Dans le cadre d'une collaboration spéciale avec Singa-Québec, organisme voué à l'intégration des immigrés, La Presse a invité des réfugiés à apprendre les rudiments du métier avec des journalistes de la salle de rédaction et à publier dans ses pages sur des sujets de leur choix.

Boucar Diouf, originaire du Sénégal, a maintenant plus de vie québécoise que de vie africaine derrière lui. L'océanographe et humoriste nous raconte son arrivée à Rimouski, il y a plus de 25 ans, et les défis d'intégration auxquels il a fait face.

Pourquoi avez-vous choisi Rimouski ?

Ce n'est pas un choix. Si on m'avait donné le choix en 1991, j'aurais choisi Québec ou Montréal, parce qu'il y avait déjà des communautés africaines bien installées. Rimouski, c'était plus loin, moins diversifié. J'avais une bourse de la Francophonie pour aller faire un doctorat en océanographie et, en 1991, ce doctorat se donnait uniquement à Rimouski. C'était un choix par défaut.

Comment s'est passée votre intégration à partir de Rimouski ?

C'était dur. Dur comme pour tous les déplacés de la planète qui débarquent dans un endroit qu'ils ne connaissent pas, car c'est toutes tes références identitaires qui disparaissent. Je n'avais jamais voyagé avant d'arriver à Rimouski. Te sentir complètement différent de la majorité de la population, c'est un choc. Tu vis une deuxième naissance, mais sans tes parents pour t'accompagner, parce que tu débarques dans un endroit où t'as aucune référence. Ça m'a pris des gens même pour m'apprendre à faire l'épicerie : 80 % des choses que je voyais sur les étagères, je ne savais pas à quoi ça servait, je ne savais même pas si ça se mangeait. Apprendre à manger différemment aussi a été un gros choc.

Quelle était votre force pour surmonter tous ces obstacles ?

Je dirais la curiosité et le rire. J'étais quelqu'un qui riait beaucoup, je pense que je tiens ça de ma mère. Observer les gens, saisir leurs travers et leur montrer, des fois, l'image miroir de ce qu'ils font, ça les fait rire. Et la curiosité, le besoin d'aller vers les autres.

Parlez-moi un peu de votre rapport avec la communauté à Rimouski.

On s'est serrés, comme toutes les minorités. Entre nous, il n'y avait plus de Congolais ou de Sénégalais ; on s'est dit qu'on allait tasser toutes les appartenances ethniques et dire : « On est des Africains. » J'avais des amis de partout, des Togolais, des Gabonais, des Congolais, etc. On organisait des fêtes interculturelles ensemble, on demandait à tout le monde d'apporter un repas de son pays et on invitait les gens de l'université, les Québécois, à venir manger avec nous. Je pense que la nourriture, c'est l'outil d'intégration le plus efficace de la planète. J'aime manger, mais surtout inviter l'autre à découvrir ce que je mange. Si l'autre accepte d'incorporer une partie de toi dans son corps, il y a une relation qui se crée.

Comment a été l'accueil à Rimouski ?

Je pense que, les premiers pas, on les a faits. Après, on a senti les autres marcher vers nous. Je pense que, partout sur la planète, c'est comme ça que ça fonctionne : quand celui qui arrive accepte de faire un pas vers ceux qui l'accueillent, les autres font un pas vers lui. Je pense que celui qui accueille a un rôle de facilitateur, mais il faut qu'il reconnaisse un peu en toi un désir de s'approcher de lui, qu'il sente que tu as un intérêt pour ce qu'il est. S'il le sent un peu, il va t'ouvrir les bras.

Est-ce qu'on peut dire que vous avez fait un pas vers cette communauté et que la communauté a aussi fait un pas vers vous ?

Oui, et c'est ça, l'intégration, c'est un déplacement de deux personnes. Comme je l'ai déjà entendu dire par une enseignante : si tu invites quelqu'un dans une fête, puis que cette personne-là ne connaît personne dans cette fête, c'est ta responsabilité de la prendre par la main et de la présenter aux gens qui sont sur place. Après ça, c'est la responsabilité de l'invité de s'arranger pour passer une bonne soirée.

Comment expliques-tu cette transition entre l'océanographie et l'humour ?

Le Sénégal est très marin, la mer a toujours fait partie de ma vie. Quand j'étais jeune, j'ai découvert un bouquin à la bibliothèque de Fatick [ouest du Sénégal], Pêcheur d'Islande, de Pierre Loti. C'était, pour moi, le catalyseur des sciences de la mer. J'ai beaucoup aimé cette histoire d'amour autour de la pêche.

Et l'humour ?

En Afrique de l'Ouest, l'humour est un art traditionnellement réservé aux griots. Les griots sont une caste - ils racontent l'histoire, la généalogie. L'humour leur était traditionnellement réservé dans les cultures de l'Afrique de l'Ouest, comme au Mali, au Sénégal, en Guinée, en Côte d'Ivoire. On respectait beaucoup cette tradition, alors je n'ai jamais vraiment essayé de faire de l'humour chez moi, au Sénégal. Même aujourd'hui, mon père n'éprouverait pas une fierté de dire que son fils a abandonné l'université pour faire des spectacles d'humour. Alors, je garde ça un peu ici, quoique de moins en moins, puisque j'ai fait plein de spectacles qui finissent par être diffusés par les télévisions en Afrique.

Vous avez quand même gardé vos valeurs culturelles africaines même si vous vous êtes intégré ici, en créant une famille avec une personne qui ne venait pas de votre culture.

Ma blonde vient de Matane, c'est une Gaspésienne. J'ai deux enfants, mais ça ne change rien, je suis Africain. L'identité, comme disait [l'écrivain] Amin Maalouf, c'est comme l'amour : ça se décuple. On peut en avoir plusieurs. Ce n'est pas parce que tu avances vers le Canadien ou le Québécois que tu perds ton africanité. S'intégrer, ça ne veut pas dire renoncer à ce que tu es pour devenir l'autre.

Les propos ont été adaptés pour plus de clarté.

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JOHN NYEMBO

Âge : 42 ans

Origine : République démocratique du Congo

Arrivée au Canada : 2015

En 2001, quand il a dû fuir la République démocratique du Congo en raison de l'insécurité qui y régnait, John s'est réfugié en Zambie, puis au Botswana. En novembre 2015, il a obtenu l'asile au Canada.Aujourd'hui, il travaille au service à la clientèle d'une entreprise montréalaise qui s'occupe de problèmes d'émissions sur les véhicules routiers. Il rêve depuis son plus jeune âge de monter sur scène.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Boucar Diouf et John Nyembo

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

John Nyembo