Le désir est au coeur du métier d'acteur. Tout commence par le désir d'avoir une carrière, mais, pour y arriver, il faut d'abord plaire. Au public, bien entendu, mais aussi au metteur en scène ou au réalisateur, qu'il faut charmer pour décrocher un rôle. Puis, il y a ces moments où l'on joue le désir, lorsque les personnages font l'amour, par exemple. Dans ces scènes, l'acteur se met à nu et devient vulnérable. S'il est mal conseillé ou mal dirigé, l'expérience n'est pas toujours heureuse.

« Quand j'étudiais au Conservatoire d'art dramatique, un professeur nous disait : "Vous allez voir, vous jouerez rapidement des scènes de nudité." Pour moi, c'était hors de question. Je disais : "Je perdrai le rôle !" Or, le premier personnage que j'ai interprété à ma sortie, c'était celui d'une séductrice... Et je faisais des scènes de baise. »

Catherine de Léan est actrice depuis 10 ans. Après ses études en théâtre, sa carrière a rapidement décollé... et ses opinions tranchées sur la nudité ont tombé. Malgré les réticences de plusieurs, jouer nu semble être un passage obligé pour pratiquer le métier d'acteur - ou, surtout, d'actrice.

Si les conventions collectives négociées par l'Union des artistes (UDA) encadrent cette pratique à la télévision et au cinéma, les règles adoptées sont difficilement applicables, a constaté La Presse en interviewant plusieurs professionnels de la scène.

ATTENTION AUX DÉRAPAGES

Nous avons rencontré Catherine de Léan dans un café de Montréal pour discuter des notions de désir et de séduction dans son métier. Contrairement à ce que certains pourraient croire, elle n'est pas victime d'une industrie qui déshabille ses actrices, au contraire. À 35 ans, Catherine est maîtresse de ses choix.

Malgré quelques épisodes délicats, la majorité des scènes d'amour qu'elle a tournées se sont déroulées sans problème. Ce fut notamment le cas de la fameuse séquence d'ouverture du film Nuit #1, où elle et son partenaire de jeu, Dimitri Storoge, font l'amour à la sortie des bars. La réalisatrice, Anne Émond, l'a même impliquée dans le processus de casting, un fait rare dans le milieu.

« L'important, quand on te présente un projet, c'est de bien négocier, dit-elle. Ça peut paraître bizarre, mais il faut que tu y tiennes comme une pute. Que tu mettes ton pied à terre et que tu dises : "J'ai dit que je ferai ça, je ne ferai rien d'autre." »

Catherine de Léan, que l'on a entre autres vue dans Mémoires vives, à Radio-Canada, promet qu'elle ne se mettra jamais nue pour le plaisir d'un réalisateur qui veut faire croître ses cotes d'écoute. Règle numéro un : il faut que la scène serve un propos artistique.

« Le métier d'acteur est intimement lié à la séduction. Il est certain que le rapport qu'on entretient avec un réalisateur ou un metteur en scène peut déraper. Il y a parfois une attirance unilatérale. Le gars ou la fille te trouve de son goût et ne décolle pas », explique Catherine de Léan.

DES PRATIQUES PARFOIS DOUTEUSES

Gilbert Turp est professeur au Conservatoire d'art dramatique, à Montréal. Acteur, il s'est fait connaître du grand public dans l'émission Km/h, à TVA. Nous avons discuté avec lui entre deux cours, afin qu'il nous explique l'avertissement qu'il lance chaque année à ses élèves en interprétation.

« Attention aux risques associés aux scènes de nudité. Connaissez d'abord vos droits. » - Gilbert Turp, aux élèves en interprétation

« Une fois, j'auditionnais pour un rôle dans une publicité de bière. Après l'audition, je suis revenu dans la salle, ayant oublié quelque chose. La jeune comédienne qui me suivait était rendue devant les responsables du casting, le chandail levé par-dessus la tête. On lui avait probablement demandé de montrer ses seins. Quand elle m'a vu, elle était rouge de honte », raconte-t-il.

Certains réalisateurs et metteurs en scène peuvent être parfois insistants, notamment lors de scènes de nudité, explique Gilbert Turp. « Quand il y a une zone de confusion, les profiteurs s'essayent », dit-il, rappelant toutefois que le théâtre n'est pas l'eldorado des pervers.

Mais le milieu artistique n'est pas immunisé contre ce genre de situation problématique. Aux États-Unis, selon le New York Times, des actrices dénoncent le fait que les inconduites sexuelles sont scrutées à la loupe sur les campus universitaires, mais que les acteurs - dont le métier implique d'embrasser ou de simuler l'amour et la colère avec leurs partenaires - sont dépourvus de mécanismes pour défendre leurs droits.

Au Québec, des dispositions encadrent toutefois la nudité et le harcèlement sur les plateaux de tournage.

