Le gala que vous voyez à la télévision est le résultat d'un travail colossal et réglé au quart de tour réalisé par une armée d'artisans de l'ombre. La Presse a vécu les derniers préparatifs en leur compagnie, dans les coulisses.

Le soleil brille encore, mais, déjà, des dizaines de personnes grouillent au Monument-National et à la Société des arts technologiques (SAT), qui se font face, boulevard Saint-Laurent.

Au milieu de la ruche, il y a la directrice logistique Johanne Lavoie, chargée d'attacher les derniers fils avant le gala.

Elle prend en charge, entre autres, les journalistes, les repas et mille autres trucs.

Son téléphone ne dérougit pas. «Stephane [Bellavance] veut de la salade avec son club sandwich. Pénélope [McQuade] prend le poulet, les frites et la tarte au sucre», énumère-t-elle à son interlocuteur.

Johanne Lavoie gère vraiment tout.

Ça fait deux mois qu'elle et son équipe préparent cette soirée, mais plus de 35 ans qu'elle est dans le milieu. «Je fais l'ADISQ, les Olivier et les Gémeaux aussi», souligne la femme menue et énergique.

Un peu avant 18 h, Johanne Lavoie donne quelques directives à un groupe de beaux spécimens tirés à quatre épingles et parfois juchés sur des talons vertigineux, dont le mandat consiste simplement à donner l'illusion que le tapis rouge est bien garni.

«Souriez, faites des selfies et essayez de ne pas mâcher de gomme. Vous êtes beaux!», leur dit Johanne Lavoie.

Dana Campion, 18 ans, est ravie de se plier à cette supercherie glamour. «C'est une chance inouïe! J'adore les films!», lance cette étudiante en arts et lettres, pimpante dans sa robe longue.

Un homme entre au même moment au Monument-National, avec une sorte de coffre à outils. Depuis une vingtaine d'années, Stéphane Cabana se promène de gala en gala pour accorder les pianos. «Je suis déjà venu vendredi, mais là, c'est l'accord final», explique-t-il, avant de soulever le «capot» d'un piano près de la scène comme un garagiste.

Petit détour pour saluer les animateurs du gala, en pleine séance de maquillage et de coiffure. «Je suis très fébrile, mais pour une fois, je n'ai pas le trac, puisqu'on a eu le temps de répéter», confie Pénélope McQuade, lançant au passage des fleurs à son coanimateur.

Un étage plus haut, une coiffeuse taille la barbe du principal intéressé.

«La fébrilité vient d'embarquer. Ça va se transformer en trac dans une heure», confie Stéphane Bellavance.

Stéphane Bellavance a finalement commandé une soupe won-ton au resto asiatique à côté, et non un club sandwich avec salade.

Comme quoi Johanne Lavoie ne contrôle pas tout.

Le directeur de production de Québec Cinéma Bertrand Caussé arrive au même moment. Il nous traîne au troisième étage, où les finalistes ont été conviés à un cocktail avant le gala. La salle déborde et les conversations résonnent jusque dans la cage d'escalier. Quelques personnes grillent une clope sur la terrasse à l'extérieur. Bertrand Caussé reçoit un appel. Il sort rencontrer deux policiers sur le trottoir, qui devront gérer la circulation sur le boulevard pendant que les artistes migreront du tapis rouge vers le Monument-National.

Les premiers arrivés

Des premiers pas foulent le tapis rouge. Plusieurs visages sont inconnus, forçant les journalistes et photographes à vérifier leur identité.

Quelques vedettes s'offrent en pâture aux journalistes, massés en bordure du tapis rouge. Il faut un peu jouer du coude pour capter les conversations.

Diane Lavallée, par exemple, tient des propos dithyrambiques au sujet de sa fille et parle de ses projets à venir. Des gens papillonnent autour des artistes pour les tirer par la manche.

L'équipe du film Le mirage répond aux questions d'une journaliste qui n'arrête plus de dire à la comédienne Christine Beaulieu à quel point elle est belle.

Louis Morissette pose fièrement - en tenue de gala -, lui qui avait écrit sur Twitter son intention de rapporter son «kit» au magasin en apprenant que son film n'était pas en nomination. «C'était une boutade, interprétée comme un mécontentement plus fort qu'il ne l'était en réalité. Ce n'est pas une nomination ou pas qui va changer quoi que ce soit», lance-t-il, radieux, avant de se faire tirer par la manche pour aller défiler devant d'autres objectifs de caméras.

Tout près, le réalisateur Philippe Falardeau ne croit pas que «l'affaire Jutra» va assombrir la fête. «Ça a été sombre pour tout le monde, il y a un mois, mais tout va bien. J'ai pas mis des couleurs sombres de funérailles!», souligne-t-il, en montrant son complet bleu.

Les «crabes»

De retour au Monument-National, Johanne Lavoie briefe les «crabes», ces figurants embauchés pour occuper les fauteuils laissés vides par les gagnants, les présentateurs et les absents du gala. Mais avant, ils doivent aussi escorter les comédiennes légèrement vêtues avec des capes à leur sortie du tapis rouge. Celles-ci ont davantage l'air de se rendent à Poudlard qu'à un gala.

Quelques photographes amateurs traînent devant la porte et demandent aux vedettes de se faire photographier avec eux. «Je suis un "ramasseux" de photos. J'en ai une super belle avec Robert Bourassa!», s'enorgueillit François Deschênes, avant de se faire photographier avec Christine Beaulieu.

19 h 45, le gala commence bientôt. Un compte à rebours s'égrène à l'écran. Les gens commencent à investir la salle.

Quelques minutes avant le lever du rideau, un animateur de foule en béquilles vient donner quelques consignes. Pas plus de 60 secondes pour vos remerciements, puis jetez vos gommes.

Au tour des animateurs de venir saluer la foule. «On veut prouver à tout le monde que le Gala du cinéma québécois est le gala le plus souriant de l'année», badine Stephane Bellavance.

En ondes dans 30 secondes, lance ensuite une voix.

Les «crabes» sont debout au fond de la salle, aux aguets.

5-4-3-2-1, ça tourne.

Et ensuite?

Eh bien, le reste, vous l'avez vu à la télé.