechuter

L’entrevue pour laquelle elle a le plus « ramé »

Maxime Bernier, « habile et brillant, mais qui donne beaucoup dans le double sens »

Trois moments mémorables

Jean Leloup, « poésie en direct »

La comédienne Johanne Fontaine, « la rage de vivre »

Le critique musical Claude Gingras, « à la fois détestable et heureux d’être là »

Un moment désagréable

Une annulation de l’auteur-compositeur-interprète Benjamin Biolay 15 minutes avant l’entrevue

Un matin difficile

« Panne générale du métro, ville bloquée, plus de BIXI : arrivée deux minutes en retard. La honte. »