DES SCÈNES DIFFICILES

Jouer des scènes de nudité n'est jamais facile, autant pour les femmes que pour les hommes. « On aime mieux jouer la colère », explique Martin Vachon, présentement en tournée pour la pièce Ma première fois, qui traite de sexualité.

Ce n'est pourtant pas au théâtre que l'acteur a vécu son plus grand malaise alors qu'il jouait nu. C'est sur un plateau de télévision.

« Puisqu'on tournait rapidement une scène dans un lit, sous les couvertures, le réalisateur m'a demandé si je pouvais enlever mon caleçon, advenant qu'on voie un bout de fesse. Il voulait que ce soit plus réaliste. Honnêtement, ça ne me dérangeait pas du tout. J'ai demandé l'avis de ma partenaire de jeu, qui était d'accord », raconte-t-il.

Or, ils avaient oublié que la scène se terminait par une caresse en cuillère. « Quand on s'est collés, j'ai senti mon pénis frapper sa cuisse. Là, tu essayes de ne pas décrocher. Tu n'arrêtes pas le tournage pour dire : "Ma bizoune a accroché sa cuisse." C'est vraiment gênant », dit-il.

Finalement, l'actrice n'avait rien senti, explique Martin Vachon, qui rappelle cette anecdote dans un numéro d'humour qu'il présente à l'occasion. Mais, selon lui, cet exemple démontre pourquoi les scènes de nudité sont gênantes pour les acteurs, et qu'elles doivent répondre - comme c'était le cas dans son histoire - à un besoin artistique.

LA FORMATION EST IMPORTANTE

Or, du nu pour du nu, il s'en fait aussi beaucoup au théâtre, à la télévision et au cinéma québécois.

« Parfois, certaines actrices ne sont engagées que pour ça. Il s'agit de troisièmes rôles muets. Dans le scénario, tu lis : "Fille nue, sein, passe dans la douche." Tu te sens mal pour elle. Souvent, il s'agit d'actrices qui commencent, qui ont plus de difficulté à percer. Mais ce genre de rôle ne les aide pas forcément. Elles risquent d'être catégorisées "mannequin qui montre ses seins" », raconte Martin Vachon.

Gilbert Turp croit pour sa part que les interprètes qui sont victimes du milieu - où la nudité, la séduction et le désir s'entremêlent - sont ceux qui n'ont pas reçu de formation.

« Un acteur qui joue une scène d'amour doit faire attention à ne pas se retrouver piégé dans son propre jeu de séduction. Souvent, ceux qui n'y arrivent pas n'ont pas eu de formation. Ils ont une expérience de terrain - à titre d'enfant acteur, tout au plus. La séduction est le fer de lance du métier d'acteur. Il faut la maîtriser », explique le professeur au Conservatoire d'art dramatique.

Lorsqu'un acteur ou une actrice confond l'amour joué et le vrai sentiment amoureux, la situation devient problématique. Catherine de Léan l'a déjà vécu à ses dépens. Une fois, elle a senti que son partenaire de jeu en oubliait presque ses répliques.

« C'est vraiment gênant quand tu sens que l'acteur avec qui tu joues une scène d'amour a vraiment envie de te baiser. Tu as l'impression qu'il profite de la situation. C'est une atteinte à ta pudeur. Dans cette situation, plus mon partenaire me montrait qu'il était content, plus je lui montrais que je ne l'étais pas du tout », explique-t-elle.

FEMME AUX COMMANDES

Anne Émond est une jeune réalisatrice qui n'a pas peur de mettre en scène de la nudité. Dans son premier long métrage, Nuit #1, l'actrice Catherine de Léan joue une longue scène d'amour. Selon elle, le fait qu'elle soit une femme ne change rien à la direction qu'elle donne à ses films, mais cela joue certainement dans la confiance que lui accordent les acteurs.

« Je crois que les actrices me font confiance et savent que je ne montrerai pas leurs seins que pour montrer leurs seins. Tout cela entre dans ma démarche créative. Dans notre milieu, les réalisateurs hommes sont, pour la grande majorité, très respectueux, faut-il préciser. C'est sûr qu'il y a des colons, mais ne comptez pas sur moi pour potiner sur qui ils sont », dit-elle.

« Un corps, c'est un corps »

Depuis qu'elle est sortie du Conservatoire d'art dramatique en 1987, Céline Bonnier s'est souvent mise à nu, dans tous les sens du terme. Ce fut le cas dans Un tramway nommé Désir, pièce marquante de la dernière saison théâtrale. Rencontre avec une actrice pour qui « un corps, c'est un corps ».

Dans le cadre de ce dossier, nous avons rencontré plusieurs acteurs et actrices qui ont expliqué quand et pourquoi ils acceptaient de se dévêtir. Certains exigent que ça réponde à une démarche artistique bien définie, alors que d'autres fuient les auditions qui mentionnent le mot «nudité».

Certaines personnes sont vraiment prudes, ou plutôt inconfortables avec leur corps. Moi, je crois qu'il faut faire la part des choses. Quand tu montes sur scène, tu as intérêt à avoir fait la paix avec ton corps, mais aussi avec ce qu'il dit, malgré toi. Car un corps peut parler: il faut l'accepter, le reconnaître et le «regarder». Pour ne pas tomber dans un complexe dont on ne sort pas indemne, il faut se faire confiance, mais aussi se fier à l'intelligence des gens. Notre corps est un instrument de travail.

Certaines personnes se sont cassé le nez en essayant des rôles où l'on exigeait des scènes de nudité, sans y être forcément bien préparées. Y a-t-il des conditions qui assurent qu'une scène de ce genre se déroulera bien?

Il faut d'abord qu'il y ait en amont une discussion franche entre le metteur en scène ou le réalisateur et l'acteur ou l'actrice. Ça prend une discussion pendant laquelle on pose des questions sur la démarche créatrice, pour se mettre en confiance. [...] Se mettre à nu, c'est un défi. Quand on lit un scénario, on se pose toujours la question: est-ce vraiment nécessaire? Pourquoi accepterais-je de me déshabiller ici, et non pas là? Parfois, on ne le saura pas sans l'essayer. Se montrer nu, c'est effectivement offrir une intimité, mais, bien franchement, en ce qui me concerne, ce n'est pas la pire, on dirait. Mais si l'acteur avec qui on se met nu doit pleurer pendant la scène, mais que, tout d'un coup, ses émotions ne répondent plus à ce que le rôle commande, là, ça me dérange. Je me sens prise au piège.

On entend aussi des histoires où la confiance cesse de régner entre un metteur en scène ou un réalisateur et les acteurs à qui il demande de faire une scène de nudité. Avez-vous déjà vécu des situations délicates?

Quand on regarde ce qui se passe aux États-Unis, on entend parfois des histoires d'horreur, mais c'est moins le cas ici. La séduction est au coeur du métier d'acteur, mais il s'agit avant tout d'une séduction artistique et intellectuelle. Bien sûr, comme partout ailleurs, certains exagèrent. Mais selon moi, c'est plutôt marginal.

DES RÈGLES À SUIVRE

On ne déshabille pas un acteur ou une actrice à sa guise. L'Union des artistes (UDA) a négocié plusieurs règles qui encadrent cette pratique à la télévision et au cinéma. Quelles sont-elles et comment sont-elles appliquées et vécues par les interprètes?

CONVENTION COLLECTIVE

Dans la plus récente convention collective signée entre l'Union des artistes et l'Association québécoise de la production médiatique, plusieurs articles encadrent les scènes de nudité, explique Martine Tremblay, conseillère en relations de travail pour le syndicat. L'artiste doit d'abord être informé avant l'audition de ce qu'on lui demandera pendant le tournage. Par ailleurs, pendant tout le casting, aucun geste à caractère sexuel ou passage à nu ne peut être exigé. Si le réalisateur demande qu'on ajoute un passage de nudité qui n'avait pas été négocié au préalable, l'artiste peut refuser sans pénalité.

HUIS CLOS

Lorsqu'une scène de nudité est filmée, le plateau se transforme en huis clos - ou closed set, comme on dit dans le milieu. Les seules personnes admises sont celles qui ont des raisons pertinentes d'y être. C'est du moins ce qui est prévu par la convention collective.

Or, selon Catherine de Léan, il arrive fréquemment que des problèmes techniques forcent l'ouverture du plateau. «On dit que c'est closed set, mais, dans les faits, ce n'est jamais vraiment le cas. Rapidement, on te demande si ça te dérange que le gars de la lumière entre parce qu'il doit changer une ampoule. La première fois, on te couvre, mais à un moment donné, tu arrêtes de t'en faire. C'est juste un bout de fesse, que tout le monde va voir à l'écran», dit-elle.

LISTE NOIRE

Des acteurs craignent de refuser les demandes de réalisateurs qui veulent ajouter des scènes de nudité qui n'étaient pas prévues. Cela s'explique notamment par le fait que les acteurs sont des travailleurs autonomes, explique Martine Tremblay de l'UDA.

«Certains acteurs, autant ceux en début de carrière que ceux qui comptent plusieurs années d'expérience, craignent de froisser le réalisateur et de ne plus être rappelés pour des rôles», dit-elle. Marcel Hubert, agent d'artistes réputé à Montréal, constate le même phénomène. «Ensuite, quand une actrice ne reçoit plus d'appels, tu ne peux pas prouver que c'est parce qu'elle a refusé quelque chose au réalisateur et que ça l'a froissé. C'est bien délicat», dit-il.