René Angélil avait beau être derrière les succès de Céline Dion, il est devenu lui aussi une vedette à part entière. Mais l'homme qui vient de nous quitter était beaucoup plus qu'un simple imprésario. C'était un homme avec du flair, une sensibilité artistique et une tête de mule qui arrivait presque toujours à ses fins.

En personne, cet homme au parcours improbable en imposait. Sa voix éteinte digne d'un parrain y était sûrement pour quelque chose, mais ce qui frappait d'abord son interlocuteur, c'était son intelligence supérieure et cette assurance qui se dégageait de ses propos. S'il y avait le moindre doute dans ce qu'il affirmait, il n'en laissait surtout rien paraître.

» René Angélil en photos

René Angélil n'était pourtant pas une personne intimidante, sauf quand il était en désaccord avec quelqu'un. Alors, il n'avait même pas besoin d'élever la voix.

«Ce n'est pas du tout son genre, nous a déjà dit Céline Dion. Je ne l'ai jamais vu crier après personne. Si ce n'est pas bon, si ça n'a pas été correct, il va garder son calme, mais son message va être clair: "Je t'ai fait confiance, ne me demande plus rien, c'est fini".»

En août 2008, à Boston, je lui avais demandé ce qu'il répondait à ceux qui le considéraient comme un manipulateur.

«Moi, je fais juste mon travail: protéger Céline et organiser les choses pour que ça se passe bien pour elle. C'est ça le job d'un manager. Orchestrateur, arrangeur, organisateur, manipulateur, appelle ça comme tu voudras. Je suis comme ça dans tout, avec la compagnie de disques, par exemple, et les médias font partie du show-business... C'est sûr qu'il y a certains médias qui ne sont pas contents parfois.»

Trop exigeant?

René Angélil a toujours été très exigeant avec Céline Dion parce qu'il avait une confiance illimitée en ses moyens et sa volonté de relever des défis. Trop exigeant?

«J'ai peur d'être trop heavy et, parfois, je le suis, me disait-il en 2009. Je n'ai jamais pris une décision sans qu'elle ait son mot à dire, même quand elle était petite. Mais il arrive qu'elle soit d'accord avec ma décision, et alors elle embarque à 100%, puis qu'elle s'aperçoive que c'est difficile.»

Il était convaincu de ne jamais avoir commis d'erreur dans la gestion de la carrière de Céline Dion. «Ç'a été le timing parfait pour elle et moi. Quand je l'ai rencontrée, j'avais 39 ans. J'avais appris de mes erreurs de jeunesse et elle cherchait quelqu'un qui avait de l'expérience et qui voulait bien faire. Moi, j'avais besoin de quelqu'un pour pouvoir rester dans le show-business. J'ai fait très attention parce que j'avais le regard de toute la famille Dion sur moi. Si j'avais fait des erreurs, j'en aurais entendu parler.»

En 2007, à Londres, Céline Dion nous confiait: «Ce que René a décidé pour moi, je ne l'ai jamais remis en question. J'étais trop jeune, je n'avais pas d'expérience. Aujourd'hui, je ne doute pas, mais je pose des questions, ça le fatigue peut-être.»

Des gens qui les connaissent bien sont convaincus que c'est elle qui, préoccupée par l'état de santé de son mari, l'a incité à déléguer une bonne partie des ses responsabilités à son ami Aldo Giampaolo, en juin 2014, et qui, quelques mois plus tard, a décidé d'annuler sa tournée asiatique et tous ses concerts à Las Vegas jusqu'en mars 2015. En février 2015, elle annonçait son retour à compter du 27 août et révélait du même coup que le cancer d'Angélil avait refait surface une troisième fois.

Jouer ses cartes

Quand, en mars 1999, son médecin lui a appris qu'il devrait être opéré le jour même pour une masse cancéreuse à la gorge, René Angélil lui a demandé quelles étaient ses chances. 70%, lui a dit le Dr Steckler. «René a réfléchi un moment. Il a eu un faible sourire. Il a pensé que 70% des chances de réussir au black jack, ce n'était pas à négliger, au contraire, c'était très bon, très bien.»

L'anecdote racontée dans Le maître du jeu, la biographie que lui a consacrée Georges-Hébert Germain, est caractéristique de l'homme qui aimait bien rappeler qu'après avoir coupé le cordon ombilical de son fils René-Charles, il lui a aussitôt donné sa première leçon de black jack.

Le jeu a été au coeur de ses succès et de ses échecs. Pour le premier contrat d'enregistrement de Céline Dion avec CBS, en 1986, il ne demandera pas la lune, mais il mettra le pied dans la porte d'une carrière internationale sans précédent, puis s'emploiera à provoquer les occasions pour permettre à sa chanteuse d'accéder au sommet. Une fois qu'elle sera établie, il fera pour elle des deals faramineux. «Il faut juste jouer ses cartes comme il faut», nous disait-il.

Les gros coups qu'a réussis Angélil pour Céline Dion, et qui en ont fait un imprésario admiré à l'échelle de la planète, n'étaient pas qu'une question de chance. Il avait un objectif et un plan pour l'atteindre et il ne se laissait jamais décourager par le scepticisme, sinon les rebuffades de ses partenaires.

Son pari le plus fou, c'est à Las Vegas que René Angélil l'a gagné haut la main. En négociant simultanément avec le Caesars Palace, MGM et Aladdin - devenu depuis le Planet Hollywood - pour le spectacle permanent A New Day, il a décroché le gros lot. Il a convaincu le Caesars Palace de lui construire un Colosseum au coût d'environ 100 millions pour lequel non seulement il n'a jamais payé de loyer, mais il pu collecter le loyer de son autre locataire, Sir Elton John.

Le Caesars a même fait construire à ses frais la maison de Lake Las Vegas que le Aladdin avait proposée à Angélil. Surtout, ce spectacle qu'à peu près personne ne croyait rentable à l'époque a marqué l'histoire de la capitale du jeu américaine.

Mais derrière le joueur de poker au visage imperturbable, René Angélil était un homme très sensible, un homme inquiet qui planifiait tout longtemps à l'avance, nous racontait Céline Dion au lendemain de la première de son deuxième spectacle à Las Vegas, en mars 2011.

«C'est dur à son âge, je pense. Il veut tellement qu'on ne manque de rien, ses enfants et moi. Il s'inquiète tout le temps. Il a peur de ne pas être là. J'ai l'impression qu'il vit le moment présent et donc, s'il reçoit une offre super intéressante, il va me la proposer et il va s'arranger pour la signer tout seul. Moi, je suis moins inquiète, je suis plus jeune. J'ai toujours fait confiance. Je me dis on verra. Mais lui, les "on verra", il a peur de ne pas voir ça. René, c'est notre ange gardien.»