Dans le film Midnight in Paris de Woody Allen (oui, vous pouvez ici être nostalgique du temps où vous ne le trouviez pas louche), le personnage principal, un écrivain, ne jure que par les belles heures des Américains à Paris dans les années 20, où, magiquement, il retourne dans le temps pour rencontrer les Hemingway, Stein et Fitzgerald. Il tombe amoureux d'une jolie femme qui estime pour sa part que la Belle Époque était le véritable âge d'or de Paris, et quand ils y vont ensemble, au XIXe siècle, c'est pour entendre de la bouche des peintres Gauguin et Degas que cette époque et sa génération sont «dépourvues de sens et manquent d'imagination» et que la Renaissance était donc mieux.

«La nostalgie, c'est le déni d'un présent douloureux», résume un personnage du film. Et, au fond, nous sommes incapables de voir ce qui aujourd'hui nous plongera dans la nostalgie plus tard. Le seul âge d'or dont on puisse être certain, c'est celui inscrit sur notre carte de rabais à la pharmacie à 60 ans. Le présent est trop ordinaire, nous idéalisons le passé et, de plus en plus, nous craignons l'avenir. D'ailleurs, avec les nouvelles catastrophiques sur l'état écologique de la planète, nous devenons probablement nostalgiques d'un temps où l'on croyait vraiment en l'avenir. Quand on regarde ces vieux reportages en noir et blanc sur comment ils imaginaient les années 2000 avec des voitures volantes, on envie l'enthousiasme et la foi dans le progrès de ces gens-là, qui roulaient en grosses voitures, mangeaient de la viande tous les jours et jetaient leurs déchets par terre sans aucune espèce de culpabilité.

Selon le Dictionnaire historique de la langue française, c'est un médecin suisse du nom de Harder qui est à l'origine, en 1678, du mot nostalgia, combinaison des mots grecs nostos («retour») et algos («mal, souffrance»), et traduction du mot allemand Heimweh qui signifie «mal du pays». À l'origine, donc, la nostalgie est une maladie psychique, qui frappait les soldats loin de leur patrie.

C'est une définition intéressante.

N'avons-nous pas, à un moment ou un autre de notre vie, le mal du pays de l'enfance, ou de la jeunesse, dont on sent de plus en plus l'exil? 

Parce qu'il faut avoir un peu vécu pour être affecté par cette maladie. Quand nous frappe-t-elle? Ça dépend de chacun. Ça peut arriver quand vous vous surprenez à gueuler avec passion au karaoké une toune que vous méprisiez avec autant de passion à l'adolescence. Par la force du temps qui passe, les quétaines d'autrefois sont devenus des «classiques», et si vous snobez encore Céline, c'est vous qui êtes devenu le quétaine (merci, Xavier Dolan et Safia Nolin).

Le spleen nostalgique peut vous saisir brusquement quand vous prenez conscience que vous venez de perdre trois heures à vous pogner avec des inconnus sur Facebook, alors qu'avant l'internet, vous seriez allé prendre un café avec un ami. Ou en zappant à la télé quand vous tombez tout le temps sur de mauvais remakes de bons films. Parce que la nostalgie est devenue une véritable industrie, la publicité l'a bien compris puisqu'elle joue avec votre playlist d'hier, et vos émotions, pour vous vendre une voiture.

Mais à trop presser le citron du souvenir, on lui enlève ce qui fait précisément son charme, un peu comme lorsqu'on mâche une gomme trop longtemps et qu'elle se liquéfie dans notre bouche. Rendu au troisième retour du disco dans votre courte existence, il y a comme quelque chose qui se perd dans l'expérience même de la nostalgie. On peut aller jusqu'à devenir nostalgique de l'époque où nos amis ne radotaient pas, après trop d'alcool, leurs maudits souvenirs de Passe-Partout (qui fait l'objet d'un remake, soit dit en passant). Enfin, il y a des phases terminales et toxiques de la nostalgie, comme dans «Make America Great Again», quand on s'ennuie du bon vieux temps où on pouvait «grabber des pussies» sans problème et vivre dans un quartier peuplé uniquement de Blancs.

«Les études psychologiques de la nostalgie démontrent qu'elle est positive à l'échelle personnelle, mais qu'elle peut être régressive quand elle est exploitée par des forces populistes», explique Katharina Niemeyer, professeure en communication à l'UQAM.

C'est à se demander, non sans inquiétude, si les milliards de documentaires sur la Seconde Guerre mondiale n'ont pas rendu trop de nos contemporains rêveurs d'une grosse guerre, de celles qui font le ménage chez les opposants, dans le sens de l'expression des vieux exaspérés quand ils disent: «Ça leur prendrait une "bonne" guerre.»

Le virus de la nostalgie s'attrape facilement, au détour de quelques notes d'une chanson, d'une photo retrouvée dans un livre, d'un parfum flairé. Et il trahit votre âge quand vous entendez un bruit de criquet pendant que vous racontez fièrement un show de votre folle jeunesse à des milléniaux qui s'en balancent. Vous voilà pris en flagrant délit de vieillesse (sur l'air du succès d'Herbert Léonard, et en disant cela, on se trahit beaucoup).

Le sens du mot «nostalgie» s'est élargi pour inclure la nostalgie d'un temps que l'on n'a pas connu, comme notre héros de Midnight in Paris. L'écrivain Mordecai Richler, lui aussi admiratif du Paris est une fête de Hemingway, avait l'impression d'avoir raté le party du siècle. «Où que j'aille, j'arrive trop tard, déplorait-il. L'orgie a fui ailleurs.» Ce mal a frappé beaucoup d'adolescents des années 80, quand leurs parents leur racontaient les folles années 60, et ils se sont vengés en racontant leur décennie à leurs propres enfants coincés dans le nouveau millénaire. Et nous voilà pris, quand on revoit encore une fois le film Back to the Future qu'on a tant aimé à sa sortie, à se demander quelle année entre le 1985 de Marty McFly et le 1955 de ses parents nous rend le plus nostalgique, maintenant que les deux appartiennent au passé.

PHOTO ROGER ARPAJOU, FOURNIE PAR SONY PICTURES, ARCHIVES REUTERS

Marion Cotillard et Owen Wilson dans Midnight in Paris