Dans le téléphone intelligent de Marie Montpetit, la nouvelle ministre de la Culture et des Communications du Québec, il y a Pierre Lapointe qui chante en boucle La science du coeur et son refrain un brin insolent : « Tu repenses à tes amours. À tous ceux que tu as baisés. À quel point ils avaient l'air heureux d'avoir pu te consommer. »

« Je crois que j'ai dû écouter cette chanson au moins 300 fois depuis que je l'ai téléchargée », avoue la ministre qui me reçoit dans son bureau tout neuf au huitième étage de l'édifice Wilder, rue De Bleury.

Nous sommes exactement 12 jours après sa nomination. Dès le lendemain, la nouvelle ministre assistait à la soirée hommage aux 40 ans de la LNI. Gilbert Rozon y était. Elle l'a salué de loin, sans se douter de l'ouragan social qui se préparait. Depuis, elle a contacté l'UDA et l'ACTIS et salue l'éventuelle implantation d'un code d'éthique pour les producteurs. Elle croit que le showbiz québécois est à un tournant et que les choses vont changer « parce que l'ensemble des gens se sentent concernés comme jamais auparavant ».

Marie Montpetit est arrivée il y a une semaine à la tête d'un ministère où elle n'était pas attendue et où certains porte-parole du milieu culturel l'ont accueillie avec un brin de scepticisme doublé d'étonnement.

« Ceux qui ne me connaissent pas étaient peut-être étonnés, mais les gens que je connais, des musiciens, des gens du monde de l'opéra ou de la production télé, ceux-là savent à quel point la culture fait partie de ma vie depuis toujours », affirme-t-elle, ajoutant que c'est le plus beau ministère qu'elle pouvait souhaiter diriger.

Marie Montpetit a eu 38 ans au mois d'août. Elle est née et a grandi dans le petit village de Sainte-Marthe en Montérégie, la deuxième des quatre filles de Catherine Cotton, une Lyonnaise et prof d'éducation physique qui a quitté Lyon pour épouser le Québec, et un certain Marc Montpetit, prof de sociologie et lointain cousin de la famille d'Édouard Montpetit.

UNE GRANDE MÉLOMANE

Chez les Cotton-Montpetit, il y avait la musique de Chopin et de Bach, les chansons de Barbara, Ferré, Ferrat, Vigneault et Leclerc, et des livres partout. Dès qu'une des filles se mettait à tourner en rond, on lui faisait lire le dictionnaire et apprendre de nouveaux mots. À l'âge de 6 ans, la nouvelle ministre a commencé des cours de piano, qu'elle a poursuivis à l'école Pierre-Laporte où elle a fait son secondaire en musique avec Catherine Major. Les deux ont d'ailleurs coécrit Samba pour le gala de fin d'année de 1996. Catherine a signé la musique et Marie Montpetit, un texte un brin téteux vantant les mérites de la théorie, du solfège et de l'harmonie, livrés par « des profs totalement intéressants ! ». Catherine Major se souvient d'une fille sympa, souriante et rassembleuse.

À 19 ans, au moment d'entamer des études en psycho à l'université, Montpetit, qui n'avait jamais envisagé de gagner sa vie comme musicienne, a abandonné le piano. Assez vite, la musique s'est mise à lui manquer. 

« Il y a quelque chose d'introspectif dans la musique. C'est un moment avec soi-même, mais parfois aussi la musique procure une sorte de défoulement salvateur. » 

- Marie Montpetit, ministre de la Culture et des Communications

Pour combler le vide laissé par le piano, elle s'est tournée vers le chant classique. Pendant une dizaine d'années, elle a pris des cours avec Robert Savoie, baryton de réputation internationale, mais aussi l'un des cofondateurs de l'Opéra de Montréal, puis après sa mort, avec Lyne Fortin. Tout cela pour dire que la nouvelle ministre, mère d'une gamine de 9 ans qu'elle élève en garde partagée, est une grande mélomane, aucun doute à ce sujet. C'est aussi une politicienne dans l'âme, membre de la Commission jeunesse du Parti libéral sous Jonathan Sauvé, mais surtout fille d'un militant libéral de la première heure, Marc Montpetit, lauréat du prix Lucienne-Saillant que sa fille lui a remis en présence de nul autre que Philippe Couillard.

Pendant ses études en psycho, puis en gestion aux HEC, Marie Montpetit s'est engagée dans le réseau de la santé comme négociatrice pour les médecins résidents. « Même si je n'ai pas d'expérience comme ministre, je travaille avec la machine politique depuis des années, avant le Dr Barrette et pendant aussi. Je sais de manière intrinsèque comment ça marche de l'intérieur », plaide-t-elle afin de dissiper l'idée qu'elle est une néophyte sans expérience politique.

Elle affirme d'ailleurs n'avoir pas perdu de temps. Dès le lendemain de sa nomination, elle a commencé sa ronde d'appels dans le milieu culturel.

« Quant à la politique culturelle qui est très attendue, j'ai décidé de maintenir le cap sur la date de dépôt en 2017. Je veux livrer une politique accompagnée d'un plan d'action chiffré avec des mesures pour soutenir les créateurs », dit-elle, tout en refusant de révéler le montant qu'elle entend accorder au milieu culturel.

« J'ai déjà donné des orientations supplémentaires qui reflètent mes couleurs », poursuit-elle.

Lesquelles ? « Je crois beaucoup à l'accessibilité à la culture tout en sachant que le goût de la culture ne naît pas spontanément. C'est une affaire d'éducation. Je veux faire un lien entre accessibilité, culture et éducation. Je veux aussi revaloriser l'architecture dans les édifices publics. C'est toujours plus intéressant de vivre et de travailler dans de beaux espaces. »

La nouvelle ministre avoue être abonnée à Netflix (ainsi qu'à Tou.tv) et se dit favorable à ce que son gouvernement oblige Netflix à charger la TVQ. « Je suis pour l'équité fiscale pour l'ensemble des joueurs dans le domaine. C'est rassurant de voir qu'il y a des gens [le sous-ministre de Patrimoine Canada] qui partagent nos préoccupations face à Netflix. Mais Ottawa doit refaire ses devoirs à cet égard, car ils ont abandonné les industries culturelles canadiennes. Nous, nous refusons de laisser tomber nos créateurs, surtout en ce moment alors que nous sommes à la croisée des chemins et que le numérique est en train de tout bouleverser. »

La ministre espère qu'elle saura mener à bien la transition vers le monde numérique sans que l'identité de la culture québécoise soit broyée par le rouleau compresseur de la mondialisation. Elle se reprend et affirme qu'elle ne fait pas qu'espérer. Elle est convaincue qu'elle y arrivera. On le lui souhaite